Devant la puissance d'Amazon et les dérèglements qu'elle entraîne ou risque d'entraîner dans les marchés de plusieurs pays, on entend s'insurger des libraires, un peu moins les éditeurs, et fort peu les auteurs. C'est fini, du moins en Allemagne où Günter Wallraff, journaliste d'investigation et écrivain renommé, s'est déclaré extrêmement choqué par les méthodes employées par Amazon pour surveiller son personnel saisonnier, méthodes révélées par un documentaire diffusé sur la chaîne ARD.

Günter Wallraff demande aux autres écrivains de le suivre dans cette prise de position. Même s'il ne peut pas empêcher Amazon de s'approvisionner auprès des distributeurs, l'auteur allemand incite les consommateurs à changer leurs habitudes : «qu'ils aillent dans les librairies, où les livres sont disponibles du jour au lendemain!» clame-t-il dans le magazine Buchreport. Wallraff affirme que son éditeur comprend et accepte sa décision, même s'il compte continuer à travailler avec Amazon : «Bien sûr, je ne peux pas peser sur sa décision, mais je continuerai à m'exprimer publiquement sur le sujet», a-t-il précisé.

Une telle attitude n'étonne pas venant d'un journaliste qui s'est donné pour mission de dénoncer les situations qui lui semblaient choquantes, voire scandaleuses, avec un soin particulier porté à toute manifestation de «racisme ordinaire». Günter Wallraff est un homme aux mille visages, qui n'hésite pas à se grimer pour s'infiltrer dans les lieux de ses enquêtes, ce qui lui a valu d'être régulièrement inquiété.

En France, on le connaît surtout pour le personnage de travailleur turc qu'il s'est façonné afin d'entrer en immersion dans des entreprises où il subissait des conditions de travail inacceptables et où lui furent infligées les brimades réservées aux travailleurs immigrés. Il en a fait un livre, publié en 1985, Ganz unten, paru en France à La Découverte sous le titre Tête de turc. Il s'est aussi, entre autres, fait engager comme journaliste sous une fausse identité pour mener une enquête au sein de Bild, le journal à scandales du groupe Springer, et s'est déguisé en SDF pour dénoncer les conditions de vie des sans logis.