Délit d'offense

La loi du 5 août 2013 a abrogé le délit d’offense envers le président de la République qui était jusqu’ici prévu à l’article 26 de la sinistre et célèbre loi du 29 juillet 1881. Et ce à la suite de l’arrêt que la Cour européenne des Droits de l’Homme a rendu, le 14 mars 2013, dans l’affaire Eon, plus connue sous le nom de « cass'toi pov con ! ».

Le législateur en a profité pour toiletter la loi du 11 juin 1887 concernant la diffamation et l’injure « commises par les correspondances postales ou télégraphiques ». Las, le parlement a toutefois instauré, au cœur de la loi de 1881, un délit de diffamation envers le président de la République « à raison de sa fonction de Chef de l’Etat »…

Ce blog a souvent accueilli des réflexions et analyses relatives au crime de lèse-majesté, qui a donc la vie dure. Il est temps, puisque cet hydre du droit français pointe toujours sa tête de revenir au cas archétypal de Jacques Laurent, poursuivi après la sortie de son Mauriac sous de Gaulle.

Vingt-quatre passages du livre de Jacques Laurent sont « retenus par la prévention » d’offense à de Gaulle. Interrogé à l’audience, l’auteur s’explique : « j’ai été amené dans ce livre à constater que François Mauriac avait découpé certains discours du Général de Gaulle afin de leur faire dire ce qu’il souhaitait que ces discours disent. Donc Mauriac avait eu le discours devant lui et des ciseaux». Le futur académicien ajoute un peu plus tard : « si j’ai été amené à considérer que le livre de Mauriac n’était pas un livre d’Histoire, c’est simplement, quand je suis arrivé dans les premières pages, et que j’ai vu la comparaison avec le Christ »…

Plusieurs écrivains vont témoigner en faveur de Jacques Laurent, de Françoise Sagan à Jules Roy (présenté par sous son titre de « colonel »), en passant par Bernard Frank et Jean-François Revel. La plupart déclarent ne pas partager les opinons de Jacques Laurent, n’avoir lu ni son livre ni celui de Mauriac, mais viennent rappeler à la barre l’importance de la liberté d’expression. Du côté des politiques, le tribunal entend d’abord Tixier-Vignancourt. Lecture est ensuite donnée d’une lettre de François Mitterrand, alors député : « le législateur de 1881 cherchait à protéger un président-arbitre, irresponsable des actes politiques accomplis par l’exécutif. En 1965, le chef de l’Etat, qui se comporte ouvertement en chef de l’exécutif et qui est en fait chef d’une majorité et chef de parti, ne peut prétendre à la même protection. Ses actes doivent être soumis à la libre appréciation des citoyens. S’il veut échapper à la critique, à la controverse, à la polémique, il lui faut ou bien revenir à une autre conception de son rôle ou bien faire modifier la loi, ou bien imposer le silence propre aux régimes totalitaires ». Dans ce texte, s’exprime Mitterrand qui cultive des rapports privilégiés avec les livres, allant même, pour son image officielle, en 1981, jusqu’à se faire photographier en bibliophile par Gisèle Freund, grande portraitiste d’écrivains… Trente ans après cette affirmation livrée aux juges de Jacques Laurent, Le Grand Secret du docteur Gubler sera interdit par la justice, immédiatement après sa publication.

En 1965, des éditeurs font également part de leurs préoccupations au tribunal. Celui-ci entend Benjamin Arthaud, alors Président du Syndicat des éditeurs, Bernard Privat, qui dirige Grasset - maison ayant édité le livre de François Mauriac sur de Gaulle - ainsi que Jérôme Lindon. Ce dernier déclare : « je ne suis pas d’accord personnellement avec les idées de Jacques Laurent. J’ai lu son livre à l’occasion de ce procès, je m’en félicite, je l’ai trouvé plein de talent. Cela dit, je crois que Jacques Laurent se trompe sur de nombreux points, par exemple quand il pense que nous vivons sous une sorte de tyrannie, dont le Chef exercerait une sorte de pouvoir absolu sur tous les serviteurs de l’Etat. C’est même la raison pour laquelle je serais si heureux que vous infligiez à Jacques Laurent la peine qu’à mon avis il mérite, et qu’il ressentira avec le plus d’amertume parce qu’elle infligera un cinglant démenti à ses thèses, c’est-à-dire que vous l’acquittiez ».

Le 22 octobre 1965, les magistrats interdiront la totalité des passages litigieux du livre de Jacques Laurent. Dès le mois suivant, la Table Ronde publie l’intégralité des débats qui se sont tenus aux audiences correctionnelles. L’édition reprend toujours ses droits

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