10 mars > Récits France

"Ce sont les récits qui fabriquent une légende", note Maylis de Kerangal, experte en la matière. Pour la collection "Raconter la vie", elle écrit celle de Mauro, cuisinier de haut vol, chef autodidacte, choisissant la forme du portrait empathique, un peu à la manière de François Bégaudeau s’attachant au parcours d’une infirmière dans Le moindre mal paru il y a deux ans dans la même collection. Un itinéraire singulier qui embrasse et révèle une activité humaine collective. Ici, se nourrir, nourrir les autres.

Original et atypique, le "chemin de tables" de Mauro, un ami de la narratrice, l’est. On rencontre le jeune homme dans un train pour Berlin en 2005 : il a 20 ans, trimballe avec lui La cuisine de référence: techniques et préparations de base, fiches techniques de fabrication mais n’a pas encore trouvé la voie des fourneaux. Il se cherche après une licence de sciences éco, un séjour Erasmus à Lisbonne… C’est sa première audace : il ne suivra pas les filières classiques de l’apprentissage du métier. Il passera bien le CAP de cuisinier, un "gage symbolique", mais un peu plus tard en candidat libre.

Dans cet univers que la télé a rendu pailleté, Maylis de Kerangal traque la naissance d’une vocation tandis qu’elle décline le parcours de Mauro, du premier job d’été dans une brasserie parisienne servant de "la cuisine bourgeoise à la française" en 2004 au "petit bistrot gastronomique" du 10e arrondissement où il travaillera pendant dix mois tout en reprenant en parallèle… des études universitaires. Des trois semaines dans un établissement étoilé dans le 18e à une brasserie familiale de Montreuil, des classes où le garçon expérimente les servitudes de la profession : pression, tension, brimades, bizutages, violence… "Ce n’est pas un monde très affectueux, tu sais", euphémise-t-il.

En 2009, il ouvre son propre restaurant dans le 12e arrondissement : La Belle Saison, 50 repas à servir dans une journée, une carte qui change chaque jour. La consécration signant le bout du chemin ? Pas si sûr. Car Mauro, singulier jusque dans sa sauvagerie, son indépendance, sa dégaine, nourrit aussi une ambition plus généreuse : trouver de nouvelles formes à la "culture de la commensalité", l’art de partager le couvert avec d’autres. Un alléchant prochain menu à sa carte.

Véronique Rossignol

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