2 février > Histoire France > Jean-Claude Bologne

"Le XIIe siècle marque une rupture décisive dans l’histoire du coup de foudre." C’est le genre de phrase qui fait aimer un livre. On sent, spontanément, qu’on va apprendre des choses. Et c’est le cas. Car Jean Claude Bologne nous explique qu’à l’apparition du roman de chevalerie le coup de foudre change radicalement avec Perceval et Blanchefleur. Avec lui, c’est l’idée d’un temps cyclique qui disparaît. Au côté du temps sacré, répétitif, l’irrévocable surgit au travers du coup de foudre, même platonique. Désormais, à l’image du baise-main électrique entre Louis de Funès et Claude Gensac dans Le gendarme se marie, le "parce que c’était moi, parce que c’était lui ou elle" s’invite dans les relations entre amis ou amants.

On n’imaginait pas un sujet aussi riche, historiquement parlant, d’autant qu’il est difficile à appréhender. Jean Claude Bologne parvient à le circonscrire en trois temps. Tout d’abord, il examine le côté "surnaturel", c’est-à-dire inexplicable, miraculeux du coup de foudre, sauf à y convoquer des dieux qui tirent des flèches vers les cœurs fragiles, des philtres diaboliques qui unissent les désirs ou les "hasards objectifs" chers à André Breton. Ensuite vient la rationalisation du phénomène. On tente de le comprendre par l’examen des passions de l’âme comme une sorte d’eurêka amoureux ou ce que Stendhal appelait la "cristallisation". Enfin les scientifiques expliquent tout cela par le jeu complexe d’une chimie des phéromones et une décharge de phényléthylamine dans le cerveau. Efficace mais peu glamour. L’historien ajoute un quatrième temps à cette valse sentimentale, celui de la narration, du roman, de la romance qui fait toujours ses choux gras de ce "love of first sight", l’amour au premier regard, même à l’époque des sites censés les fabriquer comme Adopteunmec.com.

Jean Claude Bologne a longtemps tourné autour du thème depuis son Histoire de la pudeur (Orban, 1986) jusqu’à l’Histoire du couple (Perrin, 2016) en passant par son Histoire de la conquête amoureuse (Seuil, 2007). L’ancien président de la Société des gens de lettres, professeur d’iconologie médiévale à l’Icart (Institut supérieur des carrières artistiques), aime les textes et sait transmettre sa passion pour le beau langage. Son étude érudite et savoureuse puise donc beaucoup dans les mythologies, les religions, la philosophie, mais aussi la poésie, la psychologie, la sociologie et la psychanalyse, bien que Freud ne crût pas au coup de foudre.

Même si on sait depuis les neurobiologistes et Frédéric Beigbeder que l’amour dure trois ans, le coup de foudre continue de faire rêver ceux qui pensent que le cœur est autre chose qu’une pompe sublime. Après les excès romantiques qui n’en voyaient la sortie que par le suicide, il est pour Jean Claude Bologne entré dans une sorte de normalité. Mais rien n’empêche encore le cœur de s’emballer. Et l’histoire qui nous est ici dévoilée laisse toujours planer un mystère autour de cet attracteur étrange sur lequel se façonne encore l’idée du couple. Laurent Lemire

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