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Enquête au pays du livre numérique

Enquête au pays du livre numérique

Pour la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les contrats entre éditeurs et revendeurs de livres numériques ne respectent pas toujours le code du commerce, et un marché public a fait l’objet d’une pratique anticoncurrentielle.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 09.09.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 09.09.2016 à 10h38

"Si les géants américains de l’Internet qui ont investi le marché français du livre numérique disposent de parts prépondérantes en aval de la chaîne, la loi sur le prix unique du livre numérique, associée au contrepoids réel que représentent les gros éditeurs et diffuseurs-distributeurs qui détiennent des catalogues incontournables, permet de préserver un relatif équilibre", estime la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en synthèse d’un rapport sur le marché des livres numériques en France publié avant l’été.

Réalisée en 2014 et 2015, l’enquête a mobilisé une dizaine de directions régionales dont les inspecteurs ont effectué 184 contrôles et se sont déplacés dans 76 établissements (administrations et entreprises). "Onze étaient en anomalie. Ces anomalies ont toutes donné lieu à la rédaction d’avertissements, principalement sur des questions de facturation ou de délais de paiement", signale le rapport.

Amazon et Apple

Certains des délais de paiement pratiqués vont "parfois au-delà des plafonds légaux" qui sont de 30 jours, la mesure dérogatoire introduite à la demande de la filière ne s’appliquant qu’au livre papier, rappelle la DGCCRF. Des avertissements concernent aussi des "différences constatées entre remise contractualisée et remise perçue", ainsi que des clauses de préavis de rupture trop courts. L’organisme de surveillance de la concurrence a regardé de près les accords signés avec Amazon et avec Apple. Si les éditeurs, ou leurs diffuseurs-distributeurs, ont pu obtenir des contrats d’un an adaptés à l’évolution du marché, "la commission perçue (30 %) est en revanche rarement négociable auprès des géants américains". Plus globalement, "la répartition du prix du livre, compte tenu des intermédiaires, respecte en gros les proportions suivantes : 50 à 60 % pour l’éditeur, 30 % pour l’e-libraire, 20 % pour le diffuseur-distributeur". Le rapport évoque le prix du livre numérique "jugé excessif par le consommateur (en général 30 % moins cher que le livre papier, mais globalement plus cher qu’un livre de poche)", sans faire de lien avec la faiblesse du marché, également constatée.

Le marché reste organisé par des contrats de mandat, en dépit de la loi sur le prix du livre numérique qui fournit un cadre réglementaire aux relations entre éditeurs et revendeurs, similaire à celui du livre papier. C’est une précaution révélatrice de la prudence de l’édition : dans ces contrats, "le mandant dicte les conditions d’exécution du mandat au mandataire. Les éditeurs et diffuseurs-distributeurs les plus importants ont pu amener les e-libraires à souscrire ce type de contrat, qui leur laisse une grande latitude dans la gestion de l’offre et les modalités de commercialisation de leur ouvrage au public, y compris sur les plateformes des géants américains". Avec des diffuseurs-distributeurs moins puissants, ces géants ont toutefois pu négocier des contrats de commission, identiques dans les principes mais plus souples pour eux. Les inspecteurs ont également rappelé l’enquête de la Commission européenne sur la clause de la nation la plus favorisée imposée par Amazon.

Si la mission a épluché les contrats entre libraires numériques et éditeurs, elle a aussi examiné les marchés publics passés par les bibliothèques. "L’examen des résultats d’un appel d’offres a donné lieu à la rédaction d’un indice de pratique anticoncurrentielle, dans le cadre d’un marché public passé par une communauté d’agglomération en vue de l’approvisionnement d’une médiathèque en ouvrages numériques", indique le rapport. L’affaire a été jugée assez sérieuse pour susciter une investigation plus poussée. A ce stade, la DGCCRF n’a pas souhaité préciser qui serait mis en cause. Son rapport prévient que l’examen des contrats se poursuit, et qu’elle restera vigilante sur les marchés publics, tout particulièrement pour le scolaire, eu égard au vaste plan d’achat de contenus numériques de cette rentrée.

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