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Dossier Loisirs créatifs : la singularité française

OLIVIER DION

Dossier Loisirs créatifs : la singularité française

Le secteur des loisirs créatifs constitue l'un des rares dans l'édition pratique à rester bien orienté. Les éditeurs maintiennent une production diversifiée, majoritairement fondée sur la création, qui les distingue sur le marché international et favorise les cessions de droits.

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 16.10.2014 à 13h06 ,
Mis à jour le 27.10.2014 à 15h12

Plus modeste et plus discret que ceux de la cuisine ou du jardinage, le marché des loisirs créatifs réussit en revanche l'exploit de compter parmi les rares, au sein de la grande famille du livre pratique, à avoir conservé une orientation positive au cours de l'année passée. Nécessitant des ouvrages techniques assez difficiles et coûteux à réaliser, il reste organisé autour d'une quinzaine d'éditeurs réguliers et attire peu les outsiders. "Contrairement à celui de la cuisine, c'est un marché encore peu encombré, où chaque éditeur peut affirmer sa personnalité", confirme Thierry Lamarre, directeur de la diversification aux éditions Marie Claire. Tout n'est pas rose pour autant, et la crise se fait sentir comme ailleurs. Seul le segment de la couture se montre réellement dynamique, tandis que les nombreux autres micromarchés se révèlent plus versatiles. "Les tendances émergent rapidement, mais elles peuvent se défaire tout aussi vite", constate Anne La Fay, responsable éditoriale chez Hachette.

Le rayon livres de la boutique Modes et Travaux à Paris.- Photo OLIVIER DION

UNE PRODUCTION DIVERSIFIÉE

Si certains éditeurs, comme Tutti frutti, Dessain et Tolra ou Marie Claire, reconnaissent réduire ou recentrer leur production sur quelques sujets de prédilection, une grande partie continue d'animer un catalogue généraliste. L'Inédite revendique ainsi de consacrer la moitié de sa vingtaine de titres à d'autres techniques que les arts du fil, et cherche des formules innovantes. La maison lance notamment "Carnets d'artiste", une série originale dans laquelle des créatrices proposent leurs créations. Dans le même esprit, LTA (Le Temps apprivoisé) vient de créer "Carte blanche" qui, comme son nom l'indique, laisse libre cours à l'expression d'un artiste pour des ouvrages assez conceptuels. Il propose plusieurs nouveautés sur différentes techniques comme le cartonnage ou la pâte polymère.

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Certains secteurs, délaissés par une majorité d'éditeurs car considérés comme trop risqués, peuvent offrir de belles opportunités. A chacun de choisir la niche qu'il aura envie d'occuper. Les éditions de Saxe réinvestissent largement dans diverses techniques ou domaines comme l'origami, le cartonnage ou les décorations de Noël. Fleurus, autre éditeur qui entretient un vaste catalogue, a obtenu de bons résultats avec Bracelets brésiliens et Bijoux en pâte Fimo. Chez Eyrolles, Calligraphie : le guide complet ou encore Détourner les pages : l'art de recycler, entre autres, enregistrent des ventes très correctes.

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Didier Carpentier a initié au printemps une nouvelle série généraliste avec trois titres : Broderie en fleurs de ruban, Un crochet par Giverny et Tout en Liberty. Des "microsujets" font leur apparition, tel le "masking tape" (ruban adhésif sous différents motifs et coloris, permettant de customiser meubles et accessoires ou de décorer son intérieur), qui a donné lieu à deux ouvrages au Chêne (L'art des masking tapes et Masking tapes : 30 créations à faire soi-même) et à un titre chez Hachette Pratique dans la nouvelle collection "Do it yourself".

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LES BEAUX-ARTS EN PERTE DE VITESSE

Les beaux-arts constituent a contrario le segment le plus difficile du secteur. Tutti frutti et Didier Carpentier les ont temporairement mis de côté. Chez Eyrolles, qui a publié en janvier Le manuel du mangaka débutant, on reconnaît que la tendance s'essouffle. Malgré ce contexte difficile, Fleurus a tout de même fait le choix de rester présent sur ce segment, encouragé par quelques beaux succès comme Le coffret pour dessiner les chevaux, qui totalise près de 14 000 ventes depuis fin 2010. L'éditeur a prévu pour la rentrée un coffret, Dessiner les mouvements du corps, ainsi que L'art du dessin en perspective avec DVD.

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De Vecchi maintient également une petite production en beaux-arts avec une série lancée en août (Dessiner les chats, Le nu féminin et Le portrait). Dessain et Tolra, spécialiste de ce créneau, a rénové et enrichi son catalogue de plusieurs titres, dont Carnet de voyage et Dessin botanique dans la collection "Carnet d'art", ainsi que Croquez les animaux pas à pas, premier titre d'une série destinée aux débutants.

LA COUTURE EN MAJESTÉ

La couture demeure la grande gagnante dans le secteur des loisirs créatifs. La vogue japonaise reste forte, au risque d'une certaine uniformisation de l'offre et malgré l'amorce d'un déclin prédit par certains éditeurs. Dessain et Tolra a publié au printemps 15 sacs et rangements à la japonaise. Eyrolles s'est essayé en 2011 avec deux traductions dans sa collection "Happy homemade" (20 modèles femme et 20 modèles fille et garçon).

Sans doute parce qu'ils répondent à un réel besoin de formation, les livres techniques se vendent bien. Le marché a ainsi vu fleurir un nombre impressionnant de manuels pour utiliser sa machine à coudre. Les éditions Marie Claire, qui augmentent cette année leur nombre de titres de couture avec une large place pour les livres d'apprentissage, ont prévu en septembre Apprendre à coudre à la machine, tandis que Fleurus publiera en octobre un Petit précis pour dompter sa machine à coudre. Eyrolles poursuit pour les publics expert et professionnel sa collection "Pattern magic", dont la meilleure vente est actuellement le Guide de couture à la surjeteuse et à la recouvreuse. "Il y a un marché pour les personnes très expérimentées et prêtes à s'équiper", justifie Eric Sulpice, directeur éditorial chez Eyrolles.

Les lectrices se montrant généralement très fidèles à une créatrice ou à une collection, les éditeurs favorisent tous une politique d'auteur et une logique de série. Mango prévoit pour la fin de l'année un nouvel opus de Tilda (Un hiver avec Tilda), auteure fétiche de la maison. Hachette poursuit sa désormais célèbre collection "Mes carnets de couture" avec Blouses, robes et Cie, Little girl et Basiques pour bébé. Les éditions de Saxe se réjouissent des excellentes ventes de leur collection "Secrets de couturières", dans laquelle sont parus récemment un titre de modèles pour garçon et un autre de couture en ligne droite avec des modèles qui s'adaptent à toutes les tailles. L'Inédite a publié en février, dans sa nouvelle collection "Atelier de couture", Ma première garde-robe et Mes indispensables en maille. Quelques collections font leur apparition, notamment à l'intention des débutantes : Mango a lancé en avril "Couture créative" avec Mes livres en tissu et Mon atelier couture.

ENFANTS CHÉRIS

A côté de la couture, les autres techniques du fil induisent des résultats plus imprévisibles. La broderie alimente un marché peu animé, même s'il ménage quelques belles réussites : aux éditions de Saxe, Broder et cartonner, paru en février, se place parmi les meilleures ventes de la maison ; Tutti frutti a obtenu de très bons résultats avec Fleurs de Digoin et Féerie à broder parus en début d'anné ; et Didier Carpentier aussi avec La frivolité aux navettes, bel ouvrage de référence paru en mars. Mango enrichit son catalogue, déjà important, avec notamment son agenda pour broder au fil des saisons, toujours très attendu, et le coffret Le petit monde de bébé. Marabout demeure également très actif sur cette technique, avec des titres tels que Bord de mer et Paris. "C'est un secteur qui se cherche mais qui reste notre coeur d'activité et qui continue à nous fournir nos meilleures ventes", souligne Elisabets Darets, directrice générale de Marabout.

Dans le domaine du crochet et du tricot, les éditeurs rivalisent d'imagination pour proposer des thèmes et des approches nouvelles. Le Temps apprivoisé a beaucoup investi sur le crochet cette année, avec Granny folies à crocheter en février et Crochet, premières leçons en juin. Tutti frutti a publié Le tricot est dans le pré et Vêtements de poupées au tricot. Mango propose en septembre Serial crocheteuses, inspiré par le blog de l'auteur. Les éditions de Saxe visent un public jeune avec un titre sur les "snoods" (écharpes tubes en laine ou fourrure XXL) à paraître en septembre.

Les enfants restent le principal centre d'intérêt pour les travaux d'aiguille. Les éditions Marie Claire leur consacrent de nombreux titres en 2012, notamment Coudre pour bébé, Couture enfants, Modèles chics pour enfants, Broder pour bébé et, côté tricot, Cadeaux de naissance, Chaussons de bébé ou encore Mon premier trousseau. LTA propose Irrésistibles à tricoter : 0 à 6 ans, Tricots chics pour mon bébé et Irrésistibles à coudre : 0 à 3 ans. Fleurus publie en octobre Tricots pour petites filles, tandis que la collection "Mes carnets du fil", chez Hachette, a accueilli Layette en mars.

DES PRIX DE PLUS EN PLUS PETITS

ien que le secteur soit réputé produire des livres aux prix de revient plutôt élevés, les éditeurs, contexte de crise oblige, sont nombreux à essayer de faire des offres à petits prix. Les éditions de Saxe reconnaissent avoir une politique volontariste en la matière. Elles ont lancé en janvier une collection, "Coudre, c'est facile", à 9,80 euros, deux ouvrages à 8,50 euros (Mes bracelets brésiliens et Mes jolis chouchous), ainsi qu'en août une nouvelle série à 12,50 euros avec des sujets tels que la pâte polymère ou la mosaïque. "On peut vendre des livres à 24 euros à des passionnés, mais pour des petits sujets, il faut être en dessous de 15 euros", estime Corinne Vignane, directrice-adjointe.

Dans le même esprit, Hachette a initié cet été "Do it yourself", une collection cartonnée à 8,50 euros dont chaque titre propose une quinzaine de petits ouvrages faciles à réaliser. Le catalogue de Didier Carpentier inclut également plusieurs titres à moins de 11 euros (Fleurogami, ravissants pliages de fleurs, Boîtes d'allumettes déguisées). Marabout vise, de son côté, les prix planchers avec une série de petits ouvrages thématiques de broderie ainsi qu'une nouvelle collection, "Les p'tites créations" (Bracelets brésiliens, Scoubidous, Pâtes Fimo), toutes deux à 3,50 euros. Quant à L'Inédite, elle a lancé cette année "Esp créatif", une collection à 14 euros. Pour sa directrice générale, Nadia Daniel, "c'est difficile de maintenir un prix bas quand on s'interdit d'imprimer en Chine".

La création en chiffres

La "french touch" s'exporte bien

 

Dans un marché international atone et resserré autour des arts du fil, la stratégie audacieuse des Français, presque seuls à proposer des créations sur d'autres segments, suscite l'intérêt des éditeurs étrangers et ouvre des opportunités de ventes.

 

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Peut-on parler d'exception française ? Alors que la plupart des grands éditeurs de loisirs créatifs étrangers se sont recentrés sur les arts du fil, délaissant les segments moins vendeurs, les Français maintiennent une production sur l'ensemble des techniques de loisirs créatifs, avec des créations originales. Conséquence de ce choix : la qualité et l'originalité de la production française suscitent un intérêt croissant chez les éditeurs étrangers et les opportunités de cessions de droits ont tendance à se multiplier. Avec la crise, des marchés s'ouvrent, comme celui des Etats-Unis, même s'il est très exigeant, souligne Pixie Shields, directrice des droits internationaux pour Marabout. "Les Américains exigent des projets sans aucun défaut, explique-t-elle. Mais quand un livre est vendu aux Etats-Unis, il est quasi assuré d'être réimprimé régulièrement pendant de nombreuses années." Marabout a pu placer récemment sur ce marché plusieurs titres dont Mon cours de crochet, Tricots pour mon bébé ainsi que les kits de broderie.

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La Chine, l'Europe centrale et orientale, la Finlande, de même que le Japon font également partie des marchés en expansion. Fleurus a notamment vendu à ces derniers Douceurs et gourmandises au point de croix, en conservant le titre français. Les techniques traditionnelles, le cannage, la vannerie, et bien sûr tout ce qui touche aux arts du fil font partie des sujets qui s'exportent le mieux. Marabout vend dans plusieurs pays ses séries de livres sur la broderie. De même, LTA avec Granny folies à crocheter et 150 points de broderie. Dessain et Tolra a connu un pic des ventes en 2011 avec plus d'une vingtaine de contrats et confirme l'apparition de nouveaux marchés en Europe de l'Est et en Asie. "Pour les pays asiatiques, le style français est considéré comme chic", se réjouit Evelyne Le Bourse, directrice des droits étrangers pour Larousse et pour Dessain et Tolra.

Didier Carpentier, qui fait 90 % de créations, a établi un partenariat avec l'allemand Frechverlag, qui diffuse une sélection de son catalogue, ce dernier lui rendant la pareille sur le marché français. "On achète surtout des titres autour du papier et on vend la tradition française comme la dentelle au fuseau", précise Didier Carpentier, directeur des éditions du même nom.

LES CONTRAINTES DE L'INTERNATIONAL

Chez Marie Claire, Thierry Lamarre nuance le tableau : "On vend, mais à des conditions assez dures. Les pays achètent souvent des petits tirages. Quant à ceux qui réalisent de gros tirages, comme les Allemands, ils négocient des prix très bas." L'éditeur préfère développer les coéditions internationales et considérer les cessions comme un bonus. "On ne les prend pas en compte dans l'économie du livre au départ. C'est valorisant, mais cela mobilise du temps et de l'énergie."

Un succès national ne donne pas toujours la garantie à un livre d'attirer l'attention sur le marché international. Malgré sa popularité en France, la collection "Les intemporels" chez Flammarion, par exemple, ne trouve que ponctuellement preneur à l'étranger. "Ce sont des livres coûteux à produire et à adapter à cause des planches de patrons, explique Ryma Bouzid, responsable éditoriale au département livres pratiques. En revanche, les lectrices étrangères, notamment américaines et japonaises, sont nombreuses à acheter nos livres en français."

Il convient également d'être attentif à certains détails qui peuvent freiner la vente : par exemple, les mots en français, fréquents en broderie, sont incompréhensibles pour les étrangers. "Nous avons demandé aux éditeurs de mettre plutôt des mots en anglais que tout le monde peut comprendre", explique Marion Girona (Fleurus).

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