Avant-critique Roman

Brève rencontre. Cette histoire n'est pas datée, mais, à certains indices − l'âge d'Anaïs Nin, née en 1903, la conférence d'Antonin Artaud sur la peste, à la Sorbonne, et le fait qu'il était en train d'écrire son Héliogabale ou l'anarchiste couronné, qui paraîtra chez Denoël & Steele en 1934 −, on peut penser qu'elle s'est déroulée au printemps 1933. De mars à juin, alors qu'Hitler vient d'accéder au pouvoir en Allemagne. À Paris, une certaine bohème chic, littéraire et artistique, fait la fête entre Montparnasse et Saint-Germain-des-Prés. Mariée au riche banquier Hugh Parker Guiler dit Ian Hugo, amante de l'écrivain américain Henry Miller et aussi de sa femme June (la dame était fièrement bi), Anaïs Nin fréquente la jet-set, qu'elle reçoit dans sa villa de Louveciennes. C'est là qu'elle fera la connaissance d'Antonin Artaud, poète maudit, acteur fauché, opiomane, malade, dévoré par un feu intérieur qui le mènera à la folie. Il a sept ans de plus qu'elle. Une force puissante et irrationnelle les attire l'un vers l'autre. Ils se verront à neuf reprises, autant de fois que les chats ont de vies, seuls ou en public (mais sachant s'isoler), partageront de longues conversations, intimes, parfois fumeuses, échangeront quelques baisers passionnés... Rien de plus.

Chaque fois, Anaïs se dérobe, de façon quelque peu perverse : elle doit rejoindre son mari à Louveciennes ou son amant place de Clichy, aller voir son psy, un sadique à qui elle s'abandonne une fois, par faiblesse − c'est lui qui les a présentés. Avec Antonin, ce sont promenades dans Paris, badinage, et cet espoir entretenu que, sur un signe de lui, elle pourrait tout plaquer, tout quitter, partir au bout du monde. À Bali, où il n'est jamais allé, au Mexique, où il se rendra en 1936, chez les Indiens Tarahumaras. Sans elle. De fait, ils ne se reverront jamais après juin 1933. Arthaud mourra fou à Paris en 1948. Anaïs, elle, décédera en 1977 en Californie, remariée et bigame. Antonin a écrit son œuvre, tourmentée. Anaïs a tenu son Journal toute sa vie, où elle raconte sans fard ses amours. Il a été publié en sept tomes, de 1966 à 1981, lui assurant sa renommée d'écrivaine sulfureuse, précurseur d'un certain féminisme et d'une totale liberté sexuelle.

De l'épisode ténu et passionnel de leur rencontre, Jérôme Attal a fait un curieux roman, en neuf chapitres, où il reconstitue les scènes, et surtout les conversations entre les deux amis, longues et tortueuses comme un ping-pong verbal.

Jérôme Attal
Neuf rencontres et un amour
Fayard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 € ; 270 p.
ISBN: 9782213726021

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