Comment les lecteurs opèrent-ils leurs choix entre les collections de leur bibliothèque locale et celles mises en dépôt dans cette dernière par la bibliothèque départementale ? Une enquête menée par le sociologue Claude Poissenot* et ses étudiants de l’IUT métiers du livre de l’université de Lorraine sur les données de la médiathèque départementale des Landes (ou BDP, pour bibliothèque départementale de prêt) apporte, peut-être pour la première fois, des éléments de réponse à cette question. L’étude a analysé tous les prêts effectués de manière informatisée entre le 12 juin 2012 et le 31 mai 2013, soit 341 917 prêts. La médiathèque départementale des Landes propose depuis 2012 un catalogue et un SIGB (système intégré de gestion de bibliothèque) communs adoptés par 80 bibliothèques (contre une trentaine encore hors réseau, soit parce qu’elles ne sont pas informatisées soit parce qu’elles ont choisi un autre logiciel). De ce fait, les données analysées représentent 70 % de la totalité des transactions réalisées sur cette période.
Mesurer l’impact
Sans grande surprise, le livre constitue 77 % des prêts, et les sections jeunesse 47 %. Ce qui, en revanche, a étonné les enquêteurs, c’est la différence entre les volumes de transactions concernant les collections propres aux bibliothèques locales et ceux portant sur les collections prêtées par la BDP : alors que les quelque 594 000 documents à la disposition des Landais sur cette période se répartissaient à parts presque égales entre collections locales (53 %) et collections appartenant à la BDP (47 %), 85 % des prêts concernaient les documents acquis par les bibliothèques elles-mêmes, et 15 % seulement se portaient sur les collections mises en dépôt par la BDP. "Cette tendance générale vaut pour tous les types de documents", précise l’étude.
Comment expliquer une telle différence ? "Cela peut résulter d’une politique visant à répartir les acquisitions en laissant aux bibliothèques locales le soin d’acheter ce qui sera le plus à même de satisfaire leur public, tandis que la BDP se chargerait de fournir les collections de fond, avance Claude Poissenot. Mais on peut s’interroger sur la proportion occupée par ces documents peu attirants. C’est près de la moitié du fonds qui suscite un faible appétit chez les usagers. Ces derniers doivent trouver des titres intéressants au milieu d’autres qui le sont nettement moins. C’est sans doute de nature à brouiller la visibilité des collections et, par conséquent, à affaiblir l’image attirante de la bibliothèque."
Un jugement un peu sévère que Corinne Sonnier, directrice de la médiathèque départementale des Landes, tient à rectifier : "Cette enquête est intéressante car elle se saisit d’outils dont nous ne disposions pas jusqu’à présent. Il est cependant indispensable de bien comprendre. Toute notre politique d’acquisition repose sur la complémentarité des collections et le soutien de la diversité éditoriale. Nous nous chargeons d’acheter en effet les ouvrages plus coûteux, plus spécifiques, que les petites bibliothèques n’ont pas les moyens d’acquérir et qui constituent des fonds de longue traîne. Ce qui nous intéresse beaucoup à l’avenir, c’est de pouvoir exploiter ces données pour mesurer l’impact de notre politique de médiation, les rencontres d’écrivains ou encore nos actions en direction des publics empêchés, sur les comportements d’emprunt des lecteurs. On pourra voir aussi la complémentarité d’utilisation entre livres imprimés et livres numériques." d
* Claude Poissenot tient un blog sur Livreshebdo.fr