Dans Livres Hebdo , les avis étaient partagés sur le nouveau livre de Beigbeder. Je peux comprendre les deux points de vue : je suis le François Bayrou de la critique. Même si je penche nettement du côté de ceux qui aiment. Je crois même que c’est mon roman préféré de Beigbeder. Peut-être parce qu’il me touche particulièrement. Pour tout vous dire, ce que je fais tout le temps finalement, j’étais en Russie en septembre pour une petite tournée moscovite ; et je suis passé juste après lui. Il avait laissé là-bas une traînée de poudre (aucune allusion à la coke). Vraiment, j’ai passé une semaine à donner mon avis : « nous aimons beaucoup vos livres, hum… hum…mais que pensez-vous de Beigbeder ? ». C’est bien simple, de ce voyage j’ai appris une chose : avoir un avis sur Beigbeder. Et ce n’est pas rien, pour quelqu’un comme moi qui n’a aucun avis sur rien. A part l’essentiel : les cheveux féminins. Bon, je sens déjà que je vais un peu trop digresser. Pendant ce voyage, les rumeurs les plus folles sur le cyclone Beigbeder me tombaient dessus. Ce blog étant tout public (il est notamment très lu chez la ménagère de moins de six ans), je fais la version soft : il aurait sniffé du sel, il aurait bu de la vodka dans sa chaussure. A l’étranger, on peut tout faire. On peut se créer un personnage de toutes pièces. Mais là, j’étais bien étriqué dans le rôle du suiveur. Merci beaucoup Beigbeder. J’étais un peu comme un Vincent Delerm qui ferait la seconde partie de Marylin Manson. J’avais l’air d’un fils de bonne famille, buvant du lait fraise à la paille, et pire que tout : même pas névrosé. Dans « Au secours, pardon », en tant qu’initié au mirage, j’ai reconnu certains lieux. J’ai repensé à tant de choses qui se promènent encore sur ma peau. Quelle est l’histoire ? On retrouve le héros de 99 francs , Oscar, qui est devenu chasseur de la plus belle tête du monde. Son but : trouver le nouveau visage de L’Idéal. Mais il faut se dépêcher : la beauté dure trois ans. C’est un métier très complexe, car il faut faire attention aux « boudins masqués ». Oscar est une sorte de héros de notre temps superficiel. La beauté ne se révèle plus instinctivement, elle est cachée dans l’artifice. Thomas Mann ne pourrait plus écrire « La mort à Venise » aujourd’hui : Tadeusz passerait son temps à faire des pompes, et à se mettre du mascara pour exalter son côté androgyne. Non, c’est faux car Oscar découvre Léna. Une apparition. Cela aurait été un bon titre pour ce roman : « La mort à Saint Pétersbourg ». Il y a cette phrase en exergue du film du Visconti : « celui qui contemple la beauté est déjà prédestiné à la mort ». Notre pauvre Oscar s’apprête donc à mourir car il dit de Léna : « en la voyant on se sentait provisoire, fugitif, vieux, inconsolable ». C’est sublime, et c’est beaucoup pour une seule femme, surtout quand elle n’a que 14 ans. Il la qualifie de gérontophile. Subitement, je pense : et si Lolita n’était pas un livre de pédophile mais de gérontophile ? Quelque part, et cela pourrait faire un pitch façon Beigbeder : c’est l’histoire d’un chercheur qui se perd. Ou encore : l’histoire d’un chercheur qui se cherche. En tout cas, Oscar est en pleine quête de toutes les quêtes. Ce qui est étonnant pour un passif primaire. Ce roman est un aller-retour permanent entre le crime et le châtiment, version moderne : le péché et la culpabilité, la noyade (au secours) et la tentation de se sauver par le rachat (pardon mon prêtre)… mais que peut-on racheter quand on a que 99 roubles ? On s’accroche désespérement à la religion, mais que peut comprendre un homme qui n’a pas la même sexualité que nous ? Ce roman est à l’image parfaite de ce que vit Oscar : des digressions, des monologues, des absurdités, et des fulgurances. Cabossé, inégal, et incroyablement brillant. La forme colle physiquement au fond. Des aphorismes et des formules en tous sens. Au hasard : « j’ai quitté ma femme parce qu’elle avait le même âge que moi », « à présent seuls quelques mètres séparent la Pravda de Prada », « c’est tellement compliqué d’être libre », « c’est incroyable le don que j’ai pour rendre laides les plus jolies femmes »… c’est un livre que j’ai souligné excessivement, et c’est ainsi que je mesure mon plaisir. Beigbeder pourrait aussi dire que son roman est un guide pratique, car il donne la technique pour draguer des russes : il faut pleurer en déclamant du Tourgueniev. C’est un roman de septembre qui sort en juin et qui est décomposé en quatre saisons. Il faut bien se fier à quelque chose, au temps découpé. Car il n’y a plus de repère, c’est un livre sur la folie, sur la nécessité aussi de la folie. Au début du roman, il y a une phrase exceptionnelle : « j’aimerais vous raconter comment j’ai compris que la tristesse est nécessaire ». C’est peut-être cela le grand paradoxe : on cherche la tristesse dans le bonheur. Aucun pays ne représente davantage ce grand écart, cette fièvre entre l’idiotie et le génie, et ces beautés excessives qui confinent parfois à la laideur. Je sais une chose : aller en Russie, c’est voir droit dans les yeux la possibilité de se perdre. C’est le roman d’un homme qui a trouvé la géographie de sa névrose, et ce n’est pas rien : c’est même majeur. Ps : je sais que cette chronique est foutraque, pas claire, mal organisée, au secours pardon.
15.10 2013

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