Entretien

Moïse Kissous (Steinkis): "Nous préférons nous concentrer sur la relation avec les librairies"

Moïse Kissous, fondateur de Jungle et du groupe Steinkis - Photo Olivier Dion

Moïse Kissous (Steinkis): "Nous préférons nous concentrer sur la relation avec les librairies"

Il est l'homme des grands écarts et des transformations radicales. De la BD potache des années 2000 aux romans graphiques engagés et citoyens, le président de Steinkis, Moïse Kissous, a dû se réinventer pour se faire une place. A l'occasion des 10 ans de la maison vitrine du petit groupe qui monte dans la BD, l'éditeur dresse le bilan d'une décennie fertile et remuante.
 
 

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Par Nicolas Turcev
Créé le 30.01.2021 à 19h45

Steinkis fête ses dix ans et couvre un grand spectre de la BD avec les labels Jungle, Steinkis Editions et Splash !. L'occasion de dresser un bilan avec son fondateur et président, Moïse Kissous.

Que retenez-vous de ces dix ans ?
Le plaisir d'avoir participé avec Célina Salvador [éditrice chez Steinkis, ndlr] à faire découvrir de nouveaux auteurs, dont certains commencent à bénéficier d'une jolie réputation, comme Alessandro Pignocchi, par exemple. Le plaisir d'avoir contribué à notre modeste échelle au débat, à la réflexion sur un certain nombre de sujets, d'avoir été précurseur sur certains thèmes qui reviennent dans l'actualité. Et, en même temps, j'ai conscience que nous n'en sommes encore qu'au début. Nous nous adressons encore à des lecteurs relativement captifs. Notre souhait est d'arriver à dépasser cela pour toucher des lecteurs qui pourraient être amenés à changer d'avis grâce à nos livres.
 
Dans ce laps de temps, comment avez-vous vu le marché évoluer et comment vous êtes vous adaptés ?
Au tout début de Steinkis, mon souhait était de proposer aussi bien de la fiction, du document, que du roman graphique. Nous avons tenu cette diversité pendant quatre ou cinq ans avec un nombre de publications limité (8 à 10 titres par an environ à l'époque). Mais il fallait se rendre à l'évidence qu'avec ce niveau de parutions, il était compliqué de s'installer simultanément sur ces différents domaines. Il a fallu retourner à notre savoir-faire initial, la BD, pour obtenir les meilleurs résultats, d'où le pivot vers le roman graphique chez Steinkis vers 2016-2017, en même temps que le lectorat sur ce format montait en puissance.
Ma volonté était aussi d'alerter sur des sujets qui méritent un peu plus d'approfondissement et de nuance que ce que peuvent offrir les médias, à une époque où les lecteurs et citoyens expriment une envie de compréhension des enjeux contemporains. En cela, Steinkis est parvenu à trouver sa place puisqu'en 2020, alors que nous avons publié le même nombre de nouveautés qu'en 2019, notre activité a doublé. Sans que ces résultats ne soit liés à la performance d'un titre en particulier mais bien à l'ensemble du catalogue. Parce qu'ils répondent à une envie de recul et de réflexion, nos titres se vendent sur la durée, sur des années, avec des réassorts réguliers.
 
Pour le groupe Steinkis, cette décennie a aussi été celle du deuil de la diversification « classique » vers le manga et le comics, dont la vente de Vega à Dupuis l'an dernier est venue sonner le glas.
Tout à fait. Nous n'arrivions pas à imprimer notre marque dans ces domaines, du moins pas autant qu'en BD jeunesse ou en roman graphique. Donc nous n'avons pas voulu forcer le destin. La diversification demande des moyens importants et du temps. L'expérience de Splash, dont nous n'avons conservé que l'activité livre jeunesse en nous séparant de l'activité presse en 2017, nous a enseigné qu'il faut expérimenter pas à pas pour pouvoir tenir. Sur le comics et le manga, considérant que le secteur demandait de taper assez fort et assez vite, nous avons probablement été un peu trop volontaristes. Nous manquions de ressources autant humaines que financières pour être présents sur tous les tableaux. Peut-être que nous y reviendrons un jour.
 
Comment s'est faite la mue de Jungle, passé d'éditeur de BD humoristiques populaires à une maison de BD jeunesse « respectable » ?
Il nous a fallu du temps pour implanter un changement aussi fort. Nous avons complètement transformé l'esprit de la maison, dans son fonctionnement et son mode de relation avec les auteurs. Il nous a fallu apprendre qu'il faut du temps et la confiance des libraires pour implanter une série jeunesse. C'est pour cette raison que nous investissons peu dans la publicité et préférons nous concentrer sur la relation avec les librairies. Du chemin reste à faire, mais Jungle a déjà beaucoup changé. Le meilleur élément de preuve est de comparer nos albums d'aujourd'hui à ceux des années 2000 et de constater la hausse qualitative. Maintenant nous sommes devenus les spécialistes des séries qui ne font pas beaucoup de bruit mais qui se vendent très bien tous les mois, comme Mistinguette (700000 ventes) et Les filles au chocolat (500000 ventes).
 
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

 
Vous attendez-vous à une montée en puissance du « graphic novel for kids » ? Est-ce un format d'avenir ?
Jungle fait partie des quelques éditeurs actifs sur le sujet en France avec des titres comme Les règles de l'amitié ou Opération survie au collège. C'est un format qui va se renforcer mais qui est aujourd'hui limité par le fait qu'il se nourrit quasi-exclusivement d'acquisitions aux Etats-Unis. Il faut savoir que là-bas, la BD jeunesse n'a rien représenté pendant longtemps, ce qui a laissé la place au roman graphique pour ados de s'imposer. Tandis que chez nous, les albums occupent une place encore très importante sur le marché. Le format se développera quand on sera en mesure de proposer plus de créations originales, sachant que pour l'instant il existe un décalage entre le public potentiel et les coûts que représenterait le développement de ces ouvrages. Nous allons tout de même proposer quelques créations dans les prochaines années, deux ou trois par an pour commencer.
 
Quelle est la stratégie du joint-venture Philéas que vous avez créé l'an dernier avec Editis ?
Au moment de la réflexion autour de ce projet, nous nous étions éloignés de certains segments, notamment de la BD de genre. Nous avions alors développé un vrai savoir-faire d'adaptation chez Jungle, avec de beaux succès comme Enola Holmes. En même temps je constatais qu'Editis était relativement absent de la bande dessinée en dehors de Kurokowa pour le manga. Le cœur de ma proposition d'alliance consistait, pour eux, à leur permettre de se développer dans la BD grâce à la force de leur catalogue, et à nous d'apporter notre expertise dans l'adaptation. Le positionnement éditorial vient en plus compléter celui de Jungle et Steinkis, avec l'idée de se diversifier tout en restant plus proche de notre cœur de métier que si nous partions vers le manga ou le comics.
 
Est-ce que Philéas est la première pierre d'une ambition transmédia autour de licences fortes ?
Ce n'est pas vraiment notre objectif mais pour Editis, qui fait partie de Vivendi, proposer des BD adaptées de leurs romans à succès peut être un moyen d'accélérer des mouvements audiovisuels, parce que la BD est le chaînon entre le livre et le film.
 
Qu'espérez-vous pour les prochaines années de Steinkis Editions ?
Agrandir notre lectorat de manière à participer de manière plus importante au débat public. Etant donné les thématiques abordées par nos auteurs, nous devons saisir l'opportunité pour être plus visibles dans les médias. Ce travail reste à faire. Nous voulons aussi nous installer dans la durée et faire vivre notre catalogue chaque année par des remises en avant. Si nos mises en place initiale sont modestes, elles sont quasi systématiquement doublées par les réassorts. Nos livres sont là pour longtemps.

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