« Pourquoi, vous, éditeurs, avez-vous eu envie de publier ce livre ? » interroge Jacques Braunstein, rédacteur en chef de Livres Hebdo, en introduction de la deuxième édition du Forum de rentrée littéraire qui s’est tenue mardi 18 juin, aux côtés de la journaliste et grande figure de la culture Laure Adler. Réunies par la rédaction au cœur du chic Carré des collectionneurs, à la librairie 7L - qui abrite l’ancien studio photo du créateur Karl Lagerfeld aux murs couverts de livres -, treize des plus grandes maisons françaises de littérature ont déroulé les titres forts de la rentrée d’automne. Dans la salle comble, des représentants issus des médias de la télévision, de la radio et de la presse écrite, ainsi que des influenceurs et des libraires étaient venus prendre le pouls de cette rentrée littéraire 2024.
Le bal des présentations a commencé dans la matinée avec une première table-ronde ouverte par l'annonce du nouveau titre d’Alice Zeniter, Frapper l’épopée, introduit par Alix Penent, directrice littéraire à Flammarion. « Avec cet ouvrage, Alice renoue avec le roman et raconte la complexité de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et de sa colonisation », a détaillé l’éditrice, précisant la parfaite coïncidence temporelle entre la parution du titre et l’actualité. Mais l’autrice de Juste avant l’oubli (2015) n’est pas la seule que la filiale de Madrigall propulse de nouveau au-devant de la scène. Grégoire Bouillier, qui avait marqué la critique en 2022 avec Le cœur ne cède pas, revient avec Le syndrome de l’orangerie, - « un petit livre de 400 pages » ironise son éditrice -, une enquête sur l’étrange sentiment que produisent les Nymphéas de Monet sur l’auteur.
Des sélections plus resserrées
Ces deux pointures comprises, le catalogue de rentrée de Flammarion ne comptera que huit titres, dont deux de littérature étrangère. Un nombre auquel se sont également restreintes les éditions Stock, représentées par leur directeur général, Manuel Carcassonne : « Je crois que nous avons tous envie de ne pas trop publier, de présenter une composition qui tâche de ne pas trop déborder ». Parmi ses auteurs de la rentrée, il évoque Daphné Tamage qui offre Le retour de Saturne, un roman d’initiation au ton caustique, et Emmanuel Ruben pour Malville, roman dans lequel sévit une catastrophe nucléaire dans l’ouest de la France.
Cravate rouge nouée autour du cou, Jean-Luc Barré énumère également, pour la première fois en tant que directeur de Plon, les différents ouvrages prévus pour la rentrée. Parmi eux, La fille de l’autre de Caroline Thivel, récit autobiographique qui sort de l’anonymat le poète Alain Borne, dont la notoriété ne fut qu’éphémère. Fidèle à elle-même, la maison « des hommes politiques » a également programmé Nicolas Idier qui, avec Une nuit à Matignon, narre un périple nocturne « entre enfermement et évasion ».
Des récits de l’intime
Mais l’époque s’est aussi entichée des récits de l’intime, auquel le nouveau Thomas Louis, Le processus de tendresse (Plon), fait la part belle. À l’instar de Virginia Tangvald, jeune pousse des éditions JC Lattès présentée par Véronique Cardi, et qui signe, en guise de premier roman, une autofiction aux allures de thriller intitulée Les enfants du large. Inspirée par les références mythologiques, Isabelle Sorente revient quant à elle avec Medusa comme autrice, et donne voix au chapitre, comme éditrice, à Gilles Leroy qui publiera Le monologue de la louve dans la collection « Bestial » qu'elle a cofondée chez JCLattès avec Clara Dupont-Monod.
Menée par Olivier Nora (Grasset), Jean-Marie Laclavetine (Gallimard) et Anne-Sylvie Bameule (Actes Sud), la deuxième table-ronde organisée par Livres Hebdo a réveillé des plumes endormies. Après huit ans d’absence et cinq albums de musique, Gaël Faye poursuit donc l'analyse du génocide rwandais qu’il avait convoqué dans son excellent Petit Pays, prix Goncourt des lycéens 2016 transposé sur grand écran. « Après une œuvre aussi spectaculaire, il y a la crainte que l’auteur ne soit que l’auteur d’un texte », a notamment confié Olivier Nora, rassuré à la lecture de Jacaranda par la maturité gagnée par son auteur.
Celui-ci n’a cependant pas le monopole de la difficile question de la transmission. Publié par Gallimard, le franco-algérien Kamel Daoud ravive, avec Houris, la douleur de la cicatrice laissée par la guerre d’indépendance et la guerre civile, dans les années 1990. Une douleur cristallisée autour du corps de la femme, endeuillé par la perte d’un enfant, que l’autrice Doan Bui raconte dans Un pays de Nulle part (Grasset). La thématique de la violence a aussi donné matière aux auteurs comme Jérôme Ferrari, qui revient avec Nord sentinelle (Actes Sud), ou Mathieu Larnaudie qui dénonce, dans Trash Vortex, « le capitalisme final ». À l’inverse, Nina Leger s’est emparée, avec Mémoires sauvées de l’eau (Gallimard) du double génocide, des autochtones et de l’environnement, causé par la frénétique ruée vers l’or californienne.
Résonances avec l'actualité
Durant la troisième table ronde, Maud Simonnot des éditions du Seuil évoque Les derniers jours du parti socialiste d’Aurélien Bellanger et ses résonances avec l’actualité. Mais aussi Anne d’Angleterre le roman intime de Julia Deck sur sa mère alors que Philippe Robinet, le directeur général des éditions Calmann-Lévy loue les qualités de conteur de Guillaume Sire, l’auteur de la fresque Des grandes patries étrangères, et d’À l’ombre des choses, premier roman sensible et musical d’Anatole Edouard Nicolo. Il se félicite également d’une rentrée littéraire plus resserrée. Quatre romans français et un étranger dans le cas de Calmann-Lévy. Alors que la directrice éditoriale de Robert Laffont, Alice d’Andigné évoque le livre d’Alain Mabanckou Cette femme qui nous regarde dans lequel il dit son admiration pour Angela Davis. Et dans un tout autre genre, La Reine du labyrinthe, thriller en costume autour du collier de la reine Marie-Antoinette par Camille Pascal.
Enfin lors d’une dernière table ronde Adrien Bosc des éditions Julliard défend le nouveau roman d’Abdellah Taïa, Le bastion des larmes dans lequel le prix de Flore 2014 évoque la mort de sa mère et ses sœurs restées au Maroc. Et L’éclipse de Sarah Bussy où il est question d’une femme qui abandonne tout. Alors que dans L’impossible retour l’incontournable Amélie Nothomb parle au contraire de sa difficulté à quitter les lieux où elle vit. Comme nous l’explique Véronique Ovaldé, éditrice chez Albin Michel qui évoque également, la nouvelle autofiction intime d’Emma Becker : Le Mal joli. Enfin Dorothée Cunéo, la patronne des éditions Denoël, défend quant à elle les très contrastés Cette vieille chanson qui brûle d’Alexandre Lenot où il est question d’enfants élevés dans la nature et Les œuvres intérieures de Charlotte Augusta qui se déroule dans les couloirs feutrés d’une fondation d’art contemporain.
L'intégralité des échanges sera accessible en vidéo à partir du 1er juillet 2024.