Manifestation

La France tire sa langue à Francfort

Le projet pour la façade du pavillon français par Ruedi Baur. Elle décline la thématique graphique conçue par le graphiste de la foire illustrant la fraternité des langues. - Photo Ruedi Baur

La France tire sa langue à Francfort

Invitée d’honneur de la Foire internationale du livre de Francfort, du 11 au 15 octobre, la France a bâti avec "Francfort en français" une opération tournée non seulement vers le livre, mais surtout vers l’apprentissage et la promotion d’une langue. Un projet culturel, politique et franco-allemand dans une Europe qui titube.

J’achète l’article 4.5 €

Par Isabel Contreras, Michel Puche, Hervé Hugueny
Créé le 09.10.2017 à 18h43

"La force du couple franco-allemand ne peut pas être maintenue sans la culture pour rapprocher nos peuples." Le ton était donné par Manuel Valls, Premier ministre de l’époque, le jeudi 20 octobre 2016, lors de la conférence de lancement de l’invitation d’honneur de la France à Francfort en 2017. Une invitation politique donc, transnationale et orientée vers une langue, le français. "Notre objectif est de mettre en avant notre ouverture sur le monde par le biais d’une langue englobante", explique Anne Tallineau, directrice déléguée de l’Institut français. Les équipes de cet établissement du ministère des Affaires étrangères ont assuré ces douze derniers mois la mise en œuvre de "Francfort en français" en organisant sur tout le territoire allemand des débats avec des auteurs reconnus, mais aussi cent cinquante opérations labellisées et regroupées sur le site Francfort2017.com dans le cadre de théâtres ou d’institutions franco-allemandes, sans oublier les établissements scolaires. Le coût total de l’opération est évalué à 4,4 millions d’euros dont 900 000 euros provenant de partenariats privés, d’après l’Institut français.

"La puissance d’une langue se mesure aussi par sa présence. C’est pourquoi il nous a paru essentiel d’associer des éditeurs africains." Vincent Montagne, SNE- Photo OLIVIER DION

Jeunesse et modernité

"Nous nous adressons en priorité à la jeunesse puisque les nouvelles générations allemande et française ne se connaissent pas aussi bien que celles d’après la guerre de 1945. Nous souhaitions rapprocher ces jeunes au moyen de l’édition, du livre, et du français", défend Anne Tallineau. Laurence Auer, directrice de la culture, du développement, de la recherche et du réseau au ministère des Affaires étrangères dresse un constat plus rude. "Il y a une désaffection des nouvelles générations, de la française comme de l’allemande, pour l’apprentissage des langues étrangères. C’est un phénomène général : l’anglais reste une deuxième langue de premier choix, explique-t-elle. Nous avons donc proposé des politiques volontaristes où, par la création de diplômes, nous soutenons les classes bilangues depuis la maternelle."

Une variation de la signature graphique de l’événement, une double ondulation d’un texte bilingue sur un livre ouvert.- Photo RUEDI BAUR

Dans le cadre de "Francfort en français", les différents partenaires associés pour l’aménagement du pavillon d’honneur de la Foire de Francfort, qu’ils occuperont du 11 au 15 octobre, ont donc conçu ce dernier en particulier pour la jeunesse. De nouvelles expériences de lectures seront présentées avec l’installation d’une "machine à lire". Une manière de mettre en avant la création numérique française afin de "s’inscrire dans la modernité", insiste Anne Tallineau.

Dans le même esprit, les jeunes auront à leur disposition 12 Biblibox, des boîtes leur permettant de découvrir les livres de manière ludique et sensorielle. Côté BD, une "Comic party" mêlera musique et bande dessinée. En parallèle, de nombreuses expositions présenteront un panorama de l’édition française. Et, au total, 190 auteurs francophones sont invités, soit plus du double du contingent initialement prévu.

"La puissance d’une langue se mesure aussi par sa présence. C’est pourquoi il nous a paru essentiel d’associer des éditeurs africains", explique Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition. Selon l’Institut français, en 2050, au moins 750 millions de personnes devraient parler français dans le monde, surtout en Afrique.

Dans la mondialisation

Pour le président du SNE, la promotion de la langue française s’inscrit aussi dans la mondialisation de l’édition, à un moment où la Chine mais aussi le Proche-Orient ont intégré l’échiquier des cessions de droits. "Cette situation n’existait pas en 1989, lorsque la France avait été pour la dernière fois invitée à la Foire de Francfort. Il fallait donc resituer le contexte", souligne Vincent Montagne. Le président du SNE espère des retombées commerciales des partenariats qui ont été scellés au cours de l’année, se félicitant notamment de l’invitation en mars du Quais du polar lyonnais à la Foire du livre de Leipzig.

Les manifestations se poursuivront tout au long de l’année et, à Paris, le gouvernement Philippe entend bien prolonger l’impact de "Francfort en français". Dans le compte rendu du dernier conseil des ministres franco-allemand, le 13 juillet, est affirmée l’intention d’organiser, à l’occasion de chaque Foire de Francfort, "un rendez-vous politique récurrent entre ministres de la Culture". I. C.

Cessions de droits, mode d’emploi

Les cessions de droits de traduction sont devenues "un des secteurs stratégiques des maisons d’édition", commandant même dans certains cas la décision de publier ou pas en français, souligne Charlotte Botrel, auteure d’Internationaliser sa production: cessions de droits & coéditions (127 p., 24 euros), tout juste paru aux Editions du Cercle de la librairie (1).

A quelques jours de la Foire de Francfort, sommet du marché des droits d’édition, cet ouvrage analyse l’organisation et les méthodes des responsables des droits, et les solutions qu’ils utilisent. Entre cessions de droits de traduction classique, la plus fréquente en littérature générale, coédition, souvent indispensable dans l’illustré, publication directe en langues étrangères pour quelques rares maisons, ou création d’un pool européen en BD, l’édition française se trouve dans une position favorable, ayant réussi à conserver la maîtrise d’une ressource souvent contrôlée à l’étranger par les agents littéraires des auteurs.

Chargée des droits chez Albin Michel Jeunesse, Charlotte Botrel évoque les défis pratiques de ce métier dans la veille, la prospection et la préparation des foires, l’estimation des à-valoir en fonction des pays et des bassins linguistiques, le suivi administratif des contrats, les relations avec les éditeurs au sein de la maison, mais aussi les fabricants dans la coédition, etc. La liste précise des points juridiques des contrats est fournie dans deux annexes. H. H.

(1) Département d’Electre SA, comme Livres Hebdo.

Sous le signe de l’hospitalité

 

Faire exposition et non stand, faire rencontre culturelle et pas seulement promotion : tels sont les objectifs du pavillon qui mettra en valeur le livre en français.

 

Prototype des rayonnages du pavillon français réalisé par les étudiants de l’ESADSE, à Saint-Etienne. Dirigée par Denis Coueignoux et Eric Jourdan, la scénographie du pavillon est depuis l’origine un projet de l’école stéphanoise.- Photo DENIS COUEIGNOUX

La France, invitée d’honneur de la Frankfurter Buchmesse, a choisi, sur expertise de l’Institut français, de confier la création de son pavillon à l’ESADSE, Ecole supérieure d’art et design de Saint-Etienne. La scénographie de l’ensemble a été réalisée par Eric Jourdan et Denis Coueignoux, avec quatre de leurs étudiants, autour des valeurs d’innovation, de jeunesse et d’hospitalité. Le Franco-Suisse Ruedi Baur, directeur du design de la foire, parle d’"une immense bibliothèque thématique mise en tension par une signalétique très présente relevant d’un centre urbain". La construction a débuté cette semaine et les visiteurs devraient découvrir un lieu sans cloisonnement, convivial et connecté, dont l’esthétique cherche à évoquer, à partir d’une architecture de tasseaux de bois, un laboratoire d’idées et de création. Dans le contexte commercial de la foire, le pavillon jouera le rôle d’un espace culturel. Il s’agit de faire exposition et non stand, de faire rencontre culturelle et non seulement promotion. La répartition des espaces permettra à plus de 100 auteurs d’échanger dans un cadre agréable et de présenter simultanément plusieurs expositions.

• Sur la grande scène, tous les jours, plusieurs temps forts, parmi lesquels des "exercices d’admiration" ou des "incipit" (les premières phrases) des derniers ouvrages des auteurs invités traduits en allemand, commentés par eux-mêmes.

• Sur l’espace jeunesse, dont la programmation a été confiée à Sylvie Vassallo et à l’équipe du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, une exposition en quatre parties : un abécédaire pour découvrir la palette graphique de l’illustration de jeunesse francophone, une websérie en capsules vidéo sur la nouvelle vague de la littérature ado, un Biblibox sur les livres "extraordinaires" et numériques, et une malle digitale.

• Sur l’espace BD, une exposition produite par la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême qui mettra en exergue 24 auteurs (commissaire : Thierry Groensteen).

• Sur l’espace 1 001 traductions, l’Institut français présentera le programme d’aide à la publication (PAP) destiné aux éditeurs étrangers souhaitant traduire des auteurs français.

• L’atelier numérique se veut le cœur battant du pavillon, qui accueillera médias, auteurs, photographes, blogueurs… Il hébergera aussi le projet Ping-Pong, qui verra des auteurs de BD croquer la foire pendant toute la semaine.

Sur ce pavillon, qui convoque le meilleur de l’ingénierie culturelle française, la BNF présentera quelques-uns de ses services. L’Imec proposera une exposition sur l’histoire de l’édition française (commissaire : Pascal Fouché). Et l’espace Books on France, un projet de la Foire de Francfort, rassemblera une sélection de livres internationaux qui parlent de la France. M. P.

Une sélection de rendez-vous pro

Mardi 10 octobre,18 h 30-20 h, en présence d’Emmanuel Macron, président de la République, inauguration du pavillon d’honneur Francfort en français, forum niveau 1.

Les 11, 12, 13 octobre, 9 h 30-11 h, forum Apostroph(e) : petits-déjeuners thématiques de l’Institut français, sur réservation.

Mercredi 11 octobre, 12 h-12 h 45, grande scène : annonce de la 2e sélection du prix Goncourt par Bernard Pivot, entouré de tous les autres jurés.

14 h-15 h, Business Club, halle 4.0 : CEO Talk organisé par six magazines et sites professionnels, dont Livres Hebdo, sur les stratégies des éditeurs. Avec Guillaume Dervieux, vice-président d’Albin Michel, et Carolyn Reidy, P-DG du groupe américain Simon & Schuster. Gratuit, sur inscription.

16 h 45-17 h 30, grande scène : remise du prix Franz-Hessel par Françoise Nyssen, ministre de la Culture, à deux jeunes auteurs, l’un allemand, l’autre français, qui voient leur ouvrage traduit dans l’autre langue.

Jeudi 12 octobre,9 h-11 h, grande scène : "Quel avenir pour le marché du livre francophone ?", une table ronde à l’initiative du Bief, de l’OIF et du CNL, en présence de 20 éditeurs d’Afrique et d’Haïti qui présentent sur un espace dédié une sélection de titres.

12 h 15-13 h 15, grande scène : table ronde de la BNF sur les archives du Web comme observatoire des innovations éditoriales.

Vendredi 13 octobre, 9 h-10 h, halle 4.0 : Business breakfast autour des festivals littéraires, avec Thomas-Louis Côté, directeur du festival de la BD francophone de Québec.

11 h-13 h, halle 6.2 : onze start-up françaises et allemandes en compétition pour le meilleur pitch de projet.

17 h 30-18 h 30, grande scène : huit start-up françaises de l’édition proposent leurs projets innovants.

Les dernières
actualités