Case 15 : Un célèbre agent anglais met aux enchères Le livre de cuisine de Raïssa Gorbatchev et vous donne dix minutes, en vous enfermant dans sa salle de bains, pour vous faire une idée du manuscrit en russe. Après l’avoir parcouru, vous refusez car le style vous paraît détestable"… Le jeu de l’oie conçu par Jean-Loup Chiflet et l’agence Bookmaker, qui a tant marqué les esprits en 1987, symbolise ce qu’est la Foire du livre de Francfort pour les éditeurs du monde entier : un mélange d’excitation et de dérision.
Un éditeur menotté par la Polizei, un autre coincé en voiture sur les rails du tramway, un verre pris dans un bar sur fond de chants tyroliens ou une fin de soirée dans une ambiance fellinienne : dans la mémoire des professionnels, la Foire ne manque pas d’anecdotes amusantes ou cocasses. Elle peut avoir ses moments d’émotion comme en témoignent d’autres tels que l’achat d’un futur best-seller, l’annonce d’un Nobel ou une minute de silence en hommage aux victimes des attentats du 11 septembre 2001.
Et si ses trottoirs roulants interminables, ses halls gigantesques, ses alignements de tables à perte de vue démontrent qu’on y travaille dur, les histoires que nous avons récoltées prouvent une fois encore, à l’heure des nouvelles technologies où tout semble joué d’avance, que ce rendez-vous annuel reste indispensable pour nouer des liens et des amitiés indéfectibles. Tandis que se fabriquent les meilleurs souvenirs, une initiation indispensable aux métiers de l’édition en somme. C. C.
Anne-Solange Noble: le marteau d’Umberto Eco
Directrice des droits étrangers chez Gallimard
Je me souviens de mon premier Francfort il y a plus de trente ans. Je me souviens d’avoir cherché conseil auprès de mes consœurs d’autres maisons et qu’Ania Chevallier, qui avait déjà une longue expérience, me racontait avec nostalgie l’époque où elle emportait sa guitare et chantait en fin de journée des chants russes avec ses confrères étrangers, et où Umberto Eco arrivait la veille du premier jour avec son marteau pour participer au montage du stand Bompiani. Je me souviens quand la foire commençait vraiment le premier jour (pas trois jours avant, dans les hôtels avoisinants) et que nous allions à l’Opéra le dimanche soir car nous travaillions encore le lundi suivant. Je me souviens des grosses dames qui poussaient des chariots dans les allées en criant "Zigaren ! Zigaretten !" Je me souviens des élégants dîners dans les salons du Frankfurter Hof où nous étions servis à table - depuis longtemps remplacés par de simples cocktails. Je me souviens qu’une grande dame de l’édition américaine, qui ne mettait pas les pieds à la foire, n’accordait ses rendez-vous que dans sa suite du même Frankfurter Hof, où tout le monde se retrouvait après minuit dans le lobby pour partager un dernier verre. Je me souviens… que notre passion d’alors pour parler d’un livre était la même qu’aujourd’hui, heureux que ce rendez-vous annuel de confrères de tous les coins du monde soit la promesse - parfois tenue, parfois perdue, mais jamais vaine - d’une "vie autre" pour les livres de nos auteurs en leur faisant traverser les frontières. C’était exaltant. Ça l’est toujours. P. L.
Béatrice Duval: j’ai signé sur un post-it
Directrice des éditions Denöel
En 2009, j’ai vécu un Francfort particulier puisque j’étais entre deux jobs d’éditrice. A ce moment-là, j’effectuais mon préavis pour un éditeur avant d’en rejoindre un autre. De fait, je n’étais crédible ni pour acheter des titres publiables chez mon futur ex-employeur, ni pour la nouvelle maison. C’était une situation inconfortable. J’ai donc décidé de prendre une semaine de congés sans solde dans mon boulot A et je suis partie à la foire dans l’idée de prospecter pour le boulot B. Une fois sur place, je rencontre Anna Soler-Pont (Pontas Agency) qui me parle d’un livre génial. Je sens que ce titre a un énorme potentiel, je le veux mais nous ne nous connaissons pas et je n’ai même pas de carte de visite à lui présenter ! Le courant passe bien et nous nous donnons finalement nos paroles respectives quant à cet achat. Je décide donc d’écrire mon offre sur un post-it, que je signe et date. Alors qu’elle n’avait pas particulièrement de raisons de me faire confiance, elle l’a fait. Et c’est de cette manière que j’ai apporté aux Presses de la Cité Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire du Suédois Jonas Jonasson, qui s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires depuis sa parution en 2011… Le milieu de l’édition est encore un univers où la parole donnée compte, et il faut faire en sorte que cette confiance perdure. P. L.
Nicolas Roche: menotté par la Polizei
Directeur des éditions du Centre Pompidou et, à compter du 16 novembre, directeur général du Bureau international de l’édition française.
L’un de mes souvenirs marquants de Francfort n’a pas grand-chose à voir avec le livre. Cela devait être en 1995, l’avant-dernier soir de la foire, et nous étions partis dîner avec quatre confrères au Zum Grauen Bock, une institution de la ville. En sortant du restaurant, nous voyons la police enlever toutes les voitures. J’étais venu avec la mienne et nous nous engouffrons dedans pour partir vite. L’agent arrive, frappe au carreau et nous verbalise. Nous nous cotisons tous les cinq puis, ne parlant pas un mot d’allemand, je comprends qu’il nous demande aussi de l’argent pour la fourrière. On parlemente et d’un coup, il me sort de la voiture, me menotte et m’embarque dans le panier à salade. J’ai juste le temps de lancer les clés aux confrères. Je me retrouve au poste, dans le nord de Francfort tandis que Bertand Morrisset [l’ancien directeur du Salon du livre de Paris, NDLR] appelle le consulat pour essayer de me sortir de prison. De guerre lasse, la police finit par me relâcher au milieu de la nuit, je rentre à pied dans le centre de Francfort et retrouve, à 5 heures du matin, toute la petite bande qui m’attendait au bar du Marriott. Le lendemain dans les allées de la foire, on ne parlait que de cela : l’éditeur français qui s’était fait embarquer par la police ! Et cette histoire traîne encore aujourd’hui. A.-L. W.
Maggie Doyle: une soirée fellinienne
Directrice littéraire étranger de Laffont
En 1997, j’étais agente pour la Nouvelle agence. Le jeudi soir, après le traditionnel grand dîner organisé par un agent littéraire britannique, nous sommes une dizaine à quitter l’Intercontinental pour aller vers le Frankfurter Hof. Pas loin de la gare, nous entrons dans un troquet à l’ambiance étrange, très kitch, dans lequel un couple danse une valse viennoise. Nous nous asseyons, nous commandons un verre, un homme arrive avec une corbeille comme les ouvreuses de cinéma, avec des jeux de cartes. C’est un magicien, qui fait des tours de prestidigitation. Au bout d’un quart d’heure, il termine et me dit : "Il est tard, quelle heure est-il ?" Je regarde mon poignet et je vois que je n’ai plus de montre. Je reste bouche bée. Il me la tend alors : je n’avais rien vu, rien senti. Tout le monde a ri. La musique, le couple qui dansait, les tours de magie… nous avions l’impression d’être dans un film de Fellini. Nous avons dansé jusque tard dans la nuit et nous ne sommes jamais allés au Frankfurter Hof. C. C.
Jean-Daniel Belfond: l’année de mon bac
Directeur de L’Archipel
En 1975, j’avais 17 ans. Mes parents, Pierre et Franca Belfond, avaient décidé que, en récompense du bac obtenu, leurs trois enfants seraient invités, chacun leur tour, à la Foire de Francfort. C’est donc cette année-là que j’ai vécu ma première foire du livre. A l’époque - ce n’est plus le cas -, nombre de maisons petites et moyennes avaient à cœur d’avoir un très beau stand. Pour afficher le dynamisme du label et le prestige de ses auteurs, Sylvie Messinger, des éditions Belfond, avait décoré le stand de photos d’écrivains, couvertures de livres agrandies… Il était splendide. Des éditeurs amis passaient boire un verre : Jean-Claude Lattès, Andre Balland, Francis Esmenard, Jean-Jacques Pauvert. J’ai été frappé par l’atmosphère festive de la foire : l’hôtel à Sachsenhausen, le tramway qu’on prenait pour arriver à la foire, les cocktails au Frankfurter Hof, l’odeur de saucisses, au moment du déjeuner. On n’était pas loin de Mai 68 ; il régnait une atmosphère de contestation politique. Je me souviens d’un jeune homme jovial et sympathique qui était la vedette du stand Belfond cette année-là. Interdit de séjour en France, il venait présenter Le grand bazar, son livre de souvenirs, introuvable aujourd’hui. Son nom sentait le soufre : Daniel Cohn-Bendit. L. L.
Elisabeth Darets-Chochod: Hélène a fait un malaise
Directrice de Marabout
La première fois que je me suis rendue à la foire de Francfort, je suis arrivée par un avion matinal de Paris. Comme tout le monde, j’ai enchaîné les rendez-vous d’une demi-heure. J’étais avec notre directrice éditoriale, Hélène Gedouin. Nous n’avions même pas eu le temps de déjeuner, les queues devant les restaurants étaient longues et les rendez-vous nous rattrapaient. Notre interlocuteur de 17 heures est arrivé. Au début, tout allait bien, mais j’ai d’un coup remarqué qu’Hélène glissait de sa chaise… Elle a fait un malaise ! Cette anecdote résume bien pour moi l’ambiance qui règne à Francfort : on court partout, en essayant péniblement de ne pas être en retard. Un autre souvenir qui me revient remonte à il y a quelques années. On avait acheté aux Danois un livre magnifique sur les champignons. Il était formidable et très soigné. Notre enthousiasme s’est éteint d’un coup lorsqu’on a réalisé que 70 % des espèces qui apparaissaient dans l’ouvrage n’étaient pas présentes en France ! Aujourd’hui, le marché est tendu, on fait donc plus attention à nos achats. I. C.
May Yang: comme à Noël !
Responsables des droits étrangers chez Eyrolles
A chaque fois que j’arrive à la gare de Francfort, je me sens comme à Noël, quand tu retrouves ces cousins et autres oncles et tantes que tu croises une fois par an. Je vois des connaissances que j’apprécie beaucoup mais que je n’arrive pas à revoir le reste de l’année… alors que certains travaillent à même pas cinq kilomètres de mon bureau ! Cette foire est éphémère et intense, c’est un lieu où tu te dois de garder ta concentration au maximum. On s’y rend tous les ans mais c’est pourtant une ville qu’on connaît très mal. J’ai un petit rituel quand j’arrive à la gare de Francfort. Qu’il s’agisse du train de 11 heures ou de 13 heures, dès que je pose un pied, je me dirige vers le pub irlandais qui se trouve en face de la gare, en sortant. J’y déjeune avec mon équipe, c’est le dernier moment de calme avant la tempête. I. C.
Héloïse d’Ormesson: une chambre avec vue
Fondatrice et présidente des éditions Héloïse d’Ormesson
C’était en 2004, notre premier Francfort avec Gilles Cohen-Solal pour la maison que nous venions de fonder. Nous avions travaillé tout l’été sur notre programme éditorial et nous cherchions un diffuseur-distributeur. Nous recevons le 1er septembre la confirmation d’Interforum. Nous avions prévu d’aller une journée à la foire mais nous décidons d’y rester trois jours et nous prenons des rendez-vous frénétiquement. En 2004, avant la crise économique, tous les éditeurs vont à Francfort en nombre, et trouver un hôtel en ville, au mois de septembre, relève de l’impossible. Je regarde tous les jours sur Internet et trouve un établissement sur Liebigstrasse qui avait une chambre. Au téléphone, le réceptionniste parle mal l’anglais et pas du tout le français. Je ne comprends pas bien où est la salle de bains. Je ne trouve rien d’autre, alors je réserve. On arrive devant un charmant hôtel, dans une chambre très grande au premier étage dont les fenêtres donnent sur les tilleuls de la rue, mais… la douche est en plein milieu de la pièce et les toilettes sont communes à tout l’étage. Je n’oublierai jamais la tête de Gilles. Dès le lendemain, il s’est rendu tous les jours au Hessischer Hof pour demander une chambre, alors que les gens y sont sur liste d’attente pour dix ans. L’année suivante, nous sommes retournés dans le même hôtel, cette fois-ci dans une chambre normale, mais Gilles a continué de faire le siège du directeur du Hessischer Hof tous les jours. Trois ans plus tard, nous avons reçu une lettre : "Nous avons le plaisir de vous annoncer que vous aurez une place pour la prochaine foire." On entrait dans une période de crise, moins d’éditeurs se déplaçaient. C. C.
Jean-Loup Chiflet: "Jeu de l’oie" version Francfort
Auteur et fondateur de Bookmaker
En 1987, l’agence de packager Bookmaker, que j’avais créée avec deux complices, avait deux ans d’existence. On était petit et on n’avait pas un rond, mais on avait décidé de mettre le paquet à Francfort : non seulement nous avions notre propre stand, mais on couchait dans les meilleurs hôtels. Nous imaginions aussi un coup publicitaire, une connerie teintée d’humour pour se faire remarquer par les éditeurs. Et le plus connu fut notre "jeu de l’oie" version Francfort. Les cases correspondaient à la réalité de la foire. Par exemple, à l’époque, le grand patron d’Hachette, c’était Jean-Claude Lattès. Il y avait donc une case : "Vous avez croisé Jean-Claude Lattès dans le hall de votre hôtel, il vous a souri, avancez de trois cases" ! Et ça faisait hurler de rire tout le monde ! D’ailleurs, trente ans plus tard, des gens me parlent encore de ce jeu. C’est vrai que, mis à part les noms des gens qui ont changé, la plupart des pratiques existent encore. Comme celle de la case 10 : "On vous propose un projet sans intérêt : vous conseillez à votre interlocuteur d’aller le proposer à votre pire ennemi en lui recommandant de ne pas dire que c’est vous qui l’envoyez." I. C.
Françoise Fougeron: le manuel franco-allemand
Ancienne directrice générale de Nathan Education
Nous avions entendu parler d’un projet de manuel franco-allemand d’histoire pour le lycée dans le courant de l’année 2004, avant toute annonce officielle. Dès la foire de cette année-là, nous en avons discuté avec Klett, un éditeur scolaire allemand avec lequel Nathan entretient depuis longtemps de très bonnes relations, et nous avons convenu de proposer une candidature commune si ce projet se concrétisait. Dès qu’il a été confirmé, nous avons présenté notre dossier, qui a été retenu, et l’équipe d’auteurs a commencé à travailler en mai 2005. Nous avons organisé une conférence de presse commune sur le stand de Klett à Francfort en octobre de la même année, avec les responsables de chaque équipe. Nous n’avions encore rien à montrer, mais nous avons présenté l’ordre des publications, qui n’était pas chronologique et qui démarrait par le volume de terminale, sur le second XXe siècle. Nous avons expliqué la méthode de travail, à quatre mains avec des binômes d’auteurs français et allemand, les échanges de manuscrits, le partage des ressources, etc. C’était une réalisation unique en son genre, qui a passionné tout le monde, et nous avons rencontré un énorme succès médiatique. Jusqu’à la publication du dernier volume, en 2011, la foire était l’occasion de réunions de travail avec Klett, s’ajoutant à celles qui étaient organisées par ailleurs. Nous avons vendu près de 100 000 exemplaires au total en France, et Klett à peu près autant en Allemagne. Cette aventure a été formidable. H. H.
Marion Mazauric: j’ai dansé le rock avec Leonello Brandolini
Directrice éditoriale d’Au Diable vauvert
Dans les années 2000, des fêtes organisées par les éditeurs russes sont venues animer, encore un peu plus, les nuits de Francfort. La vodka coulait à flots. Je me souviens d’une soirée en particulier, à l’époque j’avais déjà fondé Au Diable vauvert. J’ai suivi le duo de choc Paul Otchakovsky-Laurens et Olivier Rubinstein qui étaient accompagnés de Frédéric Boyer, une sacrée équipe qui tenait bien l’alcool. A cette même fête se trouvaient Antoine Gallimard et Teresa Cremisi. Cette dernière venait justement d’annoncer son départ de Gallimard pour Flammarion. On était tous ivres et on les a poussés à danser ensemble, ils avaient l’air gênés au début mais se sont très vite laissés aller par l’euphorie qui régnait. Il y avait aussi dans les parages Leonello Brandolini, mon concurrent pendant des années : il a dirigé Pocket lorsque j’étais directrice littéraire chez J’ai lu. Mais ce soir-là, plus rien ne nous opposait. Donc, également pris par l’ambiance électrique, on s’est mis à danser du rock. Il s’est avéré être un danseur extraordinaire ! On a beaucoup ri, j’en garde un souvenir mémorable. Pour un métier comme le nôtre, où on est en permanence dans l’intelligence relationnelle, la Foire de Francfort permet aussi, le soir venu, de se lâcher enfin. I. C.
Véronique Cardi: avec le Deutscher Buchpreis
Directrice générale du Livre de poche
J’ai beaucoup de souvenirs marquants de la Foire de Francfort liés au lancement de la maison d’édition Les Escales. Le roman allemand que j’ai publié pour la toute première rentrée littéraire des Escales, Quand la lumière décline de Eugen Ruge, a par exemple été sacré à Francfort, quelques mois après que j’en ai acquis les droits, par le Deutscher Buchpreis, le Goncourt allemand. A l’époque, je guettais surtout les manuscrits qui étaient passés entre les mailles du filet. En tant que directrice du Livre de poche, je me tiens plutôt prête à soutenir mes éditeurs partenaires en cas d’enchères sur des "hot titles", ce qui est grisant, et je garde un œil avec mon équipe sur les pépites passées inaperçues pour notre label Préludes. C’est ainsi que nous avons repéré en 2015 le suspense psychologique Mon amieAdèle de Sarah Pinborough, vendu dans tous les pays sauf en France. Francfort reste une occasion unique d’échanger avec les éditeurs du monde entier sur les dernières tendances, les innovations de lancement, etc. Une inspiration pour toute l’année ! I. C.
Hugues de Saint Vincent: sur les rails du tramway
Fondateur de Hugo & Cie
Au début de Mango, dans les années 1990, Benita Rolland et moi allons dîner avec des clients anglais, trois éditeurs de la maison Gareth Stevens, en voiture - à l’époque j’avais un Espace. Je ne sais pas comment, mais je me suis retrouvé sur les rails du tramway, coincé entre deux trams, dans l’impossibilité d’en sortir, ou de monter sur le trottoir. Les conducteurs des tramways n’arrêtaient pas de klaxonner, avec le bruit si particulier des sonneries de tram, les passagers sur les quais m’invectivaient - en Allemagne, on ne plaisante pas avec ces choses-là - et les trois Anglais étaient morts de rire à l’arrière de la voiture. Comment se termine l’histoire ? Il y a des moments où les routes des voitures croisent les rails des tramways… Ce fut un beau fou rire et un excellent souvenir. Il a créé des liens. Aujourd’hui, mes trois Anglais sont restés dans l’édition : l’une est devenue présidente de Macmillan, un autre est directeur éditorial de Penguin et le troisième est directeur international du groupe Quarto. C. C.
Olivier Nora: j’ai inventé un canular
P-DG de Grasset
La Foire du livre de Francfort est un long apprentissage. J’ai passé des années, depuis ma première foire en 1986, à ne rien y comprendre, parlant mal l’anglais, me perdant dans le dédale des halls et des stands, confondant les interlocuteurs et les livres. Je me suis ensuite pris pour un grand découvreur de perles rares, alors que j’étais le pigeon idéal que l’on faisait mine d’initier secrètement à des titres… refusés partout ailleurs. Agacé par la propagation des rumeurs sur les prétendus "hot books of the Fair", j’ai fait un jour un test en inventant de toutes pièces un écrivain américain rare, auteur d’un livre génial : la boucle s’est bouclée en moins d’une journée, un confrère italien me vantant le soir les mérites du livre fantôme imaginé le matin même, au terme d’une chaîne de prescriptions dont je n’ai jamais pu reconstituer les maillons. Depuis ce canular boomerang, je ne me fie plus qu’aux conseils d’un cercle d’amis étrangers en qui j’ai plus confiance qu’en moi-même.
Francfort est incroyablement stimulant et revigorant : on y vit le "vertige des possibles", on se passionne pour mille livres, jusqu’à ce que le retour au plancher des vaches de notre marché français ne tempère les enthousiasmes de cette arche de Noé culturelle. Après la griserie internationale, gare à la gueule de bois ! I. C.
Olivier Cohen: un moment d’absence
P-DG de L’Olivier
Un moment marquant a été forcément le prix Nobel attribué à Alice Munro, auteure que nous traduisons. J’étais en compagnie de notre responsable des droits, Violaine Faucon. Après notre rendez-vous de 12 h 30, nous nous étions rapprochés du stand suédois où un écran diffusait en direct l’annonce du prix. J’ai entendu le nom d’Alice Munro et je n’y croyais pas, j’étais abasourdi. On s’est un peu éloigné du stand, et là, Violaine m’a fait part de sa stupéfaction. Apparemment, après l’annonce, j’ai poussé un hurlement et donné un coup de poing sur une table. Un moment d’absence puisque je ne m’en souviens pas ! J’ai regardé ma main et remarqué que je m’étais effectivement fait mal. Je suis resté dans un état second pendant quelques heures.
A Francfort, je me souviens aussi du grand éditeur américain Roger Straus, décédé en 2004. Il était perçu comme l’oracle de la profession. Les gens venaient lui serrer la main et lui signifier leur admiration pour son travail. Je l’appréciais et le considérais comme un ami. Mais il pouvait être très poli comme très grossier. Je me souviens d’une fois où j’étais à son stand et un jeune homme est venu lui dire qu’il était son idole et qu’il connaissait tout son parcours. Straus hoche la tête jusqu’à ce que le type s’en aille, se retourne et nous lance : "who the fuck was that !" (rires). Je n’ai jamais connu un autre éditeur capable de sortir autant de gros mots ! I. C.
Sylvie Audoly: un achat à l’aveugle
Editrice pour JC Lattès
En 1988, je travaillais avec Christian Bourgois. Tout le monde entrait en transe au début de la foire, dans l’attente du moment où allait surgir "the book of the fair". A l’époque, on ne savait rien avant d’arriver sur place, on ne recevait ni mails ni textes à l’avance. Tout d’un coup, on apprend que "le livre de la foire" est un roman brésilien mais personne ne parle le portugais. On se refile le tuyau, chacun agite son réseau, et la rumeur enfle. On découvre qu’il est publié par un nouvel éditeur que personne ne connaît, Companhia das Letras, fondée en 1986 par Luiz Schwarcz. Christian Bourgois y va, mais ne le trouve pas. Il m’envoie sur le stand collectif brésilien - tout petit - qui n’avait que trois exemplaires de l’ouvrage et les avait déjà distribués à nos confrères étrangers. Christian Bourgois s’y intéresse car le catalogue de Companhia das Letras est très littéraire. Alors il fait une offre et achète à l’aveugle, sans l’avoir lu. Je termine la négociation à mon retour à Paris, un peu inquiète. Nous recevons le livre, nous le faisons lire et nous comprenons qu’il n’a rien à voir avec ce qu’on nous a annoncé. C’est un roman historique sur le dernier roi du Brésil, que Christian Bourgois a publié chez Julliard et qui ne s’est pas très bien vendu. C. C.
Jean Arcache: en imperméable dans les allées
Conseiller au développement international de Planeta
Je suis allé pour la première fois à Francfort en 1977 en tant que jeune éditeur indépendant, représentant la maison que je venais de créer, Bréa éditions, spécialisée dans les guides touristiques. J’y vais en 4L, gagnée lors d’un raid Renault, je m’installe au camping de Francfort avec ma tente - il fait froid, il neige. A la foire, je n’ai pas de stand, mais j’ai un imperméable avec une vingtaine de poches contenant tous les ouvrages que je publie. Je me promène dans les allées comme un exhibitionniste montrant mes livres à tous ceux qui s’y intéressent. Les gens étaient très étonnés, parfois enthousiastes : j’ai récolté beaucoup de sourires, mais je n’ai eu aucune commande. Ce fut à la fois un échec et une initiation. Quarante ans plus tard, je vis l’édition à une autre échelle, je voyage autrement, je loge ailleurs, et j’organise un dîner réunissant les trente-cinq éditeurs de Michel Bussi, qui figure parmi les auteurs français les plus vendus dans le monde. Je vais aussi présider le dîner de l’association internationale des éditeurs de livres illustrés, qui lutte depuis quarante ans contre la censure et pour la liberté d’éditer. Le contraste entre le début de ma carrière et ce qu’elle est aujourd’hui est saisissant. C. C.
Delphine Ribouchon: juste après le 11-Septembre
Responsable des droits étrangers et dérivés à La Découverte
L’année 2001 a été marquée par les attentats du 11-Septembre. Elle a aussi profondément frappé les esprits. Je l’ai particulièrement ressenti à Francfort. D’habitude, les rendez-vous s’enchaînent sur un rythme soutenu, dans une sorte de train-train stakhanoviste. Or cette année-là, il y avait comme une nécessité de faire une pause pour tenter de comprendre, pour casser la routine. Le monde découvrait qu’il y avait un ailleurs, que l’on ne pouvait pas rester autocentré, qu’il fallait ouvrir les yeux. J’ai noté ce bouleversement intense chez mes interlocuteurs et leur intérêt nouveau pour la non-fiction. Les publications de La Découverte faisaient soudain écho à ces interrogations sur l’Afrique, sur le monde arabe. Successeurs de Maspero et héritiers du tiers-mondisme des années 1970, nous avions déjà à notre catalogue des ouvrages qui parlaient de cet ailleurs et des liens que nous entretenons avec lui. Un titre a particulièrement retenu l’attention lors de cette foire, L’Occident et les autres de Sophie Bessis. Dans cette synthèse, parue en avril 2001, l’historienne faisait un état des lieux des rapports de forces entre le Nord et le Sud. Elle montrait surtout comment le Sud commençait à réagir autrement à cette hégémonie du Nord. Avec une dizaine de cessions, dans ce contexte très spécifique, l’intérêt pour ce livre a été manifeste. L. L.
Marie-Catherine Vacher: la douleur de mes pieds
Editrice chez Actes Sud
Mon anecdote est un peu futile mais elle constitue aussi un bon conseil pour les novices de cet événement. A la Foire de Francfort, on a un peu l’impression d’être au centre du monde, là où tout se passe, avec cette excitation palpable, constante, et les belles rencontres, parfois impressionnantes, qu’on y fait. D’où l’envie de se parer de ses plus beaux atours pour briller, en portant notamment de magnifiques escarpins. Et c’est une grave erreur. Car à la Foire de Francfort, on marche, beaucoup. Beaucoup. Sillonnant les allées du salon de long en large, courant de rendez-vous en rendez-vous, parfois toutes les demi-heures. Malgré la douleur, j’ai persisté à me jucher sur mes talons plusieurs années de suite, jusqu’au soir où, à la fin d’une journée, je me suis retrouvée presque incapable de discuter avec un éditeur étranger tant la douleur de mes pieds occupait mon esprit. Depuis, et à l’exception de quelques récidives, j’y vais à plat ! P. L.
Francis Geffard: un goût de rouille et d’os
Directeur de département chez Albin Michel, chargé notamment de "Terres d’Amérique"
Est-ce nous qui trouvons les livres ou bien est-ce que ce sont les livres qui nous trouvent ? En 2004, une époque pas si lointaine où Internet n’avait pas encore radicalement transformé la circulation des manuscrits, je me rends à Francfort avec un but bien précis : mettre la main sur le recueil de nouvelles d’un jeune Canadien, dont j’avais lu un texte formidable dans une revue. J’avais soigneusement noté son nom dans mon carnet et comptais bien trouver par quelle maison il allait être publié. Je retrouve David Davidar, le patron de Penguin Canada avec qui nous partagions déjà quelques auteurs dont Joseph Boyden. A peine assis, David sort de sa sacoche un manuscrit, me le tend : "Je l’ai apporté de Toronto exprès pour toi." A ma plus grande stupéfaction, il s’agissait du livre dont j’avais décidé de me mettre en quête. Le recueil de nouvelles de Craig Davidson, Rust and bone. Je commence à le lire le soir même et le termine dans l’avion du retour. Je me souviens précisément de ce que j’ai ressenti en découvrant ces nouvelles : j’étais épaté, ébloui, sonné par l’univers de ce jeune écrivain alors âgé d’une vingtaine d’années. Nous en avons acquis les droits au cours des jours qui ont suivi. Le livre est paru en 2006 sous le titre Un goût de rouille et d’os. Un an plus tard, Craig Davidson est invité à "Etonnants voyageurs". A notre retour de Saint-Malo, Tonino Benacquista m’appelle et on arrange un rendez-vous entre Craig Davidson et Jacques Audiard le lendemain après-midi dans une brasserie de Montparnasse. Cinq ans plus tard, sortait sur les écrans De rouille et d’os avec Marion Cotillard et Matthias Schoenaerts. A.-L. W.
Patrice Hoffmann: le Nobel qu’on n’attendait plus
Directeur éditorial chez Flammarion
Ce jeudi d’octobre 2007, jour d’attribution des prix Nobel, j’étais en train de rejoindre le stand de Flammarion après avoir rencontré des éditeurs allemands. Il faisait très beau et je me suis arrêté pour m’acheter à manger sur la grand-place ensoleillée qui sépare le hall 3 du hall 6. Pendant que je faisais la queue, ma femme m’appelle pour m’annoncer que Doris Lessing a obtenu le prix Nobel de littérature. Je me souviendrai toujours de ce moment, je crois que j’en ai lâché mon sandwich. Cela faisait trente ans qu’on parlait de ce prix pour cette prestigieuse écrivaine britannique, âgée de 88 ans à l’époque, auteure notamment du Carnet d’or. C’était une femme que j’affectionnais particulièrement. J’ai eu la chance de l’éditer plusieurs années et, malgré le succès en 2005 des Grand-mères, on avait fait notre deuil de ce prix puisqu’elle semblait être "passée de mode". D’où mon bonheur et ma surprise. Elle non plus d’ailleurs ne s’y attendait pas. On se souvient tous de l’air effaré de Doris sur le pas de sa porte, cabas à provisions à la main, alors que les journalistes affluaient pour l’interroger. Lorsque j’ai rejoint les équipes de Flammarion, tout le monde était en émoi, et Teresa Cremisi m’est tombée dans les bras. P. L.
Isabelle et Laurent Laffont: Papillon échangé contre Le parrain
Editrice et directeur général de Jean-Claude Lattès
I. L : Dans les années 1960, Francfort réunissait un cercle de gentlemen éditeurs qui entretenaient des liens amicaux. Notre père, Robert Laffont, avait par exemple cédé les droits de Papillon d’Henri Charrière à son ami Bill Targ de chez Putman. Et ce dernier, en échange, lui avait vendu Le parrain de Mario Puzo en lui disant : "Tu n’as même pas besoin de le lire, achète-le ! Il devrait bien marcher !"(rires). C’était comme s’ils faisaient partie d’un club. C’était l’époque des personnalités littéraires très fortes comme George Weidenfeld ou Jean-Claude Fasquelle.
L. L : Ensuite, entre 1970 et les années 2000, Francfort est devenu le lieu où on arrivait avec des manuscrits cachés sous le manteau. On devait les lire en une nuit et participer aux enchères le lendemain. C’est comme ça qu’on a acheté Geisha d’Arthur Golden. Aujourd’hui, on repère des livres et on les lit après la foire. Francfort est devenu un endroit de rencontres et d’informations. Les mails et les enchères enlèvent tout enjeu en termes d’achat ou de vente sur place. Les découvertes se font également plus rares. Avant c’était un rendez-vous d’éditeurs, aujourd’hui c’est un rendez-vous d’agents. I. C.
Hedwige Pasquet: des chants tyroliens
Présidente de Gallimard Jeunesse
Je me souviens que Pierre Marchand nous lançait des défis : il nous faisait traverser les bordels près de la gare, où seuls sont admis les hommes, en courant pour éviter de se faire attraper. Il y avait Pierre Marchand, David Campbell d’Everyman, et John Clemente de Moonlight. Viviane Abel et moi relevions le gant. Aujourd’hui ces établissements n’existent plus. Il y avait aussi une boîte avec des Tyroliens en culotte de peau qui chantaient dans un décor avec des vaches. La salle était immense, sur deux étages, et on pouvait se téléphoner d’un étage à l’autre - c’était avant l’invention des téléphones portables -, si bien que certains messieurs en profitaient pour draguer les dames des autres tables. On prenait des verres, tout le monde dansait. C’était délirant, très kitch. C’était la vie nocturne de Francfort.
Le côté très festif de Francfort n’existe plus, la foire est devenue très sérieuse et très professionnelle. Je me souviens de l’effervescence autour de Jean-Loup Chiflet : nous attendions tous avec impatience de voir ce qu’il avait imaginé pour Francfort, notamment son jeu de l’oie. Il y a un vrai contraste entre cette époque et ce qu’on vit aujourd’hui avec des stands comme celui de Random House et ses cent soixante tables occupées par des commerciaux. C. C.
Jean-Guy Boin: quand l’édition mondiale fit silence
Directeur général du Bureau international de l’édition française (Bief)
Au cours de ces quelques dizaines d’années, j’ai eu la chance de pouvoir lire Francfort à travers le prisme de mes fonctions successives dans le secteur. Les premières fois que je me suis rendu à la foire, il n’y avait ni fax, ni téléphones portables, encore moins de messageries électroniques, les hôtels étaient déjà hors de prix, on entendait foule de rumeurs sur des enchères internationales portant sur des montants inouïs… Vu d’aujourd’hui, certains pourraient parler d’époque révolue ou d’ancien monde. Il y a une trace particulière dans mon esprit au 11 octobre 2001. Il était midi - je crois - et j’étais en train de discuter sur la via mobile entre le hall 6, où se trouvaient à l’époque les stands français, et les halls 8 et 9 (ceux, pour l’essentiel, des éditeurs en langue anglaise), quand un immense silence s’est fait, en mémoire de la barbarie à New York un mois plus tôt. Aucune annonce par haut-parleurs pourtant pour réclamer ce moment, comme si l’édition mondiale - dans son ensemble - (s’)était rendue muette un long temps, avant - naturellement - de reprendre le cours de la vie. P. L.
Pierre-François Catté: un happening permanent
P-DG du groupe CPI
La branche allemande est la plus importante du groupe CPI, et c’est en Allemagne que nous avons nos plus gros clients, dont le groupe Holtzbinck pour lequel nous imprimons environ 40 millions de livres par an. La foire est parfois l’ultime étape des négociations sur le renouvellement de contrats multi-annuels. Parmi les dix dirigeants de groupes d’édition qui comptent en Europe, je peux en rencontrer six ou sept à Francfort, c’est ce qui m’avait frappé dès ma première participation, après mon arrivée à la tête de CPI en 2008. C’est à Francfort que j’ai initié mes premières discussions avec des clients anglais, ou que j’ai rencontré pour la première fois le P-DG de Bonnier, mais j’y retrouve aussi des patrons français. Nous avons un très grand stand, le seul que nous avons maintenu dans ce genre de manifestation, et c’est un happening permanent de visites d’éditeurs, ou de déplacements sur leurs propres stands. Pendant trois jours, sur dix heures de présence quotidienne, il y a sept heures de rencontres avec les clients, auxquels nous présentons nos nouveautés et nos solutions industrielles. Même si CPI est le premier groupe d’impression en Europe, j’y vais humblement, il y a une hiérarchie dans ce milieu, et l’imprimeur est un fournisseur. Et Francfort permet aussi de voir ce que présentent les concurrents européens ou chinois. H. H.
Nathalie Beaux: J’ai fait l’école buissonnière
Directrice éditoriale du département livres illustrés au Seuil
C’était à l’automne 2011, et ce jour-là j’ai décidé de faire l’école buissonnière pour me rendre à un rendez-vous un peu particulier, mais qui compte parmi les plus beaux que j’aie connus à Francfort. Pas l’un de ceux qui procurent le plaisir de revoir des visages familiers venus du monde entier, coincés dans l’une de ces petites cases (trente minutes montre en main) pour se plonger avec curiosité dans de nouveaux projets, en cherchant celui qui pourrait être comme un cousin vivant à l’étranger et qui aboutirait à une belle publication. Non, ce jour-là j’avais pris rendez-vous au musée Städel de Francfort avec la magie de Vermeer. Un peu loin du Festhalle Messe, de l’autre côté du Main, m’attendait un Géographe qui n’avait rien d’autre à me proposer que son extraordinaire beauté dans un temps suspendu. 53 x 46,6 cm (qui pourrait être le format d’un livre), une huile sur toile datée de 1668-1669. Ce joli souvenir qui n’a marqué que moi restera toujours lié à la Foire de Francfort. P. L.
Pierre Astier: une réelle caisse de résonance
Pierre Astier, agent littéraire, directeur de l’agence Astier-Pécher Literary & Film Agency
En tant qu’agent littéraire, je suis depuis onze ans dans le Literary Agents & Scouts Centre. Il s’agit du centre névralgique de la foire, c’est là que se décide ce qui va se publier dans les années à venir. Alors, quand la romancière turque Asli Erdogan, dont nous sommes les agents depuis huit ans, s’est retrouvée en prison durant l’été 2016, nous avons décidé de créer une mobilisation de soutien pour elle, non loin de cet espace, le 16 octobre. Il fallait tout faire pour l’aider à sortir, et la formidable caisse de résonance que représente la foire nous a semblé importante à saisir. Au départ, il devait s’agir d’un petit événement, mais face à la mobilisation internationale et avec l’aide des organisateurs de la foire, le meeting a pris une plus grande ampleur. Le jour même, il y avait tellement de monde que beaucoup de personnes n’ont pas pu rentrer. Etaient notamment réunis la plupart des éditeurs internationaux d’Asli Erdogan, le Pen Club et sa présidente, Jennifer Clement, le président de la Foire, Juergen Boos, des personnalités turques… Durant trente minutes, il y a eu des prises de parole d’une force incroyable. Cet événement qui a accéléré la mobilisation pour Asli Erdogan fut un des plus importants de ma carrière. Si la foire est un lieu où le commerce des droits est la première activité, il y a aussi une grande conscience de la place du livre dans le monde et le désir de la défendre. Tout cela a mis en évidence la dimension morale, culturelle et politique du rôle d’un agent d’auteur. P. L.