Moissons d'hiver. À 65 ans, Boris et Tsila Jampolski emménagent dans le deux-pièces qu'ils ont acheté rue du Château des Rentiers, dans le XIIIe arrondissement parisien. Immigrés juifs originaires d'Europe centrale, ils sont arrivés en France au début des années 1930, ont connu les privations et l'exil, comme leurs voisins, leurs amis venus de Bessarabie. Ensemble, ils réinventent dans leur grand âge une vie communautaire, dans cette tour où tous achètent un appartement. « Avaient-ils compris que la vieillesse est plus âpre quand elle est solitaire ? » Dans le salon, des photos d'avant-guerre. Ils sont en maillot de bain, les filles tiennent les garçons par le bras. « Ils ont l'air très heureux, ils n'ont aucune idée de ce qui les attend. Les bastonnades, les puces, le froid, les coups de fusil, le typhus, les chambres à gaz, la faim, le massacre, un nouveau massacre, un massacre de plus. » Tsila est la grand-mère de sang d'Agnès Desarthe. Boris, son « grand-père de remplacement », le premier époux de Tsila ayant été assassiné par les nazis. Des moments passés rue du Château des Rentiers, l'écrivaine retient surtout la joie, celle des visites impromptues, des disputes autour de la pâte à choux, des regards échangés comme si ces personnes âgées étaient « éternellement jeunes, en maillot de bain au bord de la mer Noire ».
Une nuit, Tsila rend visite à Agnès en rêve. La petite-fille approche de l'âge qu'avaient ses grands-parents quand ils ont acheté l'appartement rue du Château des Rentiers. Sa vie d'enfant a été longue ; courte, sa vie d'adulte. Ses premières années, « au cœur du secteur le plus laid du XIIIe arrondissement » la ramènent au temps qui a passé sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte. Alors que se profile le dernier âge de l'existence, elle se souvient du joyeux phalanstère au sein duquel ses grands-parents ont vieilli. À les observer, être vieux ne signifiait pas être « bientôt mort » mais « encore là », en sursis quand tant d'autres avaient péri dans les camps. À ceux qui ont traversé le siècle en survivants, l'écrivaine prête sa plume et transcrit une parole que notre époque préfère reléguer au silence de crainte d'attraper leur « maladie », cette vieillesse niée, tue, rejetée comme un mal du siècle. Suivant le fil de ses souvenirs, régalant son lecteur d'anecdotes, témoignant de cet humour qui rend ses ouvrages irrésistibles, Agnès Desarthe livre un récit personnel, résolument optimiste, sur ce qu'avancer en âge signifie, et invite son lecteur à ne pas redouter l'hiver, cette saison de l'existence dans laquelle entrer est avant tout une chance.
Éditions de L'Olivier
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 224 p.
ISBN: 9782823619515