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Louise Mey : "La lutte des classes est celle des femmes"

Louise Mey - Photo Dwam Ipomée

Louise Mey : "La lutte des classes est celle des femmes"

Février 1969. Sur le domaine d’un riche propriétaire terrien, une enfant disparaît. Catherine, domestique effacée, observe les évènements d’un œil indifférent. Mais les deux policiers envoyés de Paris le sentent : si la nature de ce coin est sauvage, les tensions qui s’y cristallisent le sont encore plus. Avec son nouveau polar, Petite sale (JC Lattès) à paraître le 11 janvier prochainLouise Mey offre au lecteur une critique sans concession du patriarcat et du capitalisme. Explications.

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Par Léon Cattan
Créé le 06.01.2023 à 17h20

Petite Sale, comme vos précédents romans, dépeint en creux des violences de genre. Mais celui-ci pose plus frontalement la question du mépris de classe.

Féminisme et anticapitalisme sont deux causes intrinsèquement liés, et mon écriture reflète l’évolution de ma réflexion sur ces sujets. Quand on aborde la condition des femmes d’un point de vue économique, ça saute aux yeux. La pauvreté les touchent plus durement, car elles sont surreprésentées dans les professions dépréciées et les temps-partiels. La lutte des classes, un terme qui est très peu utilisé aujourd’hui au profit d’un flou artistique, a toujours impliqué les femmes, car elles constituent une force de travail, au champ comme à l’usine et au sein de leur foyer. Si elles ne travaillaient pas pour un patron, elles le faisaient pour leurs maris. Même les plus bourgeoises.

Le titre est une référence à un sobriquet qui sert à qualifier Catherine. Son point de vue est néanmoins beaucoup plus discret que celui des deux policiers dont l’enquête rythme le récit.

« Petite » et « Sale » ne sont pas des insultes mis séparément, mais l’expression, qui est venue très naturellement dans la bouche d’un des personnages, suinte le mépris. Les mots ont le pouvoir de réparer et de détruire. Le point de vue de Catherine, qui ouvre le début du roman, est petit et « sale » comme elle. Mais qu’il donne son titre au livre permet de décentrer la position et la toute-puissance des deux policiers, hommes blancs et parisiens. Si l’un d’entre eux est considéré comme un jeune homme éclairé pour l’époque, ses opinions nous feraient bondir aujourd’hui ! Il se considère comme un « type bien », mais son empathie est sélective, notamment par rapport aux immigrés qu’il va rencontrer pendant son investigation. Petite sale parle de la multiplicité des points de vue et de la construction de l’altérité, qui est renforcée dans les cas de kidnappings d’enfants.

C’est la première fois que vous placez votre intrigue hors de l’époque contemporaine. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans les Hauts-de-France en 1969 ?

Je connais la région car j’ai de la famille là-bas, et on m’a parlé du quotidien d’antan. Par exemple, j’ai côtoyé une institutrice qui travaillait depuis les années 1950. Elle était divorcée, et le matin, elle devait tout faire toute seule, casser la glace à la pompe pour pouvoir aller chercher de l’eau, aller remplir le poêle etc. Je me suis rendue compte que je n’avais que des représentations parisiano-centrées de cet endroit, alors j’ai dû faire beaucoup de recherches. Ce qui m’a frappé, c’était la distension du temps au sein d’une même époque. Tout ne se passe pas de la même manière au même moment, les révolutions ont toujours des temporalités différentes. Par exemple, mai 68, dont on nous rabâche tant les oreilles, n’a pas eu lieu dans certains endroits. Les gens n’avaient pas la possibilité de faire grève et de se révolter, car ils auraient pu tout perdre.

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