Flots amers. Dans la baie de Saint-Malo, l'île de Cézembre guide les hommes depuis qu'ils se sont élancés sur les mers. Parmi eux, Octave de Kérambrun qui, fasciné par la technique, le progrès et la vitesse, fonde en 1904 une compagnie de transport maritime, fleuron de la cité corsaire. Une compagnie dont ses descendants héritent, jusqu'à ce que son arrière-petit-fils, Yann de Kérambrun, préfère céder ses parts à sa cousine, une décision qui fera de lui le mouton noir de la famille. À la mort de son père et à la suite de son divorce, Yann quitte son poste de professeur d'histoire à Paris pour emménager aux Couërons, la demeure malouine dont il a hérité. Des fenêtres de la maison, on distingue les monticules jumeaux de Cézembre ayant servi de modèle au logo de Kérambrun & Fils. Délaissant son projet d'écriture d'une grande histoire de la piraterie en Méditerranée, Yann se plonge bientôt dans les archives de la compagnie, fasciné par l'ambition et la clairvoyance de son aïeul qui, à tout juste 24 ans, était convaincu du potentiel de la machine à révolutionner le travail maritime. « Elle rendra la mer plus sûre, écrit-il dans ses carnets, grâce à elle, c'en sera fini des veuves de patrons-pêcheurs condamnées à la misère. » Des zones d'ombre viennent néanmoins ternir l'histoire de cette éclatante réussite, que Yann entreprend de lever pour transmettre à son propre fils l'histoire de sa famille. « Au vu de ce que je découvrais du génie de mon aïeul, nous aurions dû entendre parler de lui du matin au soir. [...] Or cela n'avait pas été le cas. Pourquoi ces silences, alors que nous passions tous nos étés dans la maison qu'il avait bâtie ? »

« J'ai le goût de l'archive » indique, au début du roman, Yann de Kérambrun. Une affirmation qu'Hélène Gestern − qui a reçu le Grand Prix RTL-Lire pour 555 (Arléa) en 2022 − semble avoir faite sienne tant une lettre, une photographie ou un objet surgi du passé ont le pouvoir de féconder son œuvre romanesque, de faire naître des personnages, de tisser la toile d'une nouvelle intrigue. Liant la légende noire de Cézembre (une île longtemps restée inaccessible à cause du déluge de feu qui s'est abattu sur elle en 1944) aux non-dits d'une famille tournée vers les flots amers, l'écrivaine nous entraîne dans une grande saga familiale ancrée dans un territoire, la Bretagne, dont les embruns imprègnent chaque page de ce récit impeccablement construit. Navigant entre présent et passé, entre les voix des vivants et des défunts, Cézembre est aussi une histoire de la folie des hommes face aux éléments, des sacrifices nécessaires à l'invention d'un nouveau monde.