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Printemps de la poésie : debout les poètes !

Olivier Dion

Printemps de la poésie : debout les poètes !

Mise en avant du 4 au 19 mars dans toute la France lors du 19e Printemps des poètes, l’édition de poésie, portée par une légion de petites maisons indépendantes, se révèle, malgré une économie fragile, plus dynamique que ne pourrait le laisser croire son statut de parent pauvre de la création littéraire.

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Par Isabel Contreras, Jean-Claude Perrier
Créé le 17.02.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 17.02.2017 à 10h26

Lorsque la voix des poètes souffle fort, elle annonce généralement l’arrivée du printemps. Cette année encore, du 4 au 19 mars, le Printemps des poètes vient murmurer ses airs dans les collèges, les médiathèques ou les transports publics. La thématique de cette 19e édition, l’Afrique et sa diaspora, donne à entendre et à lire Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et une centaine d’auteurs moins célèbres en France, comme l’Ivoirienne Tanella Bonni ou l’Algérienne Habiba Djahnine. Des parutions accompagnent ces quinze jours de manifestations organisées partout en France : une anthologie, 120 nuances d’Afrique, établie par Nimrod, Bruno Doucey et Christian Poslaniec (éditions Bruno Doucey) ; des numéros spéciaux des revues Bacchanales et L’Etrangère ; des CD de poèmes lus par Gaël Faye (Thélème) ou chantés par Bernard Ascal (EPM).

"On voit la naissance de petites maisons qui constituent très vite un catalogue fort", Manuel Daull, librairie Le Marulaz- Photo ANTONIO CATARINO

Au total, plus de 10 000 lectures, récitals, concours, expositions sont destinés non seulement à promouvoir le travail des auteurs, mais aussi à stimuler la création de poésie contemporaine. "Le Printemps des poètes est encore aujourd’hui la manifestation la plus connue et la plus importante dédiée à ce genre littéraire qui reste pourtant confidentiel", observe le sociologue et spécialiste de l’édition de poésie contemporaine, Sébastien Dubois. En 2015, d’après les statistiques du Syndicat national de l’édition, le théâtre et la poésie ont représenté ensemble 0,3 % du chiffre d’affaires de l’édition, à un peu moins de 7 millions d’euros pour 1,9 million de volumes vendus, une part qui n’a guère évolué depuis dix ans. Un nouveau recueil de poésie est le plus souvent tiré à environ 500 exemplaires. Les meilleures ventes : des titres d’auteurs classiques du XIXe siècle comme Baudelaire ou Rimbaud, souvent inscrits dans les programmes scolaires et édités principalement dans la collection "Poésie/Gallimard", poids lourd du secteur avec 1 200 exemplaires vendus par jour selon son directeur, André Velter.

"Un recueil peut être vendu à 300 exemplaires pendant dix ans puis tout d’un coup connaître un pic de ventes." Bruno Doucey, éditions Bruno Doucey

La création de poésie contemporaine ne bénéficie pas, elle, du même succès en librairie, la consécration de ses auteurs arrivant sur le tard, voire après leur mort. "Un poète n’obtient pas de reconnaissance immédiate par ses pairs. N’oublions pas que Baudelaire n’a jamais vendu un livre de son vivant !" s’exclame André Velter. Une mécanique qui détermine le modèle économique du secteur. "La poésie ne répond pas à une logique de rentabilité immédiate", souligne Sébastien Dubois. "Il n’y a pas de best-seller en poésie, renchérit Bruno Doucey, éditeur de la maison d’édition du même nom. Un recueil peut être vendu pendant dix ans à 300 exemplaires et puis tout d’un coup connaître un pic de ventes ou, au contraire, un désintérêt total des lecteurs. La poésie n’est pas dans le règne de l’éphémère."

Aides du CNL

Pour pallier ces difficultés inhérentes au secteur, les éditeurs de poésie contemporaine peuvent compter sur le CNL, qui alloue 12,9 % de ses aides à la poésie. En 2015, 101 ouvrages ont été subventionnés à hauteur de 1 672 euros chacun en moyenne. Pourtant, "malgré un problème de visibilité en librairie, et une diffusion qui se fragilise, la poésie reste un milieu vivant et vigoureux", assure Elsa Pallot, des éditions Cheyne. La jeune éditrice de 23 ans rappelle l’existence du festival Lectures sous l’arbre, organisé l’été en pleine Auvergne, au Chambon-sur-Lignon, par sa maison d’édition, et qui a réuni 5 000 participants en 2016. "Les gens s’intéressent et se déplacent pour découvrir de la poésie contemporaine", insiste-t-elle. Dans la même ligne, Bruno Doucey est partenaire du festival Voix vives de Méditerranée en Méditerranée, à Sète, qui rassemble 110 poètes et qui en est à sa 7e édition. "Le fait d’être un éditeur de poésie indépendante ne veut pas dire qu’on est isolationniste", note Bruno Doucey. En sept ans, cet éditeur a publié 115 titres d’auteurs pour la plupart étrangers. Parmi ses meilleures ventes, un recueil bilingue français/innu-aimun, une langue amérindienne parlée par 15 000 personnes, dont 1 800 exemplaires ont été vendus, d’après l’éditeur. Avec Bruno Doucey, "on voit la naissance de petites maisons qui constituent très vite un catalogue fort comme c’est le cas aussi de Faï fioc", se félicite le libraire Manuel Daull. Egalement poète, ce dernier a ouvert en 2014 à Besançon sa librairie indépendante spécialisée en poésie, Le Marulaz. En pleine progression, il compte déménager bientôt pour agrandir sa surface de vente. Il vend des recueils d’une centaine d’éditeurs de poésie contemporaine parmi lesquels Dernier Télégramme, Fissile, Faï fioc, La Barque, Isabelle Sauvage, Louise Bottu, Héros-Limite ou Lanskine, des maisons qui ne cessent d’évoluer. "On remarque en ce moment une résurgence des enregistrements et des revues accompagnées de CD comme c’est le cas de Lgo, aux éditions Le Grand Os, ou de Donc chez Thélème", pointe Manuel Daull. Dans sa librairie, il organise souvent des lectures "pour des clients qui viennent écouter mais aussi partager", assure-t-il. Bruno Doucey, de son côté, se rend dans les médiathèques, "qui ont compris que leur rôle aujourd’hui c’est celui de l’animation et de la médiation culturelle", se réjouit-il.

Poésie éternelle

"La poésie a toujours besoin d’être accompagnée. C’est un art dont les conventions artistiques ne sont pas faciles à appréhender", souligne le sociologue Sébastien Dubois. Une image élitiste que les éditeurs de poésie contemporaine veulent casser à tout prix afin d’élargir leur public, mais aussi tout simplement parce que la poésie a sa raison d’être dans notre société. "Elle permet de nommer autrement les choses, affirme André Velter. Dans ce sens, tout ce qui relève de l’astrophysique est accompagné d’une pensée poétique."

Les frontières sont de plus en plus poreuses avec différentes disciplines artistiques comme le théâtre ou l’art contemporain, qui embrassent désormais la poésie. La Fondation Louis Vuitton a mis en place en 2015 une web radio consacrée à la poésie contemporaine où des artistes, des écrivains et des producteurs ont animé des lectures et des conférences sous différentes formes pendant vingt-quatre heures. Sur YouTube, le genre explore aussi de nouveaux terrains. La jeune Laura Vazquez, lauréate du prix de la vocation en poésie 2014, y lit ses poèmes courts, parfois en plusieurs langues, à la fin du mois. "La poésie est le plus démocratique des genres parce qu’il se prête à toutes les interprétations, dit encore Bruno Doucey. Les dictateurs commencent toujours par censurer les poètes." I. C.

Un "camp de base"

Mis en vente le 22 février, Un nouveau monde : poésies en France, 1960-2010 réunit sur 1 500 pages cinq années d’un "travail colossal", selon ses auteurs : le poète et traducteur Yves di Manno, directeur depuis 1994 de la collection "Poésie" chez Flammarion, créée par Claude Esteban, et Isabelle Garron, poète elle aussi et enseignante. Cette anthologie de la poésie française et belge (l’ailleurs francophone "nécessitant à soi seul un autre volume") depuis 1960 présente une centaine d’auteurs classés par ordre chronologique de naissance et de façon thématique. Depuis la surréaliste Joyce Mansour (1928-1986) jusqu’à la "nouvelle venue" Pauline Von Aesch, née en 1988 et auteure d’un seul recueil. "Nous l’avons fait exprès, explique Yves di Manno, pour montrer l’émergence de l’écriture des femmes en poésie." Mais c’est aussi une histoire de cette poésie, un outil critique, de travail et de référence : notices, bibliographie détaillée, chapitres sur des maisons d’édition ou des revues spécialisées, considérées comme des creusets de création. Les auteurs ont préféré la qualité au nombre : une centaine de poètes seulement, mais qui se voient consacrer de 8 à 22 pages. Les autres, et non des moindres, sont simplement cités. Il fallait bien faire une sélection. Un seul poète a refusé de figurer dans ce "camp de base", Olivier Cadiot, qui n’était pas d’accord avec les textes choisis. Une anthologie novatrice, ouverte, où l’on découvre nombre de jeunes poètes. "On est un jeune poète jusqu’à 60 ans", disait Jacques Dupin. J.-C. P.

Comment être poète aujourd’hui ?

 

De jeunes auteurs témoignent de leur condition et des enjeux de la poésie contemporaine.

 

De gauche à droite, Guillaume Chep, Pauline Von Aesh, Pierre Vinclair et Florent Dumontier.- Photo DR

"On naît poète, on ne le devient pas, ou si peu", écrit André Velter, poète et directeur de la collection "Poésie" de Gallimard. Un questionnement que partagent apparemment les poètes, toutes générations confondues. "Etre poète aujourd’hui, c’est déjà ne pas être sûr d’être poète", déclare Pauline Von Aesch, née en 1988, qui a publié en 2012 un recueil remarqué aux éditions Nous, Nu compris. "Je ne me sens pas définie par le terme de "poète", bien que faisant de la poésie, comme s’il était un peu suranné ou que le costume était trop grand pour moi (peut-être est-ce générationnel, ce sentiment)", ajoute-t-elle.

Ce mélange de vocation impérieuse et de doute permanent reste de toutes les époques et taraude tous les créateurs. Même si le poète emprunte la voie littéraire la plus étroite, la plus confidentielle et la plus solitaire. "Se dire "je suis poète", voilà une décision souveraine dont l’exigence est relevée par la conscience immédiate d’un risque : celui de briser sa vie sur un écueil. A n’être jamais entendu. A mourir pour du vent. Solitaire de paroles", explique poétiquement Florent Dumontier, né en 1989, lauréat du prix de la Crypte-Jean Lalaude 2015 pour son recueil Sur le perron glissent des spectres d’ombre, publié aux éditions de la Crypte en 2016. Cédric Demangeot, lui, né en 1974, auteur d’une quinzaine de recueils dont le plus récent, Un enfer, est paru chez Flammarion en janvier, estime qu’être poète "consiste avant tout à écrire contre l’Histoire. A contresens." Contre tout ce que Mallarmé appelait "l’universel reportage". "Il faut être au monde quitte à vouloir le changer", renchérit Guillaume Chep, né en 1990, un surdoué "touche-à-tout", à la fois compositeur et chanteur (en anglais), cinéaste, qui travaille à un roman et vient d’achever son premier recueil de poèmes, Comédie cosmique, encore inédit. Tandis que Pierre Vinclair, né en 1982, auteur de trois recueils, dont Les gestes impossibles (Flammarion, 2013), définit le poète comme "quelqu’un qui est à la fois en avance et en retard sur le matérialisme. Il croit à quelque chose comme l’esprit mais il croit que la matière de la langue porte cela."

 

La tentation de l’ermite

Du point de vue matériel, justement, des moyens d’existence plus précisément, aucun poète n’a fait fortune uniquement grâce à ses œuvres. Lenteur de la création, difficultés à être publié, tirages confidentiels, écho modeste dans la presse et auprès du public, voilà ce qui attend les Rimbaud d’aujourd’hui. Alors "grande est la tentation de se faire ermite, de prendre un bateau, de partir", reconnaît Guillaume Chep. Il y a aussi la possibilité d’avoir un "vrai" métier, alimentaire même si on l’aime : journaliste, traducteur, éditeur, enseignant… Comme Pierre Vinclair, professeur de philosophie au lycée français de Shanghai, et qui glisse des idéogrammes dans ses propres textes. Isabelle Garron, professeure dans une école du numérique, ou Pauline Von Aesch, enseignante également. Cédric Demangeot, lui, "vit très modestement, dans la vallée de l’Ariège", publiant "les livres des autres, aux éditions Fissile". Florent Dumontier et Guillaume Chep sont encore étudiants.

Rencontres physiques

Ces jeunes poètes, pourtant digital native pour la plupart, restent méfiants quant à l’usage des réseaux sociaux afin de se faire connaître, de publier, alors que le monde de la musique s’est emparé de ces outils. Même si Pierre Vinclair tient un blog et que Pauline Von Aesch reconnaît qu’"Internet, moyen de partir à la rencontre d’un auteur de clic en clic, rend davantage visible la poésie", Cédric Demangeot estime pour sa part que "les réseaux sociaux sont un des symptômes de l’époque contre lequel je suis a priori vacciné". Quand à Guillaume Chep, il attend "d’avoir quelque chose de construit à proposer". Isabelle Garron, elle, préfère "les rencontres physiques avec le public : lectures, performances…" Le réseau de rencontres et de manifestations s’étoffe d’ailleurs depuis quelques années. J.-C. P.

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