1ER MARS - ROMAN États-Unis

Les mythes américains tragiques réussissent souvent aux grands romanciers. On se souvient du formidable Blonde de Joyce Carol Oates ou d'Underworld USA, la trilogie saisissante de James Ellroy. Stephen King a choisi de relever le gant et d'aller se colleter avec l'un des moments sombres de l'histoire des Etats-Unis du siècle dernier. L'assassinat à Dallas du Président JFK par Lee Harvey Oswald.

Conteur émérite découvert en France en 1976 lorsque Gallimard publiait Carrie, King a toujours déployé un art inégalé pour les intrigues retorses, les histoires qui vous tiennent en haleine et les retournements de situations qui vous laissent pantelant. Son nouvel opus de plus de neuf cents pages, 22/11/63, ne peut se lâcher. On y suit les aventures de Jake Epping, un professeur d'anglais de 35 ans qui a été quitté par une épouse foncièrement gentille mais portée sur l'alcool. Cet homme qui n'a pas versé de larmes à l'enterrement de ses deux parents enseigne au lycée de Lisbon Falls, dans le Maine.

Plusieurs événements vont modifier le cours de son existence. Le voici d'abord bouleversé par le devoir que lui rend Harry Dunning. Concierge du lycée qui a repris ses études, celui-ci a été surnommé "Harry-Haro-Crappy-Crapaud" par les élèves à cause de sa démarche claudicante. La dissertation proposée par Jake invite ces derniers à raconter "le jour qui a changé [leur] vie". Harry couche sur le papier le soir où son père a assassiné sa mère, ses frères et sa soeur, et l'a grièvement blessé. Mais le plus surprenant reste encore à venir. Al Templeton, patron d'un dinner installé dans une caravane où il a ses habitudes, demande à lui parler.

Atteint d'un cancer incurable, le spécialiste du Fat-Burger l'enjoint à faire un étrange voyage en laissant son téléphone portable, son portefeuille et sa monnaie. Sans comprendre comment cela a pu se produire, Jake change d'époque après avoir descendu l'escalier de la réserve de la gargote. Et revient une première fois en arrière. En septembre 1958, cinquante-trois ans plus tôt. A son retour, Al lui explique qu'il a le moyen de changer le cours de l'Histoire. Qu'il peut sauver le Président Kennedy des balles d'un Lee Harvey Oswald dont Al pense qu'il a agi seul. Jake accepte, avec en tête une première mission. L'occasion de s'offrir une décapotable Ford rouge cerise, de se rebaptiser George Amberson et de se présenter en tant qu'agent immobilier indépendant. Le lecteur, lui, va le suivre pas à pas dans une autre Amérique. Un pays "où l'apparence passe toujours pour la substance", où la violence est tapie dans l'ombre et où on écoute alors Jerry Lee Lewis, les Coasters et Dean Martin.

Aussi à l'aise pour les scènes intenses que pour les moments d'inaction, Stephen King joue habilement sur l'idée de deuxième chance tout en montrant que "le passé est rusé autant que tenace" et qu'il peut parfaitement contre-attaquer. Mécanique implacable qui réserve bien des surprises et des émotions, 22/11/63 fascine d'un bout à l'autre et s'impose comme l'un des sommets d'une oeuvre unique et majeure.

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