Un grand argentier qui part avec l'argenterie est un escroc. Ce n'est pas ce que suggère Daniel Dessert. Son portrait met en évidence l' « État Colbert », c'est-à-dire l'histoire d'un homme parvenu aux affaires et qui y fait les siennes. Dans les luttes d'influence qui caractérisent l'Etat absolutiste qu'il contribue à façonner il sait prendre les options rentables auprès de Mazarin. « C'est au cours de la Fronde que Colbert révèle l'étendue de ses talents et commence à restaurer la fortune du cardinal. » Car on ne naît pas Colbert, on le devient. Ce grand spécialiste des finances de l'Ancien Régime explique comment ce Rémois a su gravir tous les échelons grâce à deux puissants leviers : Richelieu et Mazarin. C'est d'eux qu'il tire sa connaissance des finances publiques et le goût du gain. Mais point de faste chez lui. L'argent reste discret, placé dans des propriétés et des domaines. « L'accord économico-politique qui lie Colbert au cardinal engendra le couple de prédateurs le plus avide de l'Ancien Régime. »
Grâce à lui les bourgeois investissent dans l'industrie et le commerce plutôt que dans l'achat des offices et des biens fonciers. Daniel Dessert ne conteste pas qu'il ait participé à l'expansion économique du XVIIIe siècle, mais il a su aussi en faire profiter les siens. « En une dizaine d'années, l'accumulation des portefeuilles ministériels satellise autour de Colbert des centaines de collaborateurs unis par les liens du sang ou du clientélisme. »
« Qui irait nier l'impact de Colbert sur l'histoire française ? Mais entre ses pratiques et son image, il est un fossé : il tenta de le combler par ses écrits ou par ses propos. » Il ira même jusqu'à faire croire à Saint Simon qu'il était un brave homme, sage, retenu et timide. Comme Richelieu ou Mazarin, il a éliminé tous ses adversaires dont Fouquet, sauf un. Car le pire ennemi de Colbert fut lui-même.
Avant leColbert le grandde Thierry Sarmant, à paraître chez Tallandier en octobre prochain, voici donc unColbert quand mêmequi ne manque pas de saveur. Car il ne s'agit pas ici d'un déboulonnage. Daniel Dessert montre combien il fut un organisateur hors pair. Mais il pointe aussi-c'est le point fort du livre-la méthode d'un ministre qui profite des dysfonctionnements de l'État qu'il contribue à renflouer. Il a finalement instauré un système qui a conduit la monarchie à sa perte. C'est pourquoi la République l'aime tant.
Colbert : la pratique mafieuse du pouvoir
Fayard
Tirage: 2 100 ex.
Prix: 22 euros ; 320 p.
ISBN: 9782213704968