Avant-critique Roman

Confessions zurichoises. Dans le jeu des sept familles, celle du narrateur d'Eurotrash de Christian Kracht, c'est la famille Jet set. Demandez le fils, et vous aurez Christian, l'alter ego du bad boy de la littérature suisse alémanique. Eurotrash commence comme les confessions d'un rejeton de la haute société suisse. S'il est né avec une cuiller en vermeil dans la bouche, cet enfant du siècle dernier, de la génération X, n'est pas totalement satisfait de ceux qui lui ont donné la becquée. D'abord sa mère impossible à vivre. Depuis son divorce, elle végète dans son appartement zurichois en noyant son ressentiment dans l'alcool qu'elle agrémente d'anxiolytiques. Jusqu'au jour où elle est internée. Déjà déprimé à l'idée d'aller voir sa mère chez elle, voilà que le narrateur va devoir lui rendre visite à l'hôpital psychiatrique pour ses 80 ans. D'elle, il conserve pourtant encore l'image d'une femme glamour. Il se souvient de son enfance : le chalet à Gstaad, la villa au cap Ferrat, le château paternel à Morges, le pensionnat au Canada où il fut envoyé à 11 ans... Une vie d'errance aux quatre coins du monde qui reflète le désœuvrement de l'auteur de Faserland (Phébus, 2019). Christian embarque sa mère pour une virée en voiture avec chauffeur. Elle lui demande qu'il lui raconte une histoire pour la divertir. « Vérité ou fiction ? » « Ça m'est égal », dit-elle. Ces pages exhalent quoi qu'il en soit le remugle des réalités cachées. Au fur et à mesure qu'il brosse le portrait de sa famille, défile une galerie de personnages plus allemands que suisses. Un père aux origines modestes devenu richissime et proche du magnat de la presse allemande Axel Springer, un grand-père maternel dont on découvre à la mort « une collection d'ustensiles sadomasochistes »... Sous le vernis du luxe helvétique pourrit le bois vermoulu d'un passé inavouable. Le même aïeul avait été officier SS et le collaborateur personnel d'un ex- dignitaire nazi reconverti en cadre du parti communiste est-allemand, « réservoir » d'anciens du régime hitlérien. L'octogénaire verse d'amères larmes sur son trauma de fillette maintes fois violée par le marchand de vélo, et également sur le fait d'avoir été incapable de protéger son fils abusé trente ans plus tard dans une pension canadienne. Et tout se passe comme si le mal se transmettait à la manière d'une maladie héréditaire.

Christian Kracht
Eurotrash
Denoël
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19 € ; 192 p.
ISBN: 9782207179390

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