Blog : La Vie du Village

Cher Marcel

Marcel Proust - Photo © Otto Wegener (1849-1924)

Cher Marcel

Chaque mois, notre chroniqueur Jean-Claude Perrier flâne dans les rues du Quartier latin, souvent le nez en l’air, sur les traces d’un écrivain, d’un éditeur, d’une librairie, sans se priver de saluer des créations, ni de moquer les travers de notre époque, en particulier son charabia.

Contrairement à une idée reçue obsolète, le Village ne vit pas en vase clos, replié sur lui-même. Il rayonne au loin, même jusqu'à la rive droite. Ainsi, de la récente et première édition de « Fine Art Paris & La Biennale », qui s'est tenue au Carrousel du Louvre avant de migrer l'an prochain au Grand Palais éphémère, sur le Champ-de-Mars (car cette biennale semble en fait annuelle), puis de réintégrer son Grand Palais d'origine.

Un prestigieux éditeur d'art, Citadelles & Mazenod, et trois librairies de bibliophilie, Camille Sourget, Jean-Baptiste de Proyart et la maison Clavreuil, y avaient glissé leurs stands, bibliothèques et vitrines, parmi les antiquaires, galeries, joailliers et experts venus d'un peu partout en Europe : France, Royaume-Uni, Belgique, Italie, Suisse, Espagne, Allemagne, Portugal, et même des États-Unis et de Chine !

Chaque libraire avait eu à cœur de mettre à l'honneur des écrivains, classiques ou modernes, à travers des éditions choisies, rares, voire uniques. Ainsi Camille Sourget proposait-elle les Fables choisies mises en vers de Jean de La Fontaine, illustrées par Oudry, en 4 volumes in-folio (1755-1759) sur Hollande, reliés en plein maroquin rouge, gravures enluminées et aquarellées à la main par un membre de la famille royale, exemplaire réalisé pour le comte d'Artois. Jean-Baptiste de Proyart choyait, dans ses vitrines, un exemplaire de La Fin du monde filmée par l'ange N.-D., de Blaise Cendrars, avec des compositions en couleurs par Fernand Léger, relié par la Belge Louise Bescond, la valeur qui monte en ce moment. À noter que le texte, paru à La Sirène en 1919, vient d'être réédité en fac-similé par Denoël. Avec succès, et à 34 euros.

Quant à Stéphane Clavreuil, il a voulu participer à sa façon aux célébrations proustiennes, qui durent depuis quelque temps : 150e anniversaire de sa naissance, en 1871, centenaire de sa mort, en 1922, et centenaire de son prix Goncourt, en 1919, pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième volume d'À la recherche du temps perdu.

Justement, en 1920, Proust, qui était un esthète, avait fait réaliser une édition de luxe des Jeunes filles, en un volume en feuilles, sur papier bible, ornée en frontispice d'un portrait de l'écrivain par Jacques-Émile Blanche, tirée à 50 exemplaires numérotés en chiffres romains. Chaque exemplaire est enrichi de deux « placards », extraits des épreuves du livre, (largement) corrigées de la main de Proust. Certains exemplaires de cette édition sont montrés à la passionnante exposition « Marcel Proust. La fabrique de l'œuvre », qui se tient actuellement à la BnF, site François-Mitterrand (sur la rive gauche). Celui proposé à La Biennale, lui, porte le numéro XXXV, il est bien complet, en excellent état, non coupé. Et, cerise sur le gâteau, il comporte, sur la page de verso du faux titre, une longue dédicace inédite de Proust à « Madame la Princesse Soutzo » – laquelle sera bientôt l'épouse de son ami Paul Morand. « À peine deux ou trois de mes amies, lui écrit-il, [...] passeront dans À la recherche du temps perdu. » C'est-à-dire accéderont à l'immortalité. Cela vaut bien 350 000 euros.

25.04 2023

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