26 septembre > Histoire France

C’est le genre d’ouvrage dont on se dit qu’on ne va pas en sortir. Peut-être parce que l’auteur n’en est jamais sorti lui-même ! Mais un bon historien possède sur les autres un avantage : le style. Ici, c’est bien ce qui fait la différence. Ajoutons que Patrice Gueniffey a fait le tri dans une documentation gigantesque et que les citations sont utilisées avec mesure. Tout cela au service d’une ambition : comprendre. Dans ce premier volume - eh oui, il y en aura un second consacré à Napoléon… -, nous suivons donc l’ascension de Bonaparte jusqu’à sa nomination comme consul à vie en 1802, acte qui termine la Révolution.

Directeur d’études à l’EHESS, auteur d’un Dix-huit Brumaire (Gallimard, 2008) et d’une Histoire de la Révolution et de l’Empire (« Tempus », 2011), Patrice Gueniffey travaille sur le sujet depuis 2004. C’est François Furet qui lui avait conseillé d’explorer cette veine pourtant déjà bien exploitée, sans doute parce qu’il envisageait lui-même d’écrire un Napoléon que la maladie ne lui laissa pas le temps de rédiger. On compte en effet des centaines de biographies de l’Empereur. Alors, que nous apporte celle-ci ?

D’abord, ce qui n’est pas son moindre intérêt, un point de vue. Dans son introduction, Patrice Gueniffey explique sa conception de la biographie et pourquoi il n’a pas retenu l’interprétation strictement libérale, celle qui associe l’aventure de l’homme à la nécessité. L’historien se situe entre deux, position souvent inconfortable, mais qui pour ce personnage hors norme trouve son point d’équilibre. Napoléon fut le produit d’une époque qu’il a contribué à bouleverser. C’est pour cela qu’il reste « moderne ».

On ne trouvera pas dans ce copieux travail de jugement moral, mais bien, pour chaque moment crucial - la question de l’esclavage dans les Caraïbes, la folle expédition d’Egypte, etc. -, une analyse ou une synthèse des débats historiques toujours en cours. Patrice Gueniffey s’en tient aux faits. Il nous montre comment ce jeune Corse a su profiter du système de l’Ancien Régime pour étudier sur le continent, il observe ce militaire révolutionnaire qui trouve Robespierre « sans ambition », ce romantique très gauche avec les femmes et trop droit avec les hommes, jusqu’à l’inflexibilité, un chef qui décide peut-être parce que « du pouvoir, Bonaparte aimait moins la jouissance que l’exercice ».

Patrice Gueniffey sait bien qu’aucun biographe ne peut saisir l’homme tel qu’en lui-même. Mais cette approche au travers de l’époque - c’est aussi ce qui justifie l’ampleur de la tâche - peut être considérée comme une étape importante pour la compréhension de ce réformateur et conquérant fulgurant qui, selon les mots de Nietzsche, représente la « synthèse de l’inhumain et du surhumain ». Avec l’idée que l’Histoire ne résiste pas à la volonté d’un homme ou d’un peuple. L. L.

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