Entretien

Arnaud de Puyfontaine (Editis): « Nous voulons accompagner les créateurs »

Arnaud de Puyfontaine - Photo Olivier Dion

Arnaud de Puyfontaine (Editis): « Nous voulons accompagner les créateurs »

Livrant sa vision optimiste de l'édition, le président du directoire de Vivendi et président d'Editis, Arnaud de Puyfontaine, explique comment le rachat du 2e éditeur français, finalisé le 1er février dernier, s'intègre au projet industriel de son groupe, qui entend placer au centre l'accompagnement des auteurs dans leur processus créatif.

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Par Fabrice Piault, Anne-Laure Walter
Créé le 21.06.2019 à 12h44

Dans le bureau avec vue sur l'Arc de triomphe d'Arnaud de Puyfontaine, au 6e étage du siège de Vivendi, des piles de livres ont rejoint les pochettes d'albums, les affiches de films dédicacées, les exemplaires de Livres Hebdo ou du Film français et l'écran géant diffusant en simultané quatre chaînes d'information en continu. Des polars de Sonatine, quelques dictionnaires amoureux, des romans en poche de chez Pocket... tous ont pour point commun d'être publiés par Editis, dont le président du directoire de Vivendi est depuis près de quatre mois le président. A côté de sa table de réunion, deux tableaux lui rappellent sa mission : le schéma de l'empire Disney dessiné dès 1954 par Walt Disney, « d'une modernité extraordinaire et qui montre comment on développe un IP [une propriété intellectuelle, NDLR] sous toutes ses formes », et l'infographie de son univers de concurrence (autres médias, Gafa, pure players et opérateurs des télécoms) qu'il fait actualiser tous les trois mois.

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Livres Hebdo : Officiellement propriétaire d'Editis depuis le 1er février, quelles ont été vos premières actions ?

Arnaud de Puyfontaine : Ces quatre mois ont été le temps de rencontres et d'échanges avec les équipes d'Editis ainsi que la découverte de la culture du groupe. Nous avons regardé au sein de Vivendi quelles étaient les premières initiatives communes à mettre en place. Ainsi le lancement du dernier roman de Michel Bussi s'est fait avec un nouveau talent d'Universal Music, Gauvain Sers. Ghost in love de Marc Levy a été lancé à l'Olympia, avec la mobilisation des équipes d'Havas pour la promotion du livre, tandis que Bret Easton Ellis a donné une conférence pour la parution de White au théâtre de l'Œuvre, salle qui fait partie de Vivendi comme celle de l'Olympia. Nous avons intégré en avril l'offre de livres audio Lizzie à l'abonnement Canal+. Notre groupe crée les conditions qui permettent à Editis de trouver pour ses auteurs des interactions avec nos autres activités afin d'accompagner le processus de création sous toutes ses formes. Il faut voir Editis comme partie prenante de notre projet industriel.

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Quel est ce projet industriel et en quoi l'acquisition d'un groupe d'édition y participe-t-elle ?

A. de P. : L'écrit est une forme de média auquel nous croyons grandement. Chacun des clients de Vivendi est à la fois un spectateur, un auditeur, un joueur et, avec l'arrivée d'Editis, un lecteur. Nous souhaitons participer au retour de la croissance dans l'industrie du livre. Quelle que soit la forme de la création écrite, nous voulons redonner l'envie de lire et réunir les conditions pour accompagner les créateurs. Quand j'ai rejoint Vivendi il y a cinq ans, notre ambition pour ce groupe était de le faire évoluer d'une holding financière à un groupe industriel intégré, créateur de contenus d'essence européenne à vocation mondiale. Nous sommes aussi distributeurs de ces contenus, où la masse critique compte pour peser sur le marché. Intégré à Vivendi, Editis bénéficie de cet effet de taille par rapport à des partenaires comme Amazon ou Apple avec qui nous collaborons pour la distribution de nos contenus.

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Qu'avez-vous découvert en arrivant chez Editis ?

A. de P. : Je fais la connaissance d'éditeurs de grande qualité, d'auteurs qui font la gloire d'Editis, avec une diversité de savoir-faire répartis sur l'ensemble des maisons. Interforum est un merveilleux outil qui a été façonné par un grand homme et ami, Alain Kouck, disparu l'an passé et pour lequel j'aurai une pensée le 9 juillet. Nous avions souvent discuté des particularités des métiers de l'édition, de cet aspect créatif allié à un versant très industriel de la distribution.

Ces dernières années, Editis a vécu sous contrainte financière. Vivendi arrive avec de l'ambition, des moyens et une vision qui s'inscrit dans la durée. Nous sommes très exigeants, nous voulons des résultats et nous investirons par rapport à des objectifs très précis. Le marché de l'édition est en pleine transformation : le livre est engagé dans la guerre de l'attention que se livrent les contenus entre eux, les canaux de distribution sont profondément impactés. Il y a énormément de défis stratégiques avec, comme toujours, des menaces et des opportunités. Mon tempérament me pousse à regarder plus les opportunités ! En tant que nouvel entrant dans ce milieu, nous voulons être perçus comme un catalyseur de changements, proposer des expériences plus globales, de nouveaux formats, et battre en brèche le pessimisme ambiant.

Le précédent actionnaire, Planeta, a poussé Editis à une organisation par pôles qui fait débat en son sein, notamment sur la possibilité d'incarner mieux les maisons en littérature générale. Quel est votre avis ?

A. de P. : Je découvre peu à peu ces problématiques et je prends le temps de me forger une opinion. Ce groupe compte des maisons formidables en littérature générale comme Robert Laffont, Belfond ou encore Julliard. Peu de temps avant la finalisation de l'opération, Camille Pascal a remporté le grand prix de l'Académie. Je prends ça pour un signe ! Quand je suis arrivé chez Vivendi, l'industrie de la musique était considérée comme moribonde. En quatre ans, elle s'est totalement réinventée en s'orientant vers le streaming. Comparaison n'est pas raison, mais ce retour en grâce de la musique s'est fait par une adaptation aux nouvelles règles du marché et aussi via des labels très différents qui conservent leur indépendance : Def Jam n'est pas Mercury, qui n'est pas Barclays, qui n'est pas Motown, qui n'est pas Capitol Records. A l'image d'une maison d'édition, ils ont chacun une forte identité, une profondeur de catalogue comme les fonds des éditeurs. Avant, dans la musique, on repérait un chanteur, on le signait, on l'enregistrait puis on le diffusait. Aujourd'hui, le métier de manager dans un label musical s'est diversifié et requiert de très nombreuses qualités. C'est un véritable coach, spécialiste des réseaux sociaux, expert de la publicité. Il y a une nécessité de responsabiliser les éditeurs. Ils sont les partenaires de leurs auteurs.

Quels sont les premiers chantiers que vous souhaitez lancer ?

A. de P. : Nous en avons identifié certains, mais il est trop tôt pour en parler. Nous communiquerons après l'été.

Dans le contexte d'une édition très internationalisée, comptez-vous développer Editis par croissance externe, notamment sur les marchés non francophones ?

A. de P. : Absolument. Nous avons soutenu, dans la période de finalisation de l'acquisition d'Editis, l'arrivée dans notre maison d'Héloïse d'Ormesson. Nous avons l'intention de continuer ce processus tout en adoptant une approche extrêmement rigoureuse. Nous sommes déjà très présents en Afrique et y voyons des perspectives de développement. Nous sommes convenus avec Planeta de regarder toutes les initiatives possibles sur le marché hispanophone. Vivendi est déjà très présent dans l'environnement anglophone que je connais bien pour avoir travaillé aux Etats-Unis et vécu en Grande-Bretagne... Nous sommes là aussi ouverts à toutes les opportunités.

Jusqu'à quel point souhaitez-vous vous impliquer personnellement dans le secteur de l'édition ? Iriez-vous par exemple jusqu'à faire partie du bureau du Syndicat national de l'édition ?

A. de P. : Pierre Conte (directeur général d'Editis) représente déjà le groupe au sein du Bureau du SNE présidé de façon remarquable par Vincent Montagne que j'ai la chance de connaître depuis de nombreuses années. Je soutiens le travail de Pierre Conte qui anime une équipe talentueuse composée, entre autres, de Cécile Boyer-Runge (P-DG de Robert Laffont), Sofia Bengana (présidente de Place des éditeurs), Vincent Barbare (président d'Edi8), Catherine Lucet (directrice générale du pôle Education et Référence) et Marie-Christine Conchon (présidente d'Univers Poche). Mon rôle, en tant que président du directoire de Vivendi et président d'Editis, est d'apporter toute ma contribution et tout le soutien du groupe quand cela est nécessaire.

Personnellement, j'ai un immense respect pour les auteurs et je trouve le métier d'éditeur passionnant. Mon grand-père maternel, André-Marie Gerard, a passé les vingt dernières années de sa vie à écrire Le dictionnaire de la Bible publié par son ami Guy Schoeller dans la collection « Bouquins ». C'est très émouvant pour moi. Je suis un grand lecteur. Le week-end, quand je vais en Normandie, je m'arrête fréquemment à la librairie Jusqu'aux lueurs de l'aube, dans le centre-ville de Deauville, où des libraires formidables me conseillent, où je fais confiance à leur coup de cœur rédigé sur des fiches... Les libraires sont au cœur du dispositif. Il faut réfléchir aux moyens d'aider ces passionnés, notamment à travers les outils développés par Havas, pour mieux connaître les consommateurs-lecteurs et davantage dialoguer avec eux.

Comment analysez-vous les canaux de vente du livre ?

A. de P. : Il faut se remettre en question. Les chiffres du marché montrent la contraction des hypermarchés. En matière de distribution, le métier s'est transformé ces cinq dernières années. Quand vous regardez le colis moyen qui part d'une chaîne de distribution, il y a une augmentation de la fréquence d'envoi et une diminution des quantités. Il y a la problématique de la distribution digitale avec des plateformes qui livrent à J+1. Si vous voulez continuer à exister, il faut réfléchir à comment créer un élément de fidélité, qui puisse entrer en concurrence avec l'aspect immédiat de la consommation sur ces mêmes plateformes. Il existe de formidables entrepreneurs à la tête de librairies comme le Furet du nord ou Mollat. Discutons pour savoir comment les accompagner au mieux. Il y a une réflexion à mener sur le métier de représentant, qui est déjà en cours chez Interforum. Je suis pour la communication car nous avons la capacité de créer un projet commun qui permette de favoriser le développement et le succès de ce qui demeure la sève essentielle de l'ensemble de ce secteur, les auteurs. W

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