Mardi 22 août, l’heure est aux retrouvailles chez Verticales. Au quatrième et dernier étage du 26, rue de Condé (Paris 6e), Jeanne Guyon accueille à grand renfort de bises et de cafés Yves Pagès, rentré de vacances le matin même. Et c’est en musique que le binôme éditorial à la tête de la maison - entrée en 2005 dans le giron de Gallimard dont elle est devenue une collection - commence la journée. L’éditrice montre à son acolyte le dernier clip du groupe britannique Placebo qu’elle a découvert la veille, Life’s what you make it. Tourné dans une banlieue d’Accra, la capitale du Ghana, où siège une immense décharge de produits électroniques, il "illustre parfaitement" le premier roman de Guillaume Poix, Les fils conducteurs, qui prendra place en librairie dans deux jours.
C’est Livres dans la Boucle (à Besançon, 15-17 septembre) qui a publié la vidéo sur son site sous la présentation du livre du primo-romancier, invité au festival. "C’est dingue", s’enthousiasme Yves Pagès, qui, après avoir convenu de poster le clip sur la page Facebook de Verticales, entame sa propre revue de presse. "J’ai eu Arno [Bertina] au téléphone à propos de son long entretien dans le prochain Matricule des anges." Fidèle du catalogue, l’auteur publie le 24 août son quatrième roman, Des châteaux qui brûlent. "Et demain, Guillaume [Poix] a la séance photo pour Technikart, je vais lui passer un coup de fil", rebondit Jeanne Guyon.
Le temps des moissons
A deux jours de la parution des deux romans qui porteront la rentrée littéraire Verticales, le bureau des éditeurs est étonnamment calme, tout comme ses occupants. Les mails ne pleuvent pas dans les boîtes de réception, le téléphone reste relativement silencieux tandis que les exemplaires des romans de la rentrée sont sagement rangés dans les étagères. "Le rush, nous l’avons vécu au printemps, à ce stade de l’année, le boulot de l’éditeur est déjà effectué aux deux tiers pour la rentrée littéraire", explique Yves Pagès. Une part du travail du binôme consiste en cette fin du mois d’août à récolter et à centraliser les articles de presse, demandes de salons et de libraires, mais aussi les avis et les premiers retours qu’ils glanent notamment en interne, chez Gallimard. Tous les mercredis, l’équipe de Verticales fait le point avec Isabelle Saugier, responsable de la presse de la maison du groupe Madrigall, et est en contact régulier avec Pierre Gestède et Marina Toso, responsables des relations avec les salons et librairies. En ce début de rentrée littéraire, ce sont eux qui sont "au front", répondant aux demandes des journalistes et organisant les tournées des auteurs.
Si Verticales est "parfaitement indépendante d’un point de vue éditorial", assure Yves Pagès, elle a le statut de collection de Gallimard et est donc gérée par la maison mère. "Dont nous sommes tous deux salariés", précise le binôme qui peut aussi s’appuyer sur une stagiaire, un graphiste et deux lecteurs en free-lance. "On a un grand confort de travail", avance Jeanne Guyon avant de se remémorer, en riant avec Yves Pagès, "la période du Seuil". Avant d’être rachetée par Gallimard, Verticales a passé cinq ans (2000-2005) au sein du Seuil. "Nous étions aussi une collection de la maison, mais on gérait tout nous-mêmes avec Bernard Wallet (le fondateur de la maison en 1997, qui l’a quittée en 2009) et pendant la rentrée littéraire c’était du délire." Une "autre époque" où les tirages des titres de septembre étaient "monstrueux" et où Verticales alignait cinq auteurs pour sa rentrée.
Accompagner sans materner
"C’était impossible à gérer, trois d’entre eux restaient dans l’ombre et on passait plus de temps à consoler les auteurs blessés
qu’autre chose", se souvient Yves Pagès. Avec deux titres programmés en ce mois d’août - sur les douze que publie la maison à l’année -, le duo peut se consacrer pleinement à l’accompagnement de ses auteurs. Même si ça "commence très bien" pour Arno Bertina et Guillaume Poix, qui bénéficient d’un intérêt montant de la presse, ils figurent notamment dans les "40 romans à la une" des Inrockuptibles, les auteurs traversent un moment difficile. "Je crois qu’ils n’ont pas passé un très bon mois d’août, les jours qui précèdent la sortie en librairie sont toujours stressants, désagréables pour les auteurs", détaille Jeanne Guyon. Les éditeurs passent donc du temps au téléphone avec leurs poulains, déminant les interviews comme les angoisses. "Même en vacances", précise Yves Pagès. Pour autant, hors de question de les materner. "On ne les appelle pas six fois par jour pour leur demander comment ils vont : il n'y a rien de plus stressant que ça", estime le duo qui juge primordial de prendre soin des auteurs, parfois même à leur insu.
Dès le choix des écrivains qui porteront la rentrée, les deux éditeurs cherchent des équations qui "éviteront qu’un des deux auteurs reste sur le carreau". De même, ils équilibrent scrupuleusement leur mise en lumière sur les réseaux sociaux et prennent garde à ne pas "laisser traîner au bureau des articles de presse sur l’un quand l’autre nous rend visite", précise en souriant Yves Pagès. Considérant que la compétition est déjà assez présente en cette période, le duo tente d’éviter tout ce qui pourrait l’attiser. Et ce n’est que le début.
Une longue route
D’ici à quelques jours, ils se relaieront pour accompagner les auteurs en librairie et dans les salons, prenant soin avec les équipes de Gallimard de ne pas les envoyer dans "un traquenard". Au même moment, les premières sélections pour les prix d’automne tomberont, apportant leur lot d’espoirs et de déceptions. "On ne leur promet jamais rien, mais on discute avec eux des ressorts de la chose ; il faut lutter contre les théories complotistes que certains auteurs développent", estime Yves Pagès. Le binôme, qui a vécu "la folie" de la rentrée littéraire 2010, où Olivia Rosenthal et Maylis de Kerangal avaient cumulé les prix, sait bien qu’ils dépendent "de dizaines de critères, une sorte d’alignement des planètes".
En parallèle, le duo s’attelle à la célèbre fête que Verticales organise chaque rentrée au Point Ephémère et qui s’annonce gargantuesque pour les 20 ans de la maison. "Et nos auteurs sont presque jaloux qu’on s’occupe d’autre chose qu’eux", rigole Jeanne Guyon. Ils vont pourtant devoir s’y faire. Car les deux éditeurs ont déjà le nez dans les manuscrits qu’ils reçoivent à la pelle, et mettent actuellement le point final aux titres qui paraîtront début 2018.