Un Bouvier d'aujourd'hui. À l'hiver 2022, nonobstant les inquiétudes de ses proches et les objurgations tardives du Quai d'Orsay (notre ami était déjà dans l'avion pour Téhéran lorsque la cellule de crise du ministère des Affaires étrangères l'a appelé), François-Henri Désérable a décidé de partir pour un voyage en Iran. Histoire de mettre ses pas dans ceux de Nicolas Bouvier (1929-1998), l'illustre globe-trotteur suisse, père avec quelques autres (comme le Polonais Ryszard Kapuściński ou l'Américain Paul Theroux, également cités dans le livre) de tous les travel writers modernes. En 1954, Bouvier, avec son complice le peintre Thierry Vernet, s'était embarqué pour ce qui était encore le royaume du Shah. Une dictature cynique et corrompue, dont on n'a pas oublié la sinistre Savak, la police politique et ses crimes. Mais, depuis la Révolution islamique de 1979, la mollahcratie au pouvoir à Téhéran n'a rien à lui envier.

En plein mouvement de contestation, sauvagement réprimé par la police des mœurs, les pasdarans, « Gardiens de la révolution », et autres bassidjis, « miliciens », suite à l'assassinat par la police de la jeune Kurde Mahsa Amini, Désérable a décidé « d'aller voir », comme disait Pierre Loti, un autre de ses maîtres, dont il cite le fameux Vers Ispahan (1904). Entre autres qualités, ce garçon a de solides lectures voyageuses. Il leur adjoint Stendhal, avec sa définition du roman comme « un miroir que l'on promène le long d'un chemin », qui s'applique encore mieux au récit de voyage. « On va de ville en ville un miroir à la main : des paysages, des visages s'y reflètent ; on décrit les uns, on écrit les autres ; on oublie beaucoup », écrit Désérable, même si sa mémoire est aidée des photos qu'il prend.

Dans un premier temps, l'écrivain reporter joue les touristes. Il effectue une grande boucle à travers tout le pays : Téhéran, où il s'ennuie un peu ; Qom, la ville sainte sinistre avec des mollahs partout ; Kashan ; Ispahan, ville morte à cause des manifestations et de leur répression ; Chiraz, la ville du poète national persan Hafez ; Persépolis ; Yazd et sa communauté zoroastrienne, dont les tours du Silence ont été interdites par les musulmans chiites, ultramajoritaires dans le pays ; Kerman, où il passe pendant la coupe du monde de foot au Qatar (Iran 0 - États-Unis 1, et tout le monde s'en fout) ; Bam, où il s'agrège à une bande de sympathiques routards allemands-suisses-cambodgiens ; le désert de Lout ; l'oasis secrète de Keshit ; Zahedan au Baloutchistan sunnite et discriminé, où l'Allemand Marek cherche la traduction en baloutche du Petit Prince de Saint-Exupéry ; puis retour à Téhéran. Partout, de belles rencontres : Niloofar la pasionaria, Ali le chauffard, Yassin le prof retraité pieux et prorégime (une exception), ou encore, à Tabriz, Amir le garagiste ostéopathe. Désérable, plutôt que de repartir, a décidé de pousser jusqu'au Kurdistan, jusqu'à Saqqez, la ville de Mahsa Amini, là où la révolte a commencé. Ce qui lui vaudra d'être repéré par la police, interrogé, puis expulsé fissa du pays.

Tout cela est raconté avec humour, élégance et une profonde empathie pour les Iraniens et Iraniennes, peuple courageux qui va peut-être enfin secouer ses chaînes et faire tomber la sanglante dictature islamique de Khamenei.