Entretien

Fabienne Pascaud : « Un magazine plus sexy, plus rigolo »

OLIVIER DION

Fabienne Pascaud : « Un magazine plus sexy, plus rigolo »

Finies, la morosité et l'austérité à Télérama ! Fabienne Pascaud, directrice de la rédaction, ouvre les volets et part à la conquête des 30-40 ans avec une formule plus gaie et lumineuse, en kiosque le 28 mars.

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avec Créé le 04.02.2015 à 16h04

Livres Hebdo - Vous lancez le 28 mars une nouvelle formule de Télérama, à peine plus de six ans après l'actuelle. Pourquoi ?

Fabienne Pascaud - Il s'est passé tellement de choses en six ans ! Internet, les écrans, une autre manière d'utiliser les médias... La presse a perdu son influence et nos rôles se sont un peu réduits. Il faut trouver un moyen de redoper les ventes en kiosque, d'appâter toute une frange de lecteurs auprès desquels nous avons une image d'austérité.

En 2006, vous accusiez déjà une perte de 100 000 exemplaires en kiosque, au profit des abonnements, pour un total de 650 000 exemplaires diffusés. Cette perte s'est donc accentuée ?

Les abonnements sont en hausse avec 560 000 exemplaires. Mais effectivement, les ventes en kiosque, de 130 000 exemplaires en 2006, ne sont plus aujourd'hui que de 75 000, soit une baisse de 42 %. Nous voulons reconquérir le public, auprès de qui nous avons sans doute une image trop institutionnelle, sérieuse, donneuse de leçons.

Qu'allez-vous faire ?

Nous allons, via la culture, qui reste notre préoccupation, redonner le plaisir de la lecture avec plus de subjectivité, plus d'insolence, plus d'impertinence. La maquette sera plus aérée, plus blanche. On essaiera de trouver le ton pour séduire les 30-40 ans, qui n'ont pas forcément notre culture générale, sans toutefois supposer acquis notre lectorat des quinquas qui, certes, vieillit, mais vieillit plutôt moins qu'ailleurs. Avec une pagination constante, nous voulons donner davantage envie de lire et être un journal plus sexy, plus rigolo. Jusqu'à présent, nous faisions un journal gris, et les gens que l'on prenait en photo, même les acteurs, faisaient la gueule. On veut moins de morosité. Ce qui change, c'est l'état d'esprit de Télérama, qui va s'ouvrir pour être plus gai, plus lumineux. Mais cette révolution culturelle est à accomplir d'abord en nous-mêmes, à la rédaction.

Avec le même contenu ?

Nous voulons avant tout rester un magazine culturel. Nos confrères des news ont quitté le terrain culturel, je pense que nous avons un boulevard à prendre dans ce domaine. Télérama décrypte aussi la société et la politique via la culture, via les médias, mais parfois nous avons été trop sociétal, les lecteurs ne nous attendent pas sur ce type de chose. Plutôt que d'essayer de rivaliser avec Le Nouvel Obs, L'Express ou Le Point, nous allons remettre la culture en vedette.

A quoi ressemblera-t-il ?

La partie magazine sera plus étendue avec un invité dès la première page, juste derrière la couverture marquée d'un nouveau logo et avant même le sommaire, qui sera plus éditorialisé afin de renouer la connivence avec nos lecteurs. On dynamisera le rythme avec des longueurs d'articles différentes. On introduira plus de reportages et plus de récits, qui pourront être signés par des écrivains. Dans chaque numéro, un intellectuel étranger nous aidera à répondre à une question.

La place du livre restera-t-elle identique ?

Il y aura toujours un cahier critique de livres de 4 ou 5 pages avec des ouvertures. Il sera désormais illustré par des photos. Avec les dessins, nous perdions un peu de vie. Comme pour l'ensemble du journal, j'ai demandé à Nathalie Crom, qui dirige le service littéraire, d'ouvrir à des secteurs jusqu'à présent inexplorés, tels le polar ou la bande dessinée. Je souhaite, tout en gardant notre exigence, plus de littérature "plaisir". Si tout ne fait pas vendre, nous sommes très prescripteurs. La force de Télérama, c'est que nos lecteurs y vont, consomment du cinéma, du théâtre, de la lecture ou des disques. Nous allons d'ailleurs revenir aux 4 clés qui ont fait la marque de Télérama, et j'ai demandé à Riad Sattouf de redessiner notre Ulysse. Nous avions trop souvent tendance à dupliquer dans les pages magazine nos choix de critiques. Or c'est important de montrer pourquoi un phénomène marche sans qu'il corresponde forcément au goût de nos critiques. Je pense que l'on est à un moment où il faut ouvrir le plus possible si on veut amener à la culture le plus de gens possible, et il y aura de nouvelles rubriques. La photo, à laquelle on accorde ici une grande importance, peut aussi être un moyen d'attirer les gens. J'ai deux fils qui ne lisent pas, qui sont sur Internet toute la journée, il faut bien trouver un moyen pour les récupérer, les séduire, les intéresser, les piquer ! J'ai l'impression que c'est notre dernier combat, mais il en vaut vraiment la peine.

Que pensez-vous du monde du livre par rapport aux autres secteurs culturels ?

Je le trouve plutôt plus ouvert, moins corporatiste. Les gens y sont moins repliés sur leur spécialité, ils sont plutôt intelligents, partageurs. Moi qui côtoie aussi le monde du théâtre et des arts plastiques, je prends plus de plaisir à discuter avec les gens du livre.

Allez-vous ouvrir vos colonnes à des collaborateurs extérieurs médiatiques ou à des écrivains ?

Il y a eu une clause de cession importante à Télérama. Après le départ de Martine Laval, j'ai engagé Juliette Cerf pour les essais, mais c'est tout. Je pense vraiment que la critique est un métier. Et je me méfie des écrivains, je crains les renvois d'ascenseur, même si beaucoup de journalistes écrivent pour la chapelle. Et Twitter n'arrange pas les choses. Dans tous ces jeux de miroir, c'est difficile d'échapper au narcissisme.

Cependant les réseaux sociaux sont devenus incontournables et vous les utilisez.

C'est un moyen de se faire connaître et justement peut-être d'accrocher des gens qui ne nous liraient pas autrement ! Mais l'info simultanée traitée par Twitter, je ne suis pas pour. A Télérama, il nous faut le temps de la réflexion, c'est aussi notre fonds de commerce. Quand je suis arrivée ici, le directeur de la rédaction disait toujours : "No scoop !"

La télévision conservera-t-elle sa place prépondérante dans le magazine ?

Sur notre site, les visiteurs viennent pour moitié pour nos programmes de télévision. Les études prouvent pourtant qu'un magazine télé papier a encore un bel avenir. Les gens ne sont pas prêts à basculer sur le Net. Mais nous élargirons la place de la radio ainsi que celle des nouvelles pratiques culturelles comme le podcast et la VOD.

Le site Télérama.fr subira-t-il la même révolution ?

Notre site est très bien fait, mais il n'est pas assez "serviciel". Dès le 28 mars, nous offrirons un accès direct aux chaînes de télévision dès la home page, ainsi qu'un service cinéma et concerts qui doit être prescriptif tout de suite. Je souhaite un accès plus direct aux services de Télérama, qui ne l'oublions pas signifie "Télé, Radio et cinéMa". Nous n'y développerons pas la critique littéraire mais en revanche les articles du magazine sont mis en ligne. La seule exclusivité littéraire est celle du blog de Marine Landrot. Mais la rédaction s'oblige à être bimédia et je tiens compte du temps passé par les journalistes pour le site dont l'accès est gratuit et financé par la publicité. Et nous reformatons également notre supplément Sortir qui utilisera de meilleures photos et se recentrera sur les bonnes adresses parisiennes.

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