Du fond des âges. « Du fond des âges. » Le général de Gaulle utilise l'expression en ouverture de ses Mémoires d'espoir (1970) pour dater l'émergence de la « France éternelle ». L'expression est peu précise pour un militaire. En revanche, pour un politique, elle témoigne d'une tactique efficace. En plein débat sur l'identité française, les flux migratoires et la perte de souveraineté, Jean-Paul Demoule est allé y voir de plus près. Ce n'est pas la première fois que ce professeur émérite de protohistoire européenne à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne s'autorise à rappeler quelques données rigoureuses sur le passé. Il donne ici une suite à On a retrouvé l'histoire de France (Robert Laffont, 2012), livre à succès (plus de 15 000 exemplaires GfK) dans lequel il démontait des lieux communs à travers les découvertes faites sur le terrain.

En douze chapitres aussi clairs que synthétiques, des plus anciens restes humains (deux dents, datant de 500 000 ans) sur le sol « français » à nos jours, l'ancien président de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) porte un regard différent sur cet imaginaire national, fabriqué en grande partie sous la III^e République, après la défaite de Sedan. Il explique qu'il n'y a aucune homogénéité de la « France » entre 4 500 et 750 ans avant notre ère, dans ce fameux « fond des âges ». « Les Gaulois ne sont pas plus nos ancêtres, qu'ils ne le sont des Belges, des Allemands du Sud, des Tchèques ou des Italiens du Nord. » La reddition de Vercingétorix a été enjolivée par -Plutarque dans des sociétés gauloises déjà romanisées. De même, le baptême de Clovis ne fut pas le baptême de l'aire française, déjà chrétienne depuis un siècle. À travers tous ces exemples, on saisit aussi le travail de l'archéologue, sa manière d'échafauder des hypothèses et de fournir des preuves.

Si les premiers chapitres constituent un évident rappel aux faits, Jean-Paul Demoule met les pieds dans le plat à mesure que l'on entre dans le contemporain. Car c'est là que les passions identitaires s'agitent. Cette « enquête archéologique » incisive, efficace et sourcée se veut un résumé de ce que l'on sait. Elle permet aussi de s'interroger en filigrane sur ce besoin des origines, qu'il s'agisse de l'univers, de l'espèce humaine ou de la France. Et s'il n'y avait pas une, mais des origines ? Serait-ce plus inquiétant pour comprendre ? Les paléoanthropologues ont montré l'aspect « buissonnant » des origines de l'homme. Ne pourrait-il pas en être de même pour cette France, marquée par des étapes décisives, mais toujours tiraillée entre ce qu'elle est et ce qu'elle voudrait être ? Cet ouvrage précis et précieux est destiné non pas à faire taire les débats mais les fables sur un passé idéalisé. Certes, il est essentiel de savoir d'où l'on vient, mais il est encore plus urgent de savoir où l'on veut aller. D'où les cinq scénarios envisagés par Jean-Paul Demoule en fin d'ouvrage. Le passé ne repasse pas, mais il fait souvent trépasser les esprits qui avancent le nez sur le rétroviseur, surtout si l'image est fausse.