2015 fut une année avec Astérix. Lepapyrus de César, deuxième album signé par le duo Didier Conrad et Jean-Yves Ferri, a été le livre le plus vendu l’an dernier tous genres confondus (1,6 million de ventes), tout comme Astérix chez les Pictes dominait déjà les meilleures ventes de 2013. Mais comment continuer à faire vivre l’irréductible Gaulois, et son cortège de recettes, pendant les années sans ? Tandis que le scénariste et le dessinateur planchaient dès le lancement du Papyrus de César sur un nouvel album, attendu vraisemblablement pour fin 2017, Isabelle Magnac et Céleste Surugue s’affairaient en coulisse. La présidente et le directeur général des éditions Albert-René, dont Hachette Livre a acquis l’intégralité des parts en 2011, dévoileront jeudi 6 octobre à l’école des Gobelins, à Paris, la couverture et quelques planches de la réédition de l’album Les 12 travaux d’Astérix, disponible le 19 octobre.
La date n’a pas été choisie au hasard. "Les 12 travaux d’Astérix est un dessin animé culte sorti le 20 octobre 1976, soit quasiment quarante ans jour pour jour avant l’album, explique à Livres Hebdo Isabelle Magnac. C’est le seul film d’animation réalisé par Albert Uderzo et René Goscinny qui ne soit pas adapté d’une bande dessinée. Il était évident d’intégrer cet album à la collection." Si de nombreux fans d’Astérix connaissent déjà l’histoire, Isabelle Magnac et Céleste Surugue ont sélectionné avec Albert Uderzo des croquis réalisés pour le film d’animation mais jamais montrés au grand public, afin de recréer une quarantaine de dessins inédits, encrés et colorés. De quoi faire mousser la légende autour de cette nouvelle édition qui paraîtra en sortie mondiale, simultanément en Italie, Allemagne, Hollande, Espagne, Angleterre, Brésil et Pologne.
Deux maisons pour Astérix
L’attente n’est pas la même que pour un Conrad-Ferri, les enjeux non plus, comme le montre le tirage, "un peu léger", selon Isabelle Magnac, de 100 000 exemplaires en France. Mais la directrice d’Hachette Illustré met en avant la "valeur patrimoniale" du projet, et son "engagement moral à faire vivre le fonds et à promouvoir l’œuvre d’Uderzo et Goscinny". De là à prévoir, tous les deux ans, ce type de projet ? "Si Albert Uderzo et Anne Goscinny [la fille de René Goscinny] acceptent de nous confier des scénarii et dessins inédits, nous nous faisons un devoir de le montrer aux lecteurs", acquiesce Céleste Surugue.
Une nouveauté les années impaires, un classique remastérisé les années paires, la mécanique Astérix sous pavillon Hachette semble bien huilée. Mais la reprise d’Albert-René ne s’est pas faite sans heurt. "C’est un dossier compliqué parce qu'Astérix est un personnage important", élude Isabelle Magnac, en référence au procès qui a opposé Sylvie Uderzo, directrice générale d’Albert-René pendant vingt ans, à son père, au moment de la première cession à Hachette (60 % des parts) en 2008. La présidente s’en tient d’ailleurs au discours officiel. "Depuis la reprise, tout a toujours été fait, dans le domaine de l'édition et dans le domaine audiovisuel, en accord avec ce que souhaitaient Albert et Anne." Céleste Surugue souligne quant à lui le succès "non seulement commercial mais aussi critique" des premiers Astérix nouvelle génération, et assure être pleinement satisfait de la deuxième vie audiovisuelle du Gaulois moustachu, entre le film Au service de Sa Majesté de Laurent Tirard (2012), le dessin animé Le domaine des dieux, réalisé par Alexandre Astier et Louis Clichy (2014) et un nouveau film d’animation en préparation.
Rien ne filtrera, en revanche, du prochain Ferri-Conrad - "c’est un travail de création, il faut laisser les auteurs avancer dans la sérénité", soufflent les deux gérants -, qu’il s’agisse du scénario, ou de la marque sous laquelle il sera publié. Car la collection se partage toujours entre Hachette, qui possède les droits d’exploitation des 24 premiers volumes, et la maison Albert-René, fondée par Albert Uderzo en 1979, deux ans après la mort de son complice, et éditrice de tous les albums à partir du Grand fossé (1980). Depuis le rachat, la question d’un regroupement sous une seule entité se pose légitimement. "Cela pourrait avoir du sens, mais ce n'est pas un projet", indique Isabelle Magnac.
Autonomie
La présidente d’Albert-René, qui en a été directrice générale de 2008 à 2014 avant de céder sa place à Céleste Surugue, reste attentive au destin d’un fleuron d’Hachette Illustré (regroupant la jeunesse, le pratique, le tourisme, les beaux livres, la BD et le manga), qu’elle dirige depuis 2003 avec la confiance d’Arnaud Nourry, le P-DG du groupe. Si la branche "se porte bien", elle n’est pas à l’abri des chamboulements, tout l’enjeu consistant à savoir réagir vite et à s’adapter. Ainsi, le marché du manga a été déstabilisé, au cours de la dernière décennie, par l’implantation en Europe des deux géants japonais Shueisha et Shogakukan via la joint-venture Viz Media. Isabelle Magnac affiche cependant son optimisme pour la filiale Pika, troisième éditeur du secteur, en croissance de 10 % entre 2014 et 2015, et sa confiance dans le rôle des éditeurs français en tant que "partenaires" des éditeurs japonais.
Le marché du tourisme s’est, lui, durci avec la concurrence d’Internet et l’arrivée de nouvelles collections, proposant des guides plus courts et moins chers. Mais Hachette Tourisme reste de loin la première maison du secteur, notamment grâce au virage numérique pris par le célèbre Guide du routard, et sa plateforme Routard.com, "un bon complément pour les guides papier et une source de revenus", selon la directrice. Reste la spécificité de la rivalité, au sein du groupe, entre deux maisons leaders du secteur pratique mais très concurrentes. "Là où nous avons réussi, en jeunesse, à implanter quatre marques sur des périmètres différents, Marabout et Hachette Pratique ont également su créer des marques fortes. Les deux ont du succès, et je ne vois pas de raison de changer une formule qui fonctionne", note Isabelle Magnac, qui rappelle la grande autonomie laissée, au sein du groupe, aux différentes structures.