Avant-critique Roman

La rage au ventre. Le grand journaliste et écrivain turc Ahmet Altan a payé le prix de son engagement en purgeant une peine de prison contestée. Derrière les barreaux, il a composé le chef-d'œuvre Je ne reverrai plus le monde, véritable cri de liberté. Même si, grâce à la pression internationale, Altan a été libéré, il continue à composer des personnages enfermés dans leurs geôles intérieures. Prix Femina étranger pour Madame Hayat, il revient avec un nouveau héros impétueux au début du siècle dernier, peut-être. Ziya admire son grand frère, Arif Bey, un caïd redouté par tout le quartier. Celui-ci lui apprend qu'« un homme ne pleure pas. "Être un homme" déterminerait toute son existence. » « Un homme d'honneur », tel sera le titre du benjamin. Ce dernier n'a que 16 ans lorsqu'il brise sa bulle insouciante pour venger son frère assassiné. Armé de haine, Ziya tue le meurtrier d'une seule balle. « L'avoir tué une fois ne suffisait pas, il voulait le tuer encore et encore, piétiner son cadavre, l'humilier jusqu'au bout. » Jugé coupable, Ziya est envoyé en prison, mais il accepte son sort. « Mourir valait mieux que de vivre dans le déshonneur. » Son jeune âge et sa véhémence lui valent des sympathisants, qui l'aident à s'évader. Sa fuite en Égypte devrait aboutir à une nouvelle vie, mais « il était de ces hommes nés pour s'autodétruire. La dynamite fatale était cachée au fond de son âme. Il marchait à sa perte, bouffi par son moi, sourd et aveugle. » Ainsi, Ziya « haïssait tout et tout le monde », à commencer par lui-même. « Il était comme ces blessés qui ne savent pas où ils ont été touchés, il sentait la douleur, mais ne voyait pas la plaie. » Une lueur de douceur apparaît toutefois dans toute cette noirceur. Elle a les traits de Nora. Tout oppose ces deux êtres si ce n'est la solitude. La jeune fille est une étudiante étrangère en médecine, alors que Ziya ne possède que son crime comme carte de visite. Un lien silencieux se tisse entre eux... « Qu'il était dur d'attendre le bonheur. » Mais ce garçon sauvage a du mal à assumer et exprimer ses émotions. « Il désirait oublier la joie, le regret, la nostalgie, l'angoisse... Oublier c'était guérir. Les sentiments lui apparaissaient comme une maladie, les oublier lui semblait une guérison. » Quand son amour lui échappe, Ziya sombre dans ses démons. Dépression, alcool, femmes à gogo et casino, telle est son inquiétante routine. L'un de ses adversaires tente de le raisonner : « Le jeu rend l'homme imprudent. Ne te laisse pas embarquer, garde toujours l'œil ouvert. » De retour à Istanbul, l'anti-héros continue de s'enfoncer dans la violence. Ziya « se distinguait des autres hommes, parce qu'il acceptait que la mort fasse partie du jeu. Il vivait sa vie dans une coquille de mort. » Aussi n'a-t-il peur de rien. Tel un brillant chirurgien, Ahmet Altan analyse l'âme de ce garçon perdu, à l'image d'un pays qui se déchire depuis des décennies.

Ahmet Altan
Les dés
Actes Sud
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 21,80 € ; 208 p.
ISBN: 9782330184070

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