Lindon, POL et Libé déboutés face à Le Pen

Mathieu Lindon © John Foley/Opale

Lindon, POL et Libé déboutés face à Le Pen

L’affaire a donné lieu à un rude débat entre les 17 juges de la Cour europénne des droits de l’homme. Quatre d’entre eux ont très nettement désapprouvé l’arrêt.

avec hh d'après afp Créé le 15.04.2015 à 20h04

Condamnés pour diffamation à la suite de la publication en août 1998 du Procès de Jean-Marie Le Pen, Mathieu Lindon et  Paul Otchakovsky-Laurens, respectivement auteur et éditeur de l’ouvrage présenté comme un roman, avaient porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir épuisé tous les recours devant la justice française. Libération, également assigné et condamné pour avoir publié des extraits de cet ouvrage, s’était joint à la procédure. Le leader du Front national était notamment qualifié par « chef d'une bande d'assassins » et de « vampire » se nourrissant « du sang de ses ennemis ». Le roman s’inspirait de faits réels, notamment du meurtre de deux jeunes immigrés par des militants du front national, en 1995. Les trois plaignants estimaient que la condamnation, assortie de 6 000 euros d’amendes et de dommages intérêts, violait leur liberté d’expression.
Dans son arrêt rendu le 22 octobre, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé à la majorité de 13 juges sur 17 qu’il n’en était rien [mettre le texte ici en lien]. Elle rappelle certes que Jean-Marie Le Pen a été condamné pour provocation à la haine raciale, injures et apologie de crime de guerre « s'exposant soi-même à une critique sévère ». Mais elle observe néanmoins « qu'assimiler un individu, fût-il un homme politique, à un “chef de bande de tueurs” outrepasse les limites admises même si la critique à l'égard d'un homme politique peut être plus large que pour un particulier ».
La Cour estime que la décision de la justice française trouve sa base légale dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, et soulige que l'article 29 « couvre la fiction lorsqu'il s'agit de l'atteinte à l'honneur d'une personne clairement désignée ». Les juges rappellent à Libération, qui avait publié des extraits incriminés dans une pétition de soutien à Mathieu Lindon, que le droit d’informer « doit reposer sur des faits exacts » et qu'il « incombe de vérifier des déclarations factuelles diffamatoires ».

Un arrêt qui ne fait pas l'unanimité chez les juges
Quatre juges ont toutefois très nettement pris leur distance avec l’arrêt approuvé par leurs treize confrères. «Nous ne partageons pas la décision de la majorité qui conclut à la non-violation de l'article 10 de la Convention dans cette affaire» affirment-ils dès le début d’une note publiée à la suite du jugement. Appuyée sur de nombreuses décisions précédentes, elle prend l’allure d’un véritable réquisitoire contre celui-ci, et contre la position de la justice française, qui n’a pas vérifié l’équilibre entre la liberté d’expression et le droit à la réputation, estiment les quatre «dissidents». «En avalisant - sinon en paraphrasant - le raisonnement tenu par les juridictions internes, en abondant dans la logique utilisée par celles-ci, l'arrêt de la Cour renonce tout simplement à effectuer son propre contrôle. Il en résulte que le contrôle européen disparaît ou, à tout le moins, se réduit à un contrôle restreint, ce qui s'écarte sensiblement de notre jurisprudence lorsqu'il s'agit de la critique des hommes politiques», regrettent-ils. Ils affirment avec force que le caractère romanesque de l’oeuvre incriminée lui confère un statut particulier : «un roman-réalité reste en grande partie un roman tout comme un documentaire-fiction reste, pour l'essentiel, une fiction». Par ailleurs, les quatre juges estiment que les multiples condamnations de Jean-Marie Le Pen pour incitation à la haine raciale, antisémitisme, apologie des crimes de guerre, etc., constituaient bien la «base factuelle suffisante» pour etayer les propos du roman.



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