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Dossier rentrée littéraire 2019 : Moins et mieux

Rentrée littéraire Seuil au couvent des Récollets à Paris. - Photo Olivier Dion

Dossier rentrée littéraire 2019 : Moins et mieux

Avec seulement 524 nouveaux romans, la rentrée 2019 se révèle la plus compacte depuis vingt ans. Les programmes témoignent des changements stratégiques amenés par le grand mercato qui a touché l'édition littéraire.

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Par Pauline Leduc,
Isabel Contreras,
Alexiane Guchereau,
Claude Combet,
Créé le 10.07.2019 à 17h39

Pour la deuxième année consécutive, la rentrée littéraire s'annonce plus compacte. D'après nos données Livres Hebdo/Electre Data Services, 524 nouveaux romans sont annoncés entre mi-août et octobre, contre 567 à la rentrée 2018, (-7,6 %). Avec 188 titres (contre 186 l'an passé), la production de littérature étrangère affiche une belle stabilité après plusieurs années de cure d'amaigrissement, tandis que le nombre de romans français chute de 11,8 %, de 381 à 336 titres, son niveau le plus bas depuis vingt ans.

Gilles Haéri, P-DG d'Albin Michel, présente à la Maison de l'Amérique latine sa rentrée littéraire.- Photo OLIVIER DION

« Pour répondre à ce qu'il faut bien finir par nommer une "crise" de l'édition, il y a plusieurs options dont la plus simple consiste à faire moins et mieux », estimait Manuel Carcassonne, directeur général de Stock, à l'occasion de la présentation de sa rentrée littéraire aux libraires. La maison programme 10 titres (contre 13 l'an passé) parmi lesquels les têtes d'affiche Luc Lang, Jean-Luc Coatalem, Claire Berest, Erik Orsenna, mais aussi deux premiers romans dont celui de Romane Lafore, éditrice aux Presses de la Cité, qui passe de l'autre côté de la barrière. D'autres éditeurs ont fait le choix d'une rentrée resserrée. Le Mercure de France publie trois auteurs, dont Astrid Eliard et Agnès Vannouvong, qui signe son 4e roman, L'Olivier en édite 2, dont le très attendu Jean-Paul Dubois, Robert Laffont en prévoit 5 pour août, dont Jérôme Attal et Sophie Fontanel, quand Albin Michel aligne 13 romanciers contre 16 l'an passé.

Pour sa première rentrée littéraire rue Huyghens, Gilles Haéri, ancien P-DG de Flammarion, a affiché ses ambitions lors de la traditionnelle présentation à la Maison de l'Amérique latine (Paris, 7e). S'inscrivant dans les pas de Francis Esménard, il a rappelé que « ce qui fait la noblesse et le sel de ce métier, ce n'est pas de se reposer uniquement sur les auteurs à succès, mais d'essayer d'en découvrir de nouveaux ». D'où une programmation associant poids lourds - Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt ou Franck Pavloff -, seconds romans - Emmanuelle Favier -, transferts - Fatou Diome, qu'il amène de Flammarion - et primo-romanciers avec Victoria Mas. Il est loin d'être le seul à porter cette année, pour la première fois, la programmation de grandes maisons tant le mercato qui se joue dans l'édition de littérature depuis un an a remodelé le paysage éditorial (1). S'il faudra quelques années pour mesurer pleinement l'impact de ces nouvelles donnes, les premiers effets se font déjà sentir chez certains éditeurs.

Premières rentrées des éditeurs

Au Seuil, Hugues Jallon, venu de La Découverte, appose sa touche en délocalisant la présentation de rentrée sur la rive droite, où il a dévoilé la nouvelle couverture de la collection « Cadre rouge » et la gazette de rentrée littéraire. Des changements de forme mais une rentrée toujours aussi engagée, portée par Kaouther Adimi, deux ans après Nos richesses (prix Renaudot des Lycéens), Patrick Deville, Bernard Chambaz ou Vincent Message qui a travaillé près de dix ans à Cora dans la spirale. Chez Gallimard, Karina Hocine, qui vient d'arriver au poste de secrétaire générale littérature, ramène de Lattès Monica Sabolo. A ses côtés, on retrouvera plusieurs auteurs particulièrement attendus : Nathacha Appanah, succès 2017 avec Tropique de la violence et ses 14 prix, Karine Tuil, Olivier Rolin, Aurélien Bellanger, Violaine Huisman ou encore Philippe Forest.

Toujours chez Madrigall, le nouveau binôme Anna Pavlowitch-Patrice Margotin, à la tête de Flammarion, défend une rentrée resserrée autour de 7 romans français dont deux poids lourds, Brigitte Giraud et Olivier Adam, et 3 nouveaux auteurs au catalogue (voir encadré p. 104) Irina Teodorescu, Charly Delwart et Emma Becker qui seront accompagnés d'un nouveau dispositif de podcasts dédiés. Chez P.O.L, Frédéric Boyer porte intégralement cette rentrée, « la première sans aucune trace de Paul Otchakovsky-Laurens puisque certains de ses textes étaient encore programmés l'an passé », constate gravement l'ancien directeur éditorial de Bayard, qui ne compte pas « réinventer » la maison mais s'inscrire dans les pas de son fondateur. Au programme, un premier roman reçu par la poste de Théo Casciani, un nouveau Marie Darrieussecq, ou encore Joël Baqué très attendu après La fonte des glaces. Travail dans la continuité aussi pour Dana Burlac qui creuse à L'Observatoire les sillons de la découverte et de la littérature du réel avec le deuxième roman d'Odile d'Oultremont (prix Closerie des lilas pour Les déraisons) et un premier roman déjà vendu dans plusieurs pays d'Abel Quentin.

Sophie Charnavel, directrice déléguée de Plon depuis septembre dernier, appuie son programme sur deux figures publiques, le rappeur Abd Al Malik et le critique gastronomique François Simon, quand Lisa Liautaud, nouvelle directrice littéraire chargée de la fiction française chez Calmann-Lévy, amène Philippe Hayat et s'entoure du populaire Yann Queffélec. Enfin, fraîchement arrivée chez Lattès, Véronique Cardi n'a pas encore eu le temps d'apposer sa marque sur la rentrée de la maison qui s'appuie notamment sur Valérie Tong Cuong et Sophie Bassignac. 

Même dans les maisons qui n'ont pas connu de changements structurels, on observe de nouvelles stratégies. Alors que Denöel et La Table ronde sont absents de la rentrée française, publiant uniquement en littérature étrangère, Jacqueline Chambon, d'habitude spécialisée en littérature traduite, propose un premier roman français de Youssef Abbas. Des éditeurs peu habitués aux rentrées littéraires se positionnent cette année. La Martinière confirme son inscription dans la littérature avec Isabelle Duquesnoy et Sofia Aouine, Odile Jacob publie un roman psychologique signé Dominique et Coralie Miller, et Les Arènes un roman de Thierry Marignac.

Place à la découverte

Chez Actes Sud, le directeur éditorial, Bertrand Py a décidé de supprimer les poids lourds de son programme d'août, décalant notamment les écrivains déjà goncourisés, pour « cesser de faire de l'ombre aux talents moins connus et renouer avec un des objectifs premiers de la rentrée littéraire : la découverte ». A côté d'auteurs bien installés tels que Jeanne Benameur ou Valentine Goby, figurent deux premiers romans de Loo Hui Phang et Marin Fouqué. Pour faciliter les découvertes, certains vont plus loin, construisant des rentrées portées uniquement par des premiers romans. Les Escales misent sur l'éditrice Lola Nicolle, Finitude sur Olivier Dorchamps, Monsieur Toussaint Louverture sur Aurélie Champagne, Autrement propose en littérature française le bouleversant texte de Béata Umubyeyi-Mairesse, François Bourin parie sur Virginie Noar, Noir sur blanc sur Adrien Blouët, L'Arbre vengeur programme Julien Cridelause, Liana Levi Mathilde Chapuis, Asphalte Sébastien Verne, Aux Forges de Vulcain Alexandra Koszelyk quand Cambourakis met en lumière Arnaud Dubois.

Nil fait confiance à Albane Linÿer, créatrice de la première bibliothèque LGBTQ+ itinérante de France, la Bibliothèqueer, Corti à Aurélie Foglia, Emmanuelle Collas annonce Dora Djann, Baker Street suit Richard Apté, Bartillat fait appel à Matthieu Peck, Genèse lance Sophie-Marie Dumont, La Gidouille collabore avec Fañch Rebours, Noir sur blanc amène Adrien Blouët, Philippe Rey pousse Ingrid Seyman, Serge Safran Sylvie Krier, alors que  Le Toucan fait appel à Bruno Veyres.

Certains éditeurs continuent l'accompagnement et réitèrent leur confiance pour un deuxième roman. Deux ans après Ma reine, Jean-Baptiste Andréa revient à L'Iconoclaste, qui parie aussi sur Cécile Coulon. Stéphanie Kalfon incarne de nouveau la rentrée Joëlle Losfeld après les poétiques Parapluies d'Erik Satie, Le Passage rappelle Olivier Rogez, grand prix SGDL du premier roman en 2017 pour L'ivresse du sergent Dida, Alma soutient Julie Moulin, quand Le Dilettante programme Didier Delome, ex-flamboyant galeriste, un an après Jour de dèche. D'autres confient l'intégralité de leur rentrée à de nouveaux arrivants. Arléa accueille Dominique Barbéris (Gallimard) et Géraldine Jeffroy, Le Bord de l'eau fait appel à Bruno Wajskop, Gaïa à Philippe Gerin, La Goutte-d'Or ouvre la porte à Christophe Tison (Gallimard), Macula à Mustapha Benfodil, Le Nouvel Attila s'appuie sur Isabelle Flaten et Kévin Lambert, Héloïse d'Ormesson mise sur trois nouveaux arrivants, Pierre Colin-Thibert, Annabelle Combes et Jean-Paul Delfino, Pygmalion défend Sophie Dabat, et Sable polaire présente Jérémy Sebbane. Il s'agit plutôt de retrouvailles pour L'Aube qui renoue avec deux auteurs ayant publié il y a plusieurs années dans la maison, Pierre Sérisier et Samira El-Ayachi, et pour Rivages, qui s'appuie de nouveau sur Alban Lefranc, de retour dans la maison après plusieurs romans chez Verticales.

Comme chaque année, la production fait évidemment aussi la part belle aux valeurs sûres des éditeurs. Au Diable vauvert mise ainsi sur Thomas Gunzig et Simon Casas, Zulma sur Hubert Haddad, Sabine Wespieser aligne deux de ses poids lourds, Louis-Philippe Dalembert et Jean Mattern, Julliard parie sur Lionel Duroy et Mazarine Pingeot, Verticales programme Olivia Rosenthal, Belfond Isabelle Desesquelles, lauréate du Femina des Lycéens 2018, Buchet-Chastel appelle Hubert Mingarelli et Jean-Philippe Blondel, qui y signe son 7eroman. Yannick Grannec tire la rentrée d'Anne Carrière, Georges Marc-Benamou, Laurent Binet, Sorj Chalandon et Yann Moix portent les couleurs de Grasset. Morgan Sportès et Jean Védrines représentent Fayard, Alexis Ragougneau, attendu après Niels qui figurait sur les sélections du prix Goncourt 2017, revient chez Viviane Hamy. Stéphane Fière et le traducteur Brice Matthieussent publieront chez Phébus, Bérengère Cournut au Tripode, quand Julia Deck et Jean-Philippe Toussaint restent fidèles à Minuit. Les fidèles sont aussi au rendez-vous chez Verdier avec Patrick Autréaux, Busclats compte sur Patricia Emsens, Champ Vallon sur Arthur Bernard. Comme l'année dernière, le Cherche Midi s'appuie sur Emmanuelle Pirotte, Hervé Chopin sur le prolifique Jean Contrucci, La Contre-Allée sur Thomas Giraud qui y signe son troisième roman, H & O sur Rémi Karnauch, les Presses de la Cité retrouvent Christian Laborie, le Rocher Philippe Lacoche, auteur de la maison depuis 1994. Le Rouergue compte sur Sylvain Pattieu et Alexandre Seurat, qui y ont tous deux signé l'intégralité de leur travail littéraire, et enfin Zoé sur Roland Buti, qui fête ses quinze ans de publication dans la maison suisse. P. L. 

(1) Voir LH 1223, du 14/6/2019, p. 18)

Les femmes en porte-voix

Majoritairement féminins, les personnages qui incarnent cette rentrée littéraire portent des problématiques sociétales comme le féminisme, la crise migratoire ou l'écologie.

L'auteure britanique Diana Evans, dans le jardin de la Maison de l'Amérique latine à Paris. Rentrée Editions Globe.- Photo OLIVIER DION

Sous l'emprise du réel, les romans de cette rentrée littéraire proposent des personnages chahutés par des problématiques contemporaines. Se sont majoritairement des femmes qui font écho à des sujets de société, notamment le féminisme. Des écrivains, hommes et femmes, proposent des exofictions autour de l'écrivaine Virginia Woolf dans Virginia d'Emmanuelle Favier (Albin Michel), de Frida Kahlo dans Rien n'est noir de Claire Berest (Stock) ou de Christine de Pizan dans La non pareille de Michel Peyramaure (Calmann-Lévy). Isabelle Duquesnoy présente Constanze Mozart (La redoutable veuve Mozart, La Martinière), une femme d'affaires redoutable, loin de l'image de l'écervelée, qui a survécu cinquante et un ans à son mari et construit l'empire du compositeur. D'autres femmes, inconnues, ont connu des destinées moins glorieuses. Eugénie, Louise et Geneviève, les protagonistes du Bal des folles de Victoria Mas (Albin Michel) ont été internées à la Salpêtrière, au XIXe siècle, car elles étaient à contre-courant. Le parcours des Echappées de Lucie Taïeb aux éditions de l'Ogre mène aussi vers l'émancipation. Isabelle Flaten propose une mise en abyme dans Adelphe (Le Nouvel Attila), avec un groupe de femmes qui se rebelle dans une paisible bourgade, inspiré par le caractère pugnace de Madeleine Clarandeau, personnage du roman Nêne d'Ernest Pérochon, prix Goncourt 1920.

Karina Hocine, secrétaire générale éditeur, et Karine Tuil chez Gallimard.- Photo OLIVIER DION

Urgence de vivre

Le courage des femmes d'aujourd'hui est incarné par Jeanne, libraire pudique et discrète qui, atteinte d'un cancer, respire la liberté et l'urgence de vivre dans Une joie féroce de Sorj Chalandon (Grasset). Ou Kate, jeune femme de 19 ans qui trouve la force de continuer à vivre après le décès de son compagnon dans un attentat (Attendre un fantôme de Stéphanie Kalfon, Joëlle Losfeld). L'instinct de survie est une constante chez une femme tatouée, magnifique et froide, dénommée Phénix. La protagoniste du livre de Nathacha Appanah (Le ciel par-dessus le toit, Gallimard) a dû se battre, livrée depuis son plus jeune âge par ses parents à la convoitise des hommes. La romancière Emma Becker s'est immergé pendant deux ans et demi dans le quotidien des prostituées d'une maison close berlinoise (La Maison, Flammarion). La narratrice des Femmes sont occupées de Samira El Ayachi (L'Aube) est, elle, une mère célibataire, confrontée au sexisme ambiant, qui se débat pour donner le meilleur d'elle-même. De son côté, Cora s'approche inexorablement du burn-out, étouffée par sa vie professionnelle, depuis qu'elle est revenue de son congé maternité (Cora dans la spirale de Vincent Message, Seuil). Pour Blanche et sa grand-mère Emilienne (Une bête au paradis de Cécile Coulon, L'Iconoclaste), le courage n'est plus un sujet, elles qui ont renoncé à leur vie pour cette terre qu'elles se transmettent de mère en fille. Cette ténacité est aussi observée dans le dernier roman de Mireille Pluchard (Le rêve de Toinet, Presses de la Cité) où Jaquette se bat pendant cinq ans pour récupérer la ferme dont on l'a spoliée à la suite de la mort de son mari. De l'endurance aussi pour l'héroïne de Baïkonour (L'Observatoire), d'Odile d'Oultremont, qui rend visite à un grutier dans le coma.

L'auteure Blandine Rinkel au théâtre de l'Alliance française à Paris. Rentrée littéraire Fayard.- Photo OLIVIER DION

Violences

Le viol et le harcèlement sont également au cœur de plusieurs fictions. Dans Les yeux rouges (Seuil), Myriam Leroy met en scène une trentenaire harcelée par un inconnu sur Facebook. Karine Tuil met en marche la machine médiatico-judiciaire dans Les choses humaines (Gallimard) à propos d'une affaire de viol présumé. Dans le premier roman de Joffrine Donnadieu, Une histoire de France (Gallimard), le viol est tabou car commis par une femme, France, sur une fillette, Romy. Les rapports sont aussi violents entre Huma et sa grand-mère acariâtre dans On ne peut pas tenir la mer entre ses mains de Laure Limongi (Grasset). Dans le sillage de #Metoo, Mathieu Deslandes et Zineb Dryef signent à quatre mains Soir de fête chez Grasset, une enquête romancée sur le grand-père de l'un des auteurs, né en 1923 d'un rapport non consenti qui eut lieu lors d'un bal annuel. Mazarine Pingeot se penche dans Se taire (Julliard) sur le drame d'une femme, victime d'une agression sexuelle et contrainte au silence par son éducation et son milieu.

Exils

La violence de l'arrachement, notamment par l'exil, demeure une thématique qui traverse de nombreux romans de l'automne. Dans La mer à l'envers de Marie Darrieussecq (P.O.L), Rose fait la connaissance fortuite de Younès, un migrant qui tente de traverser la Méditerranée dans une embarcation de fortune. Sur d'autres paquebots, au début du XXe siècle, Jeanne Benameur explore dans Ceux qui partent (Actes Sud) les destins croisés de personnages qui sont arrivés aux Etats-Unis.

Louis-Philippe Dalembert met en scène la tragédie d'un bateau de clandestins sauvés par le pétrolier danois Torm Lotte en 2014 (Mur Méditerrannée, Sabine Wespieser). La douleur de l'exil est également palpable dans Le guetto intérieur de l'écrivain argentin Santiago H. Amigorena (P.O.L) et dans Histoire d'Adrian Silencio d'Eleonore Pourriat (JC Lattès). Avec Par les soirs bleus d'été (Albin Michel), Franck Pavloff accompagne un jeune ukrainien du Donbass dans son enquête familiale. Olivier Dorchamps fait, lui, une plongée dans les racines marocaines de Marwan dans Ceux que je suis (Finitude). Dans une dystopie digne de Game of thrones (Rouge impératrice, Grasset), Léonora Miano explore, elle, une Afrique imaginaire au XXIIe siècle. Sur Katopia, des descendants de migrants français, les fulasi, représentent une minorité marginale mais dérangeante. Dérangeant aussi le groupe de réfugiés syriens qui s'installe dans un petit village du centre de la France où cohabitent déjà agriculteurs et « néoruraux ». Dans La campagne n'est pas un jardin, signé Stéphane Fière (Phébus), les uns appellent à la solidarité alors que les autres crient à la colonisation de leur territoire.

Ruralité

D'autres « néoruraux », cette fois-ci des banlieusards parisiens, apparaissent sous la plume ironique de Julia Deck. Dans Propriété privée (Minuit), un couple achète un logement dans un écoquartier au milieu d'une petite commune. Si tout s'annonce pour le mieux, l'arrivée des Lecoq vient perturber cet univers de compost et de panneaux solaires. Une prise de conscience écologique qui est aussi présente dans La grande escapade de Jean-Philippe Blondel (Buchet-Chastel) ou dans Chimère d'Emmanuelle Pireyre (L'Olivier). Lauréate du Médicis en 2012, l'écrivaine met en scène une journaliste qui part à Newcastle pour alimenter sa tribune sur les OGM pour un quotidien national. Pendant ce temps, François, un chirurgien orthopédiste lyonnais quinquagénaire, hésite. Dans La tentation de Luc Lang, ce chasseur blesse un cerf à la cuisse mais au lieu de l'achever, il se ravise, l'endort et l'emmène dans son pick-up pour le soigner. Ses deux enfants le rejoignent pour ce qui se transformera en thriller familial.

Dans Les grands cerfs de Claudie Hunzinger, l'intrigue se déroule aussi dans la montagne, autour d'une femme, Pamina, et de son compagnon, Nils. Un cadre tout aussi minéral se révèle dans le deuxième roman de Jean-Baptiste Andrea, Cent millions d'années et un jour (L'Iconoclaste). Ici des paléontologues partent à la recherche d'une espèce disparue dans la glace. Autre expédition glaciaire, celle d'Hélène Gaudy dans Un monde sans rivage (Actes Sud), mais aussi celle de Bérengère Cournut avec De pierre et d'os (Le Tripode). Le chemin parcouru par Uqsuralik, une jeune femme inuite, séparée de sa famille par une fracture de la banquise, se transforme en une quête de sens. Des narratrices explorent leur identité dans cette quête. Blandine Rinkel s'inscrit dans la veine du roman générationnel, qui a valu à Nicolas Mathieu le Goncourt 2019 pour Leurs enfants après eux (Actes Sud). Dans Le nom secret des choses (Fayard), une jeune provinciale débarque à Paris et subit le poids culturel de la ville. De son côté, Lola Nicolle relate, à travers une histoire d'amour, l'arrivée d'une jeune fille à la vie professionnelle Après la fête (Les Escales).

Le cheminement d'Alice dans Feel good de Thomas Gunzig (Au Diable vauvert) est plus radical : vendeuse de chaussures, angoissée par la précarité de son existence, elle décide d'enlever un enfant de riche pour exiger une rançon. Sa véritable identité, Rosemary Brown, personnage qui a inspiré Eric Faye pour écrire La télégraphiste de Chopin (Seuil), préfère la dissimuler. Elle prétend en 1995 « recevoir » chez elle la visite d'un illustre compositeur qui lui dicte ses partitions. Un subterfuge pour échapper à la réalité par la fiction. I. C. 

Premiers romans : une rentrée presque paritaire

Avec un niveau similaire à celui de 2017, la production de premiers romans présente des textes d'auteurs qui baignent dans le milieu artistique et invitent les lecteurs au voyage.

Victoria Mas pour son premier roman, Le bal des folles, à la Maison de l'Amérique latine. Rentrée Albin Michel.- Photo OLIVIER DION

Avec 42 hommes et 39 femmes qui présenteront leur premier roman à la rentrée d'automne, le cru 2019 est proche de la parité. Ce mouvement s'est amorcé depuis deux ans, puisqu'en 2018 il y avait 50 hommes contre 44 femmes et, qu'en 2017, les deux tiers des primo-romanciers étaient des hommes. Avec 82 titres au total, la rentrée des premiers romans s'annonce contractée de 12,8 %, par rapport à une année record 2018, à 94 titres, et retrouve son niveau de 2017.

Parmi les auteurs à faire leurs premiers pas dans la fiction, chaque année, nombreux sont ceux venus du corps enseignant comme Lucie Delvert (L'allée des manguiers, Balland), Alexandra Koszelyk (A crier dans les ruines, Aux forges de Vulcain), Gil Bartholeyns (Deux kilos deux, Lattès) ou Josselin Guillois (Louvre, Seuil). Particularité de l'automne 2019, un nombre croissant de primo romanciers baigne déjà dans le domaine artistique. A l'instar de Gaël Faye, phénomène de la rentrée 2016, certains ont déjà une carrière dans la musique comme Marin Fouqué (77, Actes Sud) ou Mathilde Forget (A la demande d'un tiers, Grasset) qui a reçu le prix Paris Jeunes talents en 2014, Julien Cridelause (Vu d'en bas, L'Arbre vengeur), Alissa Wenz (Lulu, fille de marin, Henry Dougier), Sandrine Perroud (Les esprits, L'Aire) et Maïa Aboueleze (Le ballet des retardataires, Intervalles). Des romans au rythme et à la musicalité travaillés tout comme la phrase de Sofia Aouine (Rhapsodie des oubliés, La Martinière). Eléonore Pourriat (Histoire d'Adrián Silencio, JC Lattès), Victoria Mas (Le bal des folles, Albin Michel), Albane Linÿer (J'ai des idées pour détruire ton égo, NIL) et Alexandre Labruffe (Chronique d'une station-service, Verticales) viennent du cinéma. La rentrée accueille aussi le célèbre dramaturge Alexis Michalik (Loin, Albin Michel) et l'ingénieur metteur en scène Guillaume Lavenant (Protocole gouvernante, Rivages).

On découvrira pour la première fois au rayon roman l'essayiste auteure de Bonjour paresse Corinne Maier avec A la conquête de l'homme rouge (Anne Carrière). Autres habitués de l'écrit, les journalistes sont nombreux à sauter le pas avec Thierry Crouzet (Mon père ce tueur, La Manufacture de livres), Ingrid Seyman (La petite conformiste, Philippe Rey), Alexandra Alévêque (Les autres fleurs font ce qu'elles peuvent, Sable polaire), Sylvestre Sbille (J'écris ton nom, Belfond), Mathieu Palain (Sale gosse, L'Iconoclaste).

Ces primo-romanciers sont nomades et cette diversité géographique se reflète dans la production. Rocco Giudice a situé une partie de l'action de son livre à Hong-Kong. Loo Hui Phang (Actes Sud) structure son roman autour de la quête d'identité de son héroïne, qui revient dans son Laos natal. Beata Umubyeyi Mairesse revient dans Tous tes enfants dispersés (Autrement) sur le génocide des Tutsis auquel elle a survécu. Dora Djann navigue dans Ouverture à la française (Emmanuelle Collas) entre la Turquie et Paris quand Mathilde Chapuis (Nafar, Liana Levi) suit un homme de Homs qui traverse la Turquie puis la Grèce. Felix Macherez nous emmène au Mexique (Au pays des rêves noirs, Les Equateurs), Olivier Dorchamps (Ceux que je suis, Finitude) au Maroc. Quant à Maxime Patry (Une fleur éclot dans la nuit, L'Age d'homme), il embarque son personnage principal, dans un voyage initiatique à Terracognita. A. G. 

Des auteurs étrangers si proches

Pour promouvoir auprès des libraires et des journalistes leur programme de littérature étrangère, stabilisé après plusieurs années de baisse, les éditeurs multiplient les invitations en France de leurs auteurs.

Rentrée littéraire de L'Olivier au Studio 28 avec l'éditeur Clément Ribes, la romancière Sally Rooney et Olivier Cohen, P-DG.- Photo OLIVIER DION

Jamais libraires et journalistes n'auront vu autant d'auteurs étrangers venir à leur rencontre. Sur un marché de la littérature étrangère un marché en baisse, et dans un secteur qui revient cher en achats de droits et en traduction, les éditeurs se démènent pour faire émerger leurs romans de la rentrée. Les écrivains ont été nombreux à présenter eux-même leurs livres aux libraires lors des soirées de rentrée littéraire et au cours de tournées en France, ou, plus traditionnellement, sont venus en juin rencontrer la presse.

Déjà primés

Parmi eux quelques auteurs qui vont faire parler d'eux à cette rentrée comme l'Américain cheyenne Tommy Orange (Albin Michel) dont Ici n'est plus ici a été sacré meilleur roman de l'année par la presse américaine, finaliste du Pulitzer et du National Book Award (300 000 ventes). L'Italien Marco Missiroli (Calmann-Lévy) avec Chaque fidélité, qui vient de remporter le Strega Giovanni (il est encore en lice pour le Strega) et est en cours d'adaptation par Netflix, la Suisse alemande Dana Grigorcea pour La dame au petit chien arabe (Albin Michel) et le Néerlandais Tommy Wieringa pour Sainte Rita (Stock) ont participé à la réunion de rentrée littéraire de leur éditeur. De même l'Italien Paolo Giordano, l'auteur de La solitude des nombres premiers (Dévore le ciel, Seuil), le Suédois Steve Sem-Sandberg, Médicis étranger 2 016 (Lettres de pluie, Laffont), les Américains Kristen Roupenian (Avoue que t'en meurs d'envie, Nil) et Joshua Cohen (David King s'occupe de tout, une « Jewish comedy », Grasset) et la Chinoise Zhang Yueran, traduite pour la première fois en français (Le clou, Zulma).

D'autres écrivains sont venus en juin rencontrer les journalistes comme la Britannique Diana Evans (Ordinary people, Globe, meilleur livre du New Yorker 2018 et shortlist Woman's Prize 2019) et l'Indien Amit Chaudhuri (Ami de ma jeunesse, Globe). Les Américains James Frey, pour Katerina (Flammarion), Pete Fromm (La vie en chantier, Gallmeister), Sana Krasikov, considérée comme l'un des 20 meilleurs jeunes auteurs de la décennie (Les patriotes, Albin Michel), l'éditeur de Knopf, Andrew Ridker, pour son premier roman, Les altruistes, en cours de traduction en 17 langues (Rivages) ont fait un passage à Paris tout comme la Canadienne Miriam Toews (Ce qu'elles disent, Buchet-Chastel, vendu dans 13 pays).

Gallimard a fait venir en juin l'Américaine Regina Porter pour son premier roman Ce que l'on sème, et invitera en septembre le Britannique Jonathan Coe (Le cœur de l'Angleterre) et l'Autrichien Arno Geiger (Le grand royaume des ombres). Deux Chris Kraus participent à cette rentrée. La première, chez Flammarion, éditrice américaine de la maison indépendante Semiotext(e) et fondatrice de Native Agents, spécialisée dans les écrits de femmes, s'était fait remarquer avec I love Dick et revient avec Dans la fureur du monde. Le second est un auteur et réalisateur allemand, traduit pour la première fois en France, qui signe La fabrique des salauds, chez Belfond.

Le pari des étrangers

Si le nombre de romans étrangers est quasi identique à celui de la rentrée 2018 (188 contre 186), certains éditeurs ont misé uniquement sur la littérature étrangère comme la Table ronde-Quai Voltaire et Denoël. Tandis que Mauconduit et Globe, qui investit désormais le champ de la fiction, font leur première rentrée étrangère.

Comme chaque année, certains premiers romans sont devancés par leur réputation. Conversations entre amis de l'Irlandaise Sally Rooney (L'Olivier), âgée de 26 ans, incarne une nouvelle vague irlandaise issue notamment de la revue The stinging fly. Venus d'Irlande également, Paula McGrath (Quai Voltaire) avec La fuite en héritage et Arja Kajermo (Do) avec L'âge du fer. La littérature anglo-saxonne s'ouvre depuis quelque temps à une nouvelle géné-ration d'écrivains issus de parents émigrés comme : Anissa M. Bouziane, née d'un père marocain et d'une mère française (pour son premier roman, Sables, Mauconduit), Kapka Kassabova, née en Bulgarie (Marchialy), Sana Krasikov, née en Ukraine (Albin Michel), Ottessa Moshfegh, de père iranien et de mère croate (Mon année de repos et de détente, élu meilleur roman de l'année 2018 par Time, Fayard), Kamila Shamsie, originaire du Pakistan (Embrasements, Women's Prize for Fiction 2018, Actes Sud).

Certains titres arrivent déjà auréolés d'un grand prix littéraire étranger. On trouvera cet automne la lauréate du National Book Award 2018, Sigrid Nunez avec L'ami (Stock) ; celle du Women's Prize for Fiction 2019 de Tayari Jones (Un mariage américain, Plon). L'Allemande Christine Wunnicke (J. Chambon) a reçu le prix Franz-Hessel 2016 pour Le renard et le docteur Shimamura. Programmé aussi pour cette rentrée, F20 d'Anna Kozlova (Stéphane Marsan) distingué par le prix du Bestseller russe 2017. Sans oublier le succès de Dina Rubina, Du côté ensoleillé de la rue, vendu à 1 million d'exemplaires en Russie et traduit en 18 langues (Macha Publishing).

A côté des incontournables que sont Jonathan Coe (Gallimard), Siri Hustvedt (Actes Sud), Edna O'Brien (Sabine Wespieser), Joyce Carol Oates (Philippe Rey) et Audur Ava Olafsdóttir (Zulma) (voir ci-dessus), on trouvera Javier Marías et un roman posthume d'Antonio Tabucchi (Gallimard), Paulo Coelho (Flammarion) et Luis Sepúlveda (Metailié) avec un conte, et Paolo Giordano (Seuil). Les lecteurs retrouveront aussi le Suisse allemand Christian Kracht (Phébus), la Britannique Ali Smith (Grasset), les Américains Valeria Luiselli (L'Olivier), Benjamin Markovits (Bourgois), Dave Eggers (Gallimard), Jim Fergus (Gallimard), Seth Greenland qui fait son grand roman de l'Amérique avec Mécanique de la chute (Liana Levi) et Irvine Welsh (Au Diable vauvert).

Remarqués pour leur titre précédent, reviennent aussi le Britannique Jonathan Buckley (Le Castor astral), l'Israélienne Ayelet Gundar-Goshen (Presses de la Cité), la Libanaise Joumana Haddad (J. Chambon), l'Américain Joe Meno (Agullo), l'auteur du Sympathisant, Viet Thanh Nguyen, et la Sino-Américaine Yiyun Li (Belfond) et le Polonais Zygmunt Miloszewski (Fleuve éditions).

Curiosités

La rentrée 2019 contient aussi son lot de curiosités. Les lecteurs découvriront A. E. Hotchner, l'auteur de Papa Hemingway, avec Les étonnantes aventures d'Aaron Broom (Mercure de France), l'Espagnol Andrés Trapiello, qui, dix après A la mort de don Quichotte, poursuit les aventures du chevalier à triste figure avec Suite et fin des aventures de Sancho Panza (Quai Voltaire), les Américains Charles Plymell, avec Le dernier des mocassins, « le livre culte du dernier des beats » publié en 1971 et inédit en France (Sonatine), Earl Thompson, avec Un jardin de sable, sélectionné pour le National Book Award (paru en 1970) et Tattoo (Monsieur Toussaint Louverture), l'Anglaise Drusilla Modjeska avec Maunten, un roman épique sur la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1968 (Au vent des îles), et le Kurde Bakhtiar Ali, avec Le dernier grenadier du monde (Métailié).

Comme chaque année, la rentrée fait la part belle aux découvertes, avec des premiers romans : Cadavres exquis de l'Argentine Agustina Bazterrica (Flammarion), La passagère du Saint-Louis de l'Américain Armando Lucas Correa (Presses de la Cité), Villa Pirasol de l'Allemande Susan Kreller (Presses de la Cité), Kintu de l'Ougandaise Jennifer Nansubuga Makumbi et Daniel Saldana Paris (Métailié), Dégels de Julia Phillips (Autrement), L'été meurt jeune de l'Italien Mirko Sabatino (Denoël), L'âge de la lumière de l'Américain Whitney Scharer (L'Observatoire), Il était une fois dans l'Est du Slovaque Arpad Soltesz (Agullo), prix du Premier roman slovaque en 2017.

Delcourt Littérature joue aussi la carte des premiers romans avecIci tout est encore possiblede la Suisse alémanique Gianna Molinari, prix Robert-Walser 2018, et Un autre tambour de William Melvin Kelley, publié au début des années 1960 alors que l'auteur n'a que 24 ans, et redécouvert par une journaliste du New Yorker en 2018, qui le considère comme «le géant oublié de la littérature américaine». Ajoutons l'Espagnol Jorge Comensal (Les Escales), les Grecs Kostis Maloutas (Do) et Maria Stefanopoulou (Cambourakis) ainsi que la Serbo-Croate Jelena Bacic Alimpic (Dernier printemps à Paris, Serge Safran éditeur) traduite pour la première fois en France. C. C. 

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