Rentrée littéraire 2021

Pierre Darkanian, «Le rapport chinois» (Anne Carrière) : Un zéro de notre temps

Pierre Darkanian - Photo © Céline Nieszawer

Pierre Darkanian, «Le rapport chinois» (Anne Carrière) : Un zéro de notre temps

Les tribulations d'un jeune consultant en Absurdistan où l'argent est roi. Pierre Darkanian signe une satire à mourir de rire.  Tirage à 8000 exemplaires.

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Par Sean J. Rose
Créé le 21.06.2021 à 20h11

Bullshit job (boulot à la con) est un concept forgé par l'anthropologue américain David Graeber, qui désigne ces emplois inutiles et dont la rémunération est décorrélée de tout talent ou effort. À l'ère du capitalisme tardif, le poids de la hiérarchie dans l'entreprise associé à une éthique du travail surjouée au service du maximum de profit a engendré une forme d'entropie où, tel le hamster dans sa roue, l'employé tourne à vide.

Frais émoulu d'une école de commerce, Tugdual Laugier décroche dans une prestigieuse boîte de consultants ce poste à 7 000 euros par mois. Payé à quoi faire déjà ? Le grand dadais l'ignore. Tugdual applique à la lettre les règles de chez Michard & Associés, dont la marque de fabrique est le secret total, même vis-à-vis des collègues. Il ne parle à personne de ce qu'il fait. Ça tombe bien, il ne fait rien. Ou plutôt : passe ces journées à enrouler et à dérouler sa cravate qu'il ingurgite à l'instar d'un avaleur de sabre. Bref, le héros du Rapport chinois de Pierre Darkanian produit du vent, et pas qu'au sens figuré, comme un clin d'œil flatulent au pétomane de La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Après trois années à s'échiner à ne rien faire, voilà que Bertrand Relot, l'invisible associé du cabinet, le grand manitou du huitième étage (la direction) lui demande « illico presto » un rapport sur les perspectives de développement en France de son client chinois, un certain M. Dong.

Ça ne rigole plus ! Relot, « les Noich » il connaît par cœur : « Quatre ans à bouffer du clébard avec des baguettes », pérore le patron. La barre est haute. Fini la fanfaronnade le soir à la maison, place au stress : Tugdual, qui ne manquait jamais de souligner à sa fiancée qu'il paye leur grand appartement, craint d'être viré. Il pond enfin - merci Wikipédia - le rapport chinois, sur l'avenir des mini-viennoiseries made in China, 1 084 pages, respect ! Alors que le déjeuner avec Dong se conclut par un satisfecit pour le nègre dudit rapport et cinq millions d'euros pour Relot, la commissaire Fratelli, qui suspecte depuis longtemps ce dernier, accro au crystal meth, de trafic de drogue et de blanchiment d'argent, s'apprête à l'arrêter. Le rapport chinois était un paravent ! Le parquet financier s'en mêle... À la supposée affaire de stups se superpose celle bien réelle d'escroquerie à grande échelle, à la Bernard Madoff. « Vous restiez derrière votre bureau, paradiez dans quelques cocktails, distribuiez votre carte de visite aux mains qu'on vous tendait et le tour était joué, sans coup de feu, sans goutte de sang, sans échange de marchandise, sans même une extorsion de monnaie sonnante et trébuchante. » Au-delà du malfrat en col blanc, subprimes, titrisation, mécanisme de la dette... tout n'est que bullshit économie : « Le monde découvrait qu'il ne reposait sur rien. » Ce vide donne le vertige à la commissaire et fait un appel d'air mettant en branle la suite de ces tribulations d'un consultant en Absurdistan. À mourir de rire... et, vu la véracité du néant, un peu jaune quand même.

Pierre Darkanian
Le rapport chinois
Anne Carrière
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 19 € ; 304 p.
ISBN: 9782380821543

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