Pour la troisième année consécutive, la production de beaux livres se réduit. Le nombre de nouveaux titres annoncés pour la fin 2014 se contracte de 8 %, à 1 808 nouveautés contre 1 965 à l’automne 2013 et 1 978 un an plus tôt. En pleine incertitude économique, les éditeurs de beaux livres préfèrent calmer le jeu. Ils s’offrent une rentrée concentrée, soigneusement pensée. En effet, en librairie, le rayon des beaux livres reste l’un des plus touchés par la crise et par les faillites de Virgin puis de Chapitre, avec un recul des ventes de 3,5 % sur l’ensemble de l’année 2013 par rapport à 2012 d’après nos données Livres Hebdo/I+C. Depuis le début de cette année, le secteur enregistre une forte diminution de son activité, de - 4 % au premier trimestre et de - 7 % au deuxième. Cependant, les librairies de 1er niveau échappent à la chute, qui concerne tous les autres circuits, et le programme automnal devrait particulièrement séduire leur clientèle, faisant la part belle à des auteurs réputés ou à des thématiques porteuses.
Nouveaux responsables
Dans les maisons d’édition, l’arrivée de nouveaux responsables des départements illustrés contribue à redynamiser la programmation. Flammarion Illustré a accueilli en décembre dernier un nouveau directeur, Jean-Jacques Baudouin-Gautier (voir p. 8). A La Martinière, un an après le plan social, Jocelyn Rigault, arrivé en septembre 2012, peut dessiner un programme à son goût en renforçant le catalogue photo. La maison a organisé pour la première fois en septembre une présentation de son programme photo aux libraires. Nouveau souffle aussi au Seuil sous l’impulsion de Nathalie Beaux, qui a pris la tête du département il y a deux ans, après le départ à la retraite de Claude Hénard. Son programme de 2014 est particulièrement ambitieux avec des auteurs comme Michel Pastoureau (Tympans et portails romans), Tzvetan Todorov (La peinture des Lumières, de Watteau à Goya), Dominique Missika (Les Françaises au XXe siècle) ou Michelle Perrot dont l’essai Histoire de chambres, qui avait reçu le Femina essai en 2009, paraît dans une édition illustrée. Chez Paris-Musées, Isabelle Jendron travaille depuis un an et demi à faire sortir les catalogues des musées et commence à donner les impulsions qu’elle souhaite à la production de la maison, changeant de diffuseur pour Flammarion-UD au 1er septembre et proposant "des livres loin de l’exercice convenu du catalogue, qui pourraient trouver leur place comme cadeaux de fin d’année".
Après avoir fortement développé la cuisine, Phaidon revient à ses premières amours, le rayon art, avec notamment Art et thérapie d’Alain de Botton, ou une biographie en images de Le Corbusier, Le Corbusier le Grand, signée Jean-Louis Cohen et Tim Benton. Des partenariats se nouent comme Omnibus qui s’associe pour la première fois à la RMN-GP pour Ecrire le désir. Enfin, de nouveaux acteurs se lancent en cette fin d’année à l’instar des éditions du Sous-sol, qui publient un premier beau livre, Au bonheur des lettres, ou de Carlotta Films, qui prévoit deux titres sur le cinéma, Macbeth-Othello et Outside, consacré aux photographes-cinéastes Morris Engel et Ruth Orkin.
Leaders du peloton
Un nom devrait une fois encore se détacher en cette fin d’année et tirer les ventes du secteur : Lorànt Deutsch revient avec une édition illustrée d’Hexagone (300 000 ventes de la version texte). Son Métronome illustré avait été le leader du rayon pendant deux années consécutives (500 000 exemplaires vendus). Parmi les textes à succès, à paraître en version illustrée, sont aussi attendus Inferno de Dan Brown (6e meilleure vente de 2013) ainsi qu’Une si belle école de Christian Signol (250 000 exemplaires vendus tous formats confondus). Autre bonne vente du rayon essai à passer du côté des beaux livres, la collection "Dictionnaire amoureux" chez Plon, qui depuis l’an passé se décline en illustré en coédition avec Flammarion, accueillera deux nouveautés : Dictionnaire amoureux de Venise par Philippe Sollers et Dictionnaire amoureux de la France par Denis Tillinac.
Pour ne rien laisser au hasard, les éditeurs reprennent des recettes déjà éprouvées. Ariel Wizman, troisième meilleure vente du rayon en 2013 avec Ces objets insolites ou obsolètes…, revient chez Michel Lafon avec Ces objets emblématiques que vous sauveriez (ou pas) avant de quitter la France. Cette nostalgie chauvine inspire aussi La France qui disparaît de Claude Maggiori et Sandrine Dyckmans (Glénat). Arthaud poursuit dans les atlas, après Atlas des lieux maudits (11 000 exemplaires vendus) et Atlas des îles abandonnées (25 000 exemplaires vendus), et propose un Atlas des cités perdues d’Aude de Tocqueville et Karin Doering Froger. Après La croisière jaune l’an passé, Ariane Audouin-Dubreuil retrace les expéditions Citroën au cœur de l’Afrique dans La croisière noire (Glénat). L’humour farfelu des artistes Plonk et Replonk revient chez Hoëbeke avec Monuments durables et métiers éphémères, et Hors Collection publiera le tome 2 de l’intégrale Uderzo.
Personnalités cathodiques
Pour toucher un public large et s’assurer une présence dans les médias audiovisuels, les éditeurs recherchent des noms connus en piochant dans les programmes de télévision. Parmi les personnalités cathodiques mises à contribution, Jean-Pierre Foucault pour Les voitures des années 1970 (Michel Lafon), ou Cristina Cordula, spécialiste en relooking sur M6, qui signe son premier beau livre, Style & allures (Larousse). La palme revient à Stéphane Bern, dont le nom s’affiche sur neuf livres pour les fêtes ! En lien avec ses émissions, il propose Les jardins préférés des Français (Flammarion) tandis que Sélection du Reader’s Digest reprend Les plus beaux villages de France, programme décliné aussi en jeu de plateau au Chêne (Jeu : Le village préféré des Français). Le spécialiste des têtes couronnées signe aussi au côté d’Edwart Vignot Le château de Chantilly, les trésors d’une collection royale (Place des Victoires), Dans l’intimité des familles royales, sur les grandes dynasties européennes chez Larousse, où il préface également un beau livre, Lesrois de France. En effet, lorsqu’il n’est pas l’auteur de tout le texte, Stéphane Bern livre un avant-propos comme pour Point de vue : trésors d’archives (Chêne) ou Jardins en majesté (La Martinière). De plus, Albin Michel adapte le volume 5 de Secrets d’histoire en version illustrée avec un calendrier détachable. On retrouvera aussi le duo Olivier et Patrick Poivre d’Arvor pour Chasseurs d’épices, poivre et compagnie (Place des Victoires), et le chanteur Antoine qui raconte 40 escales/40 ans de navigation (Gallimard).
Même les chats, sujet incontournable de la fin d’année, se doivent d’être célèbres et sexy, posant avec leur maîtresse, d’Audrey Hepburn à Lana del Rey dans Cat lady chic (Gallimard) de Diane Lovejoy ou écumant les "fashion weeks" comme Choupette, la vie enchantée d’un chat fashion (Flammarion), petit opus plein d’humour sur le chat de Karl Lagerfeld. Hachette Pratique surfe sur le succès d’un des tumblr les plus partagés, Des hommes & des chatons qui met en regard un beau mec et un chaton trop mignon.
Malles aux trésors
La vague de livres nostalgiques et la passion pour les archives ont transformé le livre-objet avec ses fac-similés cachés dans des pochettes, de phénomène de mode en réel courant éditorial. Larousse poursuit sa collection "Les documents de l’histoire" avec Un siècle d’espionnage et Les grands crimes de l’histoire de France. Dans Les trésors du Petit Prince (Gründ), Alain Vircondelet présente les archives de la succession Consuelo de Saint Exupéry tandis que des affiches et des lettres permettent de découvrir Les secrets de la Légion étrangère chez EPA. Dominique Maricq dévoile Les trésors de Tintin avec 22 fac-similés rares (Casterman). Le livre se fait malle aux trésors et, d’ailleurs, il n’est pas rare que les équipes éditoriales aillent fouiller dans leurs propres greniers familiaux. Après le succès des Pubs que vous ne verrez plus jamais, vendu à près de 60 000 exemplaires en 2012 chez Hugo Desinge, qui a concocté un troisième volume sur la santé, la publicité vintage reste très à la mode avec la parution des Secrets de la réclame chez EPA, de Pubs et réclames du XXe siècle chez Hachette Pratique et Marques & pubs cultes par Pierre Lescure (La Martinière).
Plus sérieux, Guillaume Piketty et Vladimir Trouplin dévoilent des archives inédites des compagnons de la Libération dons le très intéressant Les compagnons de l’aube (Textuel), et Bruno Fuligni a eu accès à deux cents boîtes de dossiers confidentiels du ministère de l’Intérieur, pour composer Secrets d’Etat (L’Iconoclaste). Après les Lycéens et les Paysans, Les Arènes s’intéressent pour leurs livres-objets aux Ouvriers ainsi qu’à La France en train avec une préface de Gérard Mordillat.
De la littérature à l’image
Plusieurs romanciers accompagnent des projets artistiques, à l’instar d’Emmanuel Carrère qui signe le texte de Family love (La Martinière/6 Mois), projet photographique de Darcy Padilla, photographe des sans-abri et des toxicomanes, qui a suivi jusqu’à sa mort une marginale, Julie Baird. La Martinière édite aussi Musée national, projet de Marc Lathuillière, portraits masqués pour montrer la muséification de la France sous l’effet du tourisme et sa représentation. Michel Houellebecq, qui dialogue depuis longtemps avec le photographe, se fait commentateur d’artiste et préface l’ouvrage. En retour, Marc Lathuillière pilote "Produit France", dispositif de deux expositions (dont l’une des photos de Houellebecq) dans le cadre du Mois de la photo à Paris.
Le romancier Olivier Rolin signe le texte accompagnant l’enquête photographique de Jean-Luc Bertini sur Solovki, la bibliothèque disparue (Le Bec en l’air), Michel Quint parle du "grand Jacques" dans Brel, l’inaccessible rêve (Hoëbeke), et Daniel Picouly donne des Leçons d’observation (Hoëbeke). Avec des illustrations de Pascale Bordet, Eric-Emmanuel Schmitt propose en livre CD audio une nouvelle version du Carnaval des animaux (Albin Michel) de Camille Saint-Saëns. Au Seuil, Philippe Delerm, grand amateur de sport, signe La beauté du geste (Seuil) tandis qu’Alberto Manguel interroge les 28 sens du mot japonais Sei (étoile, voix, bleu, sexe…) dans un livre illustré des photos de Yuriko Takagi (Xavier Barral). Et le Goncourt 2011 Alexis Jenni signe Jour de guerre sur la Première Guerre mondiale (Toucan).
Les chroniques radiophoniques de l’auteur de BD Joann Sfar, diffusées sur France Inter, feront l’objet d’un beau livre, Vous voyez le tableau, chez Gallimard. Michel Serres s’interroge dans Yeux (Pommier) sur les différentes manières de percevoir le monde et l’art, tandis que David Van Reybrouck, qui avait eu le prix Medicis essai pour Congo une histoire, signe 14-18, la guerre en images chez Mardaga. Enfin, Philippe Petit, le funambule qui avait traversé les Twin Towers, prépare un manifeste sur son processus créatif : Créativité, le crime parfait avec 30 illustrations en noir et blanc (Actes Sud).
Tous à la foi
La rentrée littéraire a été marquée par l’appétence des romanciers pour les problématiques de la foi catholique, d’Emmanuel Carrère à Catherine Cusset ou Alexis Jenni, et les beaux livres à paraître continuent dans le même domaine. L’acteur Michael Lonsdale fait partager sa découverte du Christ dans Jésus, lumière de la vie (Philippe Rey). Jean-Pie Lapierre, qui a été pendant plus de trente ans chargé des collections de livres religieux au Seuil, a réuni une incroyable iconographie dans Le musée chrétien (trois volumes sous coffret). Flammarion rassemble aussi la collection complète des chefs-d’œuvre du Vatican (Vatican) et Mengès recherche le Nouveau Testament dans la basilique Saint-Marc (Venise, l’art et la foi). Mardaga publie des études inédites de Chagall, lorsqu’il a illustré les textes saints (Chagall, voyage dans la Bible). Didier-Marie Golay signe un Atlas Thérèse d’Avila (Cerf) et les éditions Hazan publient un inédit de Daniel Arasse sur la fonction de l’image religieuse au XVe siècle, Saint Bernardin de Sienne entre dévotion et culture. Florence Thinard décortique les textes sacrés sous l’angle de la botanique (Dans les jardins de la Bible, Plume de carotte) tandis que Gérard Audoin étudie les Objets et symboles de la foi (De Borée). Par ailleurs, les éditions du Patrimoine traitent de l’architecture sacrée contemporaine en France, avec des photos de Pascal Lemaître (Patrimoine sacré, XXe et XXIe siècles) et prévoient un beau livre sur le Vitrail, art qui n’avait plus fait l’objet d’études depuis 1958.
En concert
Les stars des hit-parades se retrouveront aussi sur les étals des libraires, des Français de Shaka Ponk, avec un livre de photos sur leur tournée Monkey Diary ainsi qu’une bande dessinée chez Marabout, à Pharrell Williams, l’interprète du tube planétaire Happy, qui dévoile son musée personnel dans Places and spaces I’ve been (Michel Lafon). Côté rock, on attend Bruce Springsteen : une vie en albums de Ryan White (Place des Victoires), l’icône de la contre-culture rock Marianne Faithfull, à l’occasion du cinquantième anniversaire du single As tears go by, qui lança sa carrière (Rizzoli), ou encore les Rolling Stones en coffret chez Premium, ou photographiés par les plus grands artistes dans un volume de la collection "XL" chez Taschen avec une préface de Bill Clinton. Renaud Corlouër a suivi Johnny Hallyday pendant un an On the road (Le Cherche Midi). Le livre officiel Abba paraît au Chêne, commenté par les membres du groupe.
En musique française, Claire Balavoine parlera de son frère (Daniel Balavoine, Flammarion), Benoît Cachin racontera Michel Polnareff : une simple mélodie (Gründ) et le photographe Pierre Terrasson ressuscitera les "années électriques" des Rita Mitsouko (Premium). François Thomazeau déniche l’histoire des faces B qui sont devenues célèbres, de Ne me quitte pas de Jacques Brel à The man who sold the world de David Bowie (Faces B, Hors Collection) tandis qu’Emmanuel Pierrat et Aurélie Sfez reviennent sur 100 chansons censurées (Hoëbeke). Le jazz aura comme chaque année une place de choix avec une Histoire du jazz par Mervyn Cooke (Gründ) et deux livres sur le label Blue note : Blue note, le meilleur du jazz depuis 1939 de Richard Havers chez Textuel et Blue note de Michael Cuscuna et Francis Wolff chez Flammarion.
Enfin, quelques projets exceptionnels sont à découvrir en cette fin d’année. Albin Michel publiera Tour Paris 13, qui a été détruite en avril dernier et qui, juste avant, avait été le théâtre d’un projet, manifeste du street art, où 105 artistes ont été invités à s’exprimer sur les façades et à l’intérieur de cette tour de neuf étages. Chose rare, Diane de Selliers fait coup double en fin d’année et publie Yvain ou Le chevalier au lion de Chrétien de Troyes, illustré par les peintres préraphaélites ainsi que Des mérites comparés du saké et du riz illustré par un rouleau japonais du XVIIesiècle. Citadelles & Mazenod continue son exploration de l’art au XXe siècle puisque l’opus annuel de la collection "L’Art et les grandes civilisations" sera consacré au 7e art. L’art du cinéma a été réalisé sous la direction de Jean-Michel Frodon. L’éditeur d’art poursuit sa diversification et abordera même la mode féminine, des années 1920 à 1980 avec Vintage fashion.
Une fin d’année au musée
L’automne sera marqué par les réouvertures le 25 octobre de la Monnaie de Paris avec l’exposition "Chocolate factory" de l’artiste américain Paul McCarthy (jusqu’au 4 janvier), et du musée Picasso après cinq ans de travaux ; ainsi que par l’ouverture de la fondation Louis-Vuitton, imaginée par Frank Gehry au jardin d’Acclimatation. Par ailleurs, 158 catalogues sont publiés au deuxième semestre 2014, auxquels s’ajoutent tous les livres édités pour coller à l’actualité muséale, dont voici une sélection avec 20 expositions.
Hokusai, au Grand Palais jusqu’au 18 janvier.
Marcel Duchamp : la peinture, même, au Centre Pompidou jusqu’au 5 janvier.
Niki de Saint Phalle, au Grand Palais jusqu’au 2 février.
Erró, au musée d’Art contemporain de Lyon jusqu’au 22 février.
François Truffaut, à la Cinémathèque française jusqu’au 25 janvier.
Impression, soleil levant : l’histoire vraie du chef-d’œuvre de Claude Monet, au musée Marmottan à Paris jusqu’au 18 janvier.
Les Borgia, au musée Maillol jusqu’au 15 février.
Daniel Buren, au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg jusqu’au 4 janvier.
Garry Winogrand, au Jeu de paume du 14 octobre au 8 février.
Sade. Attaquer le soleil, au musée d’Orsay du 14 octobre au 25 janvier.
Sonia Delaunay, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris du 17 octobre au 22 février, tandis que le Centre Pompidou proposera Robert Delaunay du 15 octobre au 12 janvier.
Mayas, au musée du Quai Branly jusqu’au 8 février.
Le Maroc médiéval : un empire de l’Afrique à l’Espagne, au Louvre du 17 octobre au 19 janvier.
Le Kâma-Sûtra : spiritualité et érotisme dans l’art indien, à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 11 janvier.
La passion Dürer, au musée Jenisch de Vevey (Suisse) du 30 octobre au 1er février.
Un siècle d’art haïtien, au Grand Palais du 15 novembre au 15 février.
Oulipo, à la Bibliothèque nationale de France (site Arsenal) du 18 novembre au 15 février.
Giuseppe Penone, au musée de Grenoble du 22 novembre au 22 février.
Jeff Koons, au Centre Pompidou du 26 novembre au 27 avril.
Pour l’achat plaisir
Venu de chez Taschen, Jean-Jacques Baudouin-Gautier a pris il y a dix mois la tête du pôle illustré de Flammarion.
Quels sont vos projets chez Flammarion ?
L’aspect éditorial est nouveau pour moi car je viens de la vente et, qui plus est, de la vente ferme sur un marché français et international. Sur un marché tendu et crispé, il nous faut nous différencier de l’offre existante, car la clientèle souhaite se faire plaisir par un achat innovant qui fasse sourire, qui donne envie. Mon travail est de faire en sorte que les livres soient uniques, qu’ils attirent l’œil par le packaging. Cela peut aller d’une mallette à 39,90 euros pour le livre anniversaire Le Monde : 70 ans d’histoire aux trois versions de couleurs différentes du coffret pour le musée Picasso.
Vous qui avez un profil international, souhaitez-vous donner à Flammarion un tel rayonnement ?
Nous y travaillons, tout en nous appuyant sur la richesse du catalogue existant. Il faut asseoir le chiffre d’affaires sur des socles comme le livre de photos Doisneau Paris, qui est reformaté cette année, passant de 20 à 10 euros. Il ne s’agit pas de faire des sujets fourre-tout pour que cela plaise à l’étranger, mais la french touch opère à l’international, tout comme le savoir-vivre à la française. Je souhaite repositionner certains segments comme l’architecture, la photographie ou la pop culture. Nous avons noué un partenariat avec les galeries de photos Yellow Korner, avec lesquelles nous allons faire trois à quatre titres par an, eux s’occupant des tirages photographiques et des livres signés numérotés, et nous du beau livre à petit prix pour le marché de la librairie. Yellow Korner représente 120 points de ventes, dont 40 en France et le reste à l’étranger.
Cela ne va pas sans rappeler les corners Taschen ?
J’y ai passé dix-huit ans ! L’idée est de travailler l’image et la marque Flammarion en l’ouvrant sur des thématiques plus internationales, plus dans l’air du temps, et d’attirer ainsi de nouvelles clientèles.
Concept stores : fixie, arty, smoothie
Ces boutiques multiproduits présentent toujours un petit assortiment de livres, souvent illustrés, et intéressent de plus en plus les éditeurs.
Se faire une petite coupe-brushing, un grand café, et repartir avec la monographie d’Helmut Newton chez Taschen et Busta Rhymes en vinyle. Voilà comment on peut occuper son temps chez Cut & Mix, salon de coiffure-librairie-disquaire, ouvert par Christophe Desmonteix et Floriane Chambert fin 2012 à Marseille. Si la librairie générale reste le meilleur relais pour le livre illustré, plusieurs éditeurs, afin de toucher un nouveau public, commencent à démarcher en complément les concept stores, un circuit complexe car peu identifié et éloigné de la chaîne française du livre.
Valorisants pour le client
Ces boutiques à l’identité visuelle clairement définie, espaces agréables et valorisants pour le client, réunissent des produits divers autour d’une thématique (la mode, l’image, le tatouage, le design) et proposent souvent un petit assortiment de beaux livres. Cut & Mix, par exemple, présente 200 à 300 références en livre, uniquement illustré. Si la partie coiffure se monte à 60 % du chiffre d’affaires, la librairie atteint les 20 %. "L’atout de ce lieu un peu design avec une proposition différente est qu’il décomplexe la clientèle, analyse Christophe Desmonteix. Les grands lecteurs ne penseront pas à nous mais nous attirons des gens qui viennent au salon et découvrent l’offre de livres, que nous essayons de laisser abordable, entre 10 et 50 euros."
A Paris, où se situe le "trend setter" de référence, Colette, ce type de lieux se multiplie avec l’ouverture ces dernières années d’Auguste, une boutique-galerie-cantine de la rue Saint-Sabin, où le Label 619 d’Ankama fait ses lancements ; The Broken Arm, dans le Marais, dédié à la mode et à l’art de vivre, où l’on peut boire un smoothie et acheter un livre de Rizzoli ; No Youth Control, qui a ouvert en février dans le quartier des Batignolles et permet aux hipsters d’acquérir un fixie et des livres de mode (90 références) ; ou encore LO/A (Library of Arts), rue Notre-Dame-de-Nazareth, ouvert il y a un an pour "amener du contenu inspirant pour les professionnels des métiers créatifs", selon l’une de ses fondatrices, Jeanne Holsteyn. "Ces enseignes hybrides référencent peu de livres mais les poussent au maximum. Ils constituent un nouveau réseau très intéressant à travailler en termes d’image mais aussi de chiffre d’affaires", se réjouit Frédéric Claquin, à la tête des collections "Artittude" et "Tattooisme" dont les premiers volumes ont été édités par Herscher.
L’ambiance avant tout
Assez éloignés de la culture du livre, ces points de vente ouvrent rarement des comptes chez les principaux diffuseurs mais citent volontiers comme fournisseurs Taschen, Interart et Idea Books, car l’import représente de 40 à 60 % de leur assortiment. Ce qui séduit dans ces concept stores, c’est l’ambiance. "Nous fédérons des gens qui habitent sur la même planète que nous, nous proposons de bonnes idées pour rendre la vie plus simple et plus agréable", explique Alexandre Thumerelle, l’un des pionniers des concept stores qui, venant de la mode, a créé il y a dix-huit ans Ofr à Paris, une librairie-galerie "construite autour de l’édition papier" où l’on trouve des livres, des revues, des lunettes en bambou, des tirages photographiques, des sacs, de la céramique, deux frigos et une baignoire. Lui qui a organisé les premiers concerts des Daft Punk insiste sur la nécessité de multiplier les événements pour que les clients s’approprient le lieu. Il fédère une large communauté qu’il mobilise pour chaque lancement via les réseaux sociaux. Pour le libraire Carl Huguenin, la diversification de l’offre est une nécessité de la librairie. "La rentabilité moyenne d’une librairie aujourd’hui est de 0,6 % ; nous sommes à 3 % grâce à nos 20 % de chiffre d’affaires via les objets, qui ont toujours été dans notre ADN, explique le gérant d’Artazart, concept store dédié à l’image, racheté en 2008 par le groupe Bensimon. Nous avons un cœur de papier, sommes d’abord libraires et fiers de l’être, mais dès 2002 nous vendions des appareils Lomo tout en organisant des concours photographiques. Il faut créer des passerelles cohérentes à partir du livre." Se défendant d’être un concept store évoquant l’image austère, froide et branchée de certains lieux parisiens, il reconnaît l’importance d’un espace et d’une thématique auxquels les clients s’identifient. "Nous vendons des livres d’images pour "analphabètes", car nos clients viennent avant tout chercher chez nous des cahiers de tendances." Et cette librairie a bien traversé la tempête de 2013 avec une progression de l’activité de 2,5 %.
Transmettre une image
Catherine Bonifassi, depuis six ans le visage français de Rizzoli New York, sa conseillère stratégique et apporteuse de projets, travaille particulièrement le réseau des concept stores. "Nos partenaires principaux sont Colette, The Broken Arm ou Bookmark. Rizzoli est une maison qui a envie de visibilité, de travailler une marque, de transmettre une image", explique l’éditrice qui a débuté chez un packageur où elle s’est occupée du Livre Guinness des records, a travaillé des années en free-lance à concevoir des beaux livres pour Fleurus, Michel Lafon ou Albin Michel. Depuis 2008, elle pioche dix titres par an dans le catalogue Rizzoli pour le réseau français via la diffusion Flammarion. Il s’agit de leurs ouvrages les plus haut de gamme "car nous sommes dans le pays des créateurs et de la mode et que Rizzoli sait trouver un sujet de niche pour le lectorat bibliophile", précise-t-elle. De fait, la maison mère investit beaucoup dans le design des livres et dans les lancements avec trois attachées de presse à l’étranger (en Grande-Bretagne, en France et dernièrement au Japon). Depuis un an, Catherine Bonifassi a aussi repris le développement en France de Skira, qui a quitté le giron de Flammarion. Vingt titres paraîtront chaque année, des catalogues mais aussi de l’histoire de l’art, avec la relance au printemps, à l’identique, de la collection de monographies connue pour ses illustrations collées sur les pages.