Avant-critique Récit

Jérôme Garcin est un lecteur trop averti pour ignorer ce livre, Présence des morts du merveilleux Emmanuel Berl. Il est question de cet étrange commerce qu'entretiennent souvent les garçons sensibles, les hommes, les enfants, les écrivains, avec leurs disparus. Berl écrivait : « les morts à la fois m'assaillent et me fuient », et c'est dans ce mouvement, dans sa douleur et pourtant son prodige, que parfois naît un livre.

Comme chez Garcin, donc. Que ce soit pour Olivier, son jumeau, pour son père, tombé de cheval, pour son ami François-Régis Bastide ou même pour celui qui, s'il avait vécu, aurait été son beau-père, Gérard Philipe, les plus beaux chants peut-être de l'auteur de Pour Jean Prévost auront été comme autant de tombeaux, fraternels et poignants. Mes fragiles ne fait pas exception à la règle. Encore faut-il en dire que l'écrivain s'y montre au plus près de son chagrin, de la façon la plus frontale qui soit. Cette fois-ci, c'est sa mère et son frère qui s'en sont allés. À six mois d'intervalle, comme si ces deux-là, qui n'avaient jamais vraiment été séparés, n'avaient pu se résoudre à le rester. Un temps de Toussaint. Elle emportée dans son grand âge, lui par le Covid. Elle, femme fragile et forte à la fois, protégée de ses chagrins (la perte d'un fils, puis d'un mari) par sa volonté de saisir le beau jusque dans ses occurrences les plus ténues, par sa foi (partagée souvent en sa paroisse parisienne de Saint-Séverin avec son ami Michael Lonsdale), par sa rigueur morale et finalement par la poésie qu'elle savait faire naître du quotidien. Lui, gentil ogre empêché, par cette maladie génétique dite du « chromosome X » qui le laissa à jamais handicapé, un peu sur les bas-côtés de la vie, de la sienne, et d'une bouleversante innocence. Garcin, à pas de loup, craignant que le moindre mot, la moindre phrase, ne vienne briser l'harmonie délicate de ces caractères, nous les montre dans leur dénuement comme dans leur richesse intérieure. Il faut à cela beaucoup de bienveillance, beaucoup de tact, et finalement, beaucoup d'amour. Pas mal de talent aussi pour éloigner le spectre de la mièvrerie. Ce qui passe là, en ces pages endeuillées, c'est moins la mort qu'un chant mezza voce de vie. Ces funérailles sont d'une dignité exemplaire, d'une hauteur de vue et de style sans pareille. Une leçon, une chanson douce. Qui serre le cœur.

Jérôme Garcin
Mes fragiles
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 14 € ; 112 p.
ISBN: 9782073005618

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