Polémique

Désaccords publics entre Eric Vuillard et Robert Paxton

Eric Vuillard - Photo Olivier Dion

Désaccords publics entre Eric Vuillard et Robert Paxton

Dans The New York Review of Books, l'historien Robert Paxton critique le jury Goncourt d'avoir décerné le prix à Eric Vuillard davantage pour son style que pour la véracité historique de son récit. Le prix Goncourt 2017 lui a répondu dans la même revue.

Par Vincy Thomas
avec afp Créé le 20.03.2019 à 22h00

Une polémique littéraire comme il n'en existe presque plus oppose le lauréat du prix Goncourt 2017, Éric Vuillard et l'historien américain, spécialiste de la France de Vichy, Robert Paxton.

L'ordre du jour (Actes sud) a été traduit en anglais en septembre dernier (The Order of the Day, Other Press, filiale de Penguin Random House). Le livre n'a pas convaincu l'historien américain qui, dans un long article paru en décembre dans le New York Review of Books fustige  au passage le jury du prix Goncourt accusé d'être passé à côté "des grands auteurs de leur époque". "Beaucoup de grands auteurs français du XXe siècle comme André Gide, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Céline ou Colette n'ont jamais reçu le Goncourt. Éric Vuillard sera-t-il un des lauréats dont on se souviendra? Il y a des raisons d'en douter", affirme l'historien.

Selon lui, Vuillard a été récompensé par le Goncourt davantage en raison de son style ("musclé, concret, richement inventif, ironique, sardonique et dogmatique") que sur la véracité de son récit.

Piqué au vif par le terme "dogmatique", Éric Vuillard a répondu en février à la critique de l'historien dans les colonnes de la revue américaine. Le romancier reproche notamment à Robert Paxton d'avoir été disciple de l'historien "maurassien" Raoul Girardet, proche de l'OAS durant la guerre d'Algérie et auteur du classique Mythes et mythologies politiques (Seuil, 1986). "C'est ce que Robert Paxton considère comme un historien neutre", ironise l'écrivain.

"Catégories ennuyeuses"

Le roman revient sur l'arrivée au pouvoir d'Hitler, l'Anschluss et surtout sur le soutien sans faille des industriels allemands à la machine de guerre nazie. Dans la célèbre revue littéraire bimensuelle américaine, Robert Paxton, auteur de La France de Vichy (Seuil, 1997) a contesté cette thèse. "Au cours des dernières années, des recherches minutieuses" ont montré que si les grandes entreprises ont bien financé le parti nazi, elles ont donné de l'argent à tous les partis non-marxistes. "En fait, soutient Paxton, les nazis ne furent pas les plus gros destinataires" des fonds dispensés par les grandes entreprises allemandes.

"Les industriels allemands préféraient largement les partis conservateurs traditionnels", écrit l'historien qui concède que les grandes entreprises se sont réjouis de l'arrivée au pouvoir des nazis qui ont supprimé les syndicats et aboli le droit de grève.  Les entreprises allemandes "ont utilisé de la main d'oeuvre réduite en esclavage pendant la guerre sans apparemment s'en soucier", écrit-il.

"Le professeur Paxton imagine qu'écrire n'est rien de plus qu'une question d'ornementation, de composition et d'équilibre. Il est libre d'appliquer ces catégories ennuyeuses à ses propres livres", réplique Eric Vuillard.  "La bonne fiction ne nécessite aucune justification utilitaire mais peut contribuer puissamment à l'enseignement de l'Histoire. Certains romans le font mieux que d'autres", lui a répondu sèchement Robert Paxton.

Il n'y a là rien de très neuf puisque Jean-Louis Thiériot dans Le Figaro en décembre 2017 avait également accusé l'auteur de L'ordre du jour d'avoir déformé l'Histoire, "méprisée" selon lui, "pour instruire le procès des élites économiques, sociales et politiques."

De leurs côtés, la plupart des grands journaux américains - le Wall Street Journal, le New Yorker, Publishers weekly, et même The New York Review of Books - ont loué le Goncourt 2017. Le livre s'est écoulé à près de 400000 exemplaires en France.




 

Les dernières
actualités