"La fin ne justifie pas les moyens, dans une Union de droit, et on ne règle pas les problèmes en allant contre la loi", a fermement rappelé la porte-parole du commissaire européen chargé de la Direction générale de la fiscalité, qui vient d'annoncer l'ouverture d'une procédure contre la France et le Luxembourg. La Commission leur reproche l'application d'un taux réduit de TVA sur le livre numérique, soit 7 % pour la France et 3 % pour le Luxembourg, depuis le 1er janvier dernier. "Totalement consciente de la distorsion de traitement entre les livres numériques et les livres papier", qui ne supportent pas les mêmes taux, la DG Fiscalité n'a pourtant pas d'autre choix que de faire appliquer la loi : le Royaume-Uni, la Pologne et les Pays-Bas, qui la respectent, se sont plaints du désavantage que subissent leurs revendeurs nationaux. Comme le prix des ebooks y est libre, Amazon, Apple, Kobo (et prochainement Sony) peuvent tranquillement profiter du différentiel depuis le Luxembourg où ils sont installés. Les Britanniques dénoncent un transfert de 37 millions d'euros pour les seuls mois de janvier et de février 2012.
Même si la DG Fiscalité fait preuve de précautions dans son communiqué, ses certitudes sont bien affichées. Elle n'a d'ailleurs laissé qu'un mois aux deux gouvernements pour s'expliquer, alors que le délai habituel est plutôt de deux mois. Si les arguments fournis sont jugés insuffisants, la Commission leur demandera "de changer leur législation via un avis motivé". Si rien n'est fait dans les deux mois suivant cet avis, la Commission transmettra le dossier à la Cour de justice européenne, qui pourra condamner les deux Etats à remettre leur réglementation en conformité avec celle de l'Union, sans conséquence financière à ce stade. A chacune de ses étapes, la procédure peut être clôturée si les mis en cause obtempèrent.
Amende et astreinte
Mais s'ils s'obstinent après un éventuel arrêt de la Cour de justice, la Commission fera alors constater ce nouveau manquement par la même juridiction, qui décidera d'une amende et d'une astreinte journalière. Le précédent ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, avait déclaré que l'Etat supporterait seul les possibles conséquences financières de la baisse de la TVA sur le livre numérique.
Aurélie Filippetti, qui lui a succédé, a déclaré à ce sujet au Syndicat national de l'édition (SNE), le 28 juin, que "la France maintiendra et défendra sa position, car elle est dans la logique de l'avenir numérique des industries culturelles". Le gouvernement savait déjà qu'une procédure serait ouverte : Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, et donc chargé des questions fiscales, était venu alerter les éditeurs. La ministre de la Culture leur a aussi rappelé le sens de leur intérêt, au côté de la continuité de l'engagement gouvernemental : "Je ne saurais trop vous inviter à répercuter sans hésitation la baisse du taux sur le prix de vos livres numériques. Nous devons pleinement jouer le jeu, sans demi-mesure. Sans quoi le soupçon s'installera, nos arguments seront affaiblis et votre image sera ternie", a-t-elle insisté. Pour le moment, seuls les groupes Gallimard, Hachette et Albin Michel ont annoncé avoir répercuté la TVA réduite sur leurs tarifs d'ebooks. Mais toute baisse conforte d'abord la place d'Amazon, d'Apple et de Fnac/Kobo qui contrôlent 75 % de ce marché naissant.