Vers une contribution reversée aux auteurs et aux éditeurs ?

L'avocate Nathalie Matteoda est spécialisée en propriété intellectuelle. - Photo Dorothée Pirouelle

Vers une contribution reversée aux auteurs et aux éditeurs ?

Face au marché grandissant de l'occasion, la Société des gens de lettres, qui représente les auteurs de l'écrit, soutient la mise en place d'une contribution des revendeurs de livres de seconde main, afin de soutenir la création.

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Par Souen Léger
Créé le 17.10.2023 à 16h15

Plusieurs millions d'euros par an

« Si le chiffre d'affaires du livre neuf connaissait une croissance similaire, il y aurait moins de raisons de s'inquiéter. Mais il croît beaucoup moins vite que celui du livre d'occasion et les auteurs observent une baisse régulière de leur rémunération », affirme Patrice Locmant, directeur général de la Société des gens de lettres (SGDL). « Le développement du marché de l'occasion représente plusieurs millions d'euros de droits d'auteur qui leur échappent chaque année », souligne-t-il encore.

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Renaud Lefebvre, directeur général du SNE.- Photo OLIVIER DION

« L'étude de la Sofia et du ministère de la Culture montre que 60 % des achats de livres d'occasion sont aujourd'hui réalisés en ligne, sur des plateformes spécialisées. Il nous paraît juste que ces acteurs d'Inter-net, extérieurs à la chaîne du livre, qui captent une partie de la valeur créée par les auteurs et les éditeurs, participent au financement de la création par le biais d'une contribution sur le chiffre d'affaires des ventes de livres d'occasion », estime Patrice Locmant.

De son côté, le Syndicat national de l'édition engage aussi une mission de réflexion sur le livre d'occasion. « Il existe bien entendu une inquiétude partagée par les éditeurs de voir croître la proportion des livres d'occasion alors que leur exploitation ne donne lieu à aucune rémunération de la chaîne du livre. Nous devons rechercher collectivement une solution qui préserve les équilibres de notre filière », juge le directeur général du SNE Renaud Lefebvre. Et ce n'est pas une mince affaire.

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Patrice Locmant, directeur général de la Société des gens de lettres.- Photo SGDL

Sur le modèle du « droit de suite »...

La SGDL, qui défend l'idée d'une contribution de longue date, l'a notamment comparée au « droit de suite » appliqué dans le secteur des arts plastiques et permettant à l'artiste de percevoir une rémunération proportionnelle à chaque revente de son œuvre. Une idée d'ailleurs reprise par le sénateur Joël Guerriau (groupe Les Indépendants) dans une proposition de loi déposée le 14 janvier 2022.

Pour Nathalie Matteoda, cette duplication serait hasardeuse. « Le droit de suite a été introduit pour compenser la valeur d'une œuvre graphique ou plastique lorsque celle-ci a une cote qui augmente », rappelle-t-elle. « Pour le livre imprimé, c'est bien la règle du droit de distribution qui s'applique, associée à la règle de l'épuisement des droits », indique l'avocate, de sorte que l'artiste-auteur ne peut empêcher la revente ultérieure d'un bien ni ne perçoit de droits sur la revente de ses livres. « Mais au niveau européen, quand on prévoit des exceptions ou des atteintes au droit, comme c'est le cas ici, elles doivent toujours être compensées par une rémunération équitable pour l'auteur », ajoute-t-elle.

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Renaud Lefebvre- Photo OLIVIER DION

... ou du « droit de prêt » ?

« On peut imaginer que les sommes qui proviendraient chaque année de cette contribution seraient partagées entre auteurs et éditeurs pour compenser les pertes induites par le marché de l'occasion - comme celles perçues au titre du droit de prêt en bibliothèque - et que chaque auteur percevrait une part fixe et forfaitaire, comme c'est par exemple le cas aujourd'hui avec la copie privée numérique », détaille Patrice Locmant.

Des propositions que la SGDL a pu défendre en juin 2023 devant le groupe d'études Économie du livre et du papier de l'Assemblée nationale. À cette occasion, deux tables rondes avaient été organisées : l'une avec la plateforme Book Village et Amazon, l'autre avec la SGDL, le Conseil permanent des écrivains, le SLF, la librairie de Cluny et Gibert. « La question est assez complexe et demande encore à être creusée », observe la députée Géraldine Bannier (Modem et Indépendants) qui préside ce groupe de 27 parlementaires.

Renvoi de responsabilité

« Si le produit est vendu d'occasion, c'est parce qu'il a été vendu neuf antérieurement avec toutes les taxes liées. Dans le cas du livre, cela inclut donc les droits d'auteur. Comment alors légitimer une nouvelle perception de droits sur le même produit, pour lequel les droits ont déjà été acquittés ?, soulève Rodolphe Bazin de Caix, directeur marketing et communication de Gibert. Quand bien même une taxe supplémentaire serait décrétée, comment garantir l'équité dans les perceptions entre les différents acteurs vis-à-vis des échanges non déclarés entre particuliers par exemple ? », questionne-t-il.

« Les bibliothèques et médiathèques se fournissent aussi en livres d'occasion : la piste d'une contribution pour ces acteurs publics là serait peut-être un premier pas », suggère pour sa part Géraldine Bannier.

Du côté de la SGDL, on attend avec impatience les résultats définitifs de l'enquête de la Sofia et du ministère de la Culture sur le livre d'occasion. « Nous pourrons alors engager cette conversation avec le gouvernement et les parlementaires et réfléchir à la manière dont cette contribution peut prendre forme juridiquement et techniquement », souhaite Patrice Locmant, qui en fait une priorité pour l'année 2024. S. L.

17.10 2023

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