Boris et son double. On l'oublie trop souvent, mais pour l'essentiel, la gloire de Boris Vian fut posthume. Et de son vivant, circonscrite à quelques rues de Saint-Germain-des-Prés et de sa ville natale de Ville-d'Avray. À cela, aux échecs répétés de ses premiers romans, à l'indifférence du monde littéraire (hormis Queneau et Sartre), une exception. Une supercherie littéraire comme il y en eut peu au siècle passé, un méchant petit livre de bric et de broc, écrit en quinze jours pour de mauvaises raisons tenant tout autant d'un goût un tantinet puéril pour le scandale que de la plus franche cupidité. Soit J'irai cracher sur vos tombes, signé de ce qui sera un parmi d'autres pseudo de Vian, Vernon Sullivan (soi-disant, rappelons-le, un mystérieux écrivain noir de peau et de genre littéraire, taquinant rageusement les muses pour mieux pouvoir « venger sa race », selon la formule désormais consacrée...) Bref, un succès, enfin. Mais que Boris Vian, traîné devant les tribunaux, vilipendé par tout ce que le pays comptait alors de trissotins et de canailles hypocrites, paiera au prix fort : celui de sa tranquillité comme de sa santé.
Cette histoire, au fond assez triste, est celle de Vie et mort de Vernon Sullivan, le deuxième roman (après Supernova, Les Avrils, 2021) de Dimitri Kantcheloff. De celui-ci, on connaît peu de choses : une jeunesse de guitariste dans des groupes de rock, plus tard des travaux dans la communication, et surtout son talent manifeste pour l'écriture. On sait aussi que, comme son héros, il a le goût du swing bien balancé. Ce roman, car c'en est tout de même un, relevant de l'exofiction, fait penser, par son ironie bienvenue, son élégance discrète, à la trilogie biographique de Jean Echenoz autour des figures de Zátopek, Ravel et Tesla. Il y a pire... Jamais en ces pages, alors que tout pourtant pourrait l'y inciter, Kantcheloff ne se contente d'être décoratif, de sacrifier au denier du culte zazou et existentialiste. Bien sûr, il y a Sartre, Beauvoir, Queneau, Greco, la trompette de Boris, les enfants perdus de l'après-guerre, les séries noires ou la fascination (relative) de l'Amérique, mais chaque chose, chacun, est à sa place. Domine la haute et pâle figure de l'auteur alors encore ignoré de L'écume des jours qui découvre en son déjà triste soir que toute belle aube est un malentendu. Un homme empêché, privé de sa plus intime liberté.
Finitude
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 17,50 € ; 176 p.
ISBN: 9782363391940