Avant-portrait > Eric de Chassey

Adolescent, il séchait les cours pour animer une émission hebdomadaire sur une radio libre au début des années Mitterrand. "Ces radios n’avaient pas encore droit à la publicité, se rappelle Eric de Chassey, et elles laissaient leurs chances aux amateurs." C’était à Lyon, où l’auteur de L’abstraction avec ou sans raisons a passé sa jeunesse, juste avant la rue d’Ulm où il allait poser les premiers jalons d’une éminente carrière d’historien de l’art, spécialiste notamment de l’art américain.

Comment cette discipline s’est-elle imposée à lui ? "Avoir raté l’Ena a été une chance", sourit le normalien qui, également inscrit à Sciences po, s’était un temps imaginé grand commis de l’Etat. Celui qui avait toujours eu une fascination pour les formes ("J’étais curieux, je me renseignais sur le graphiste qui avait fait la pochette du disque") deviendrait enseignant. Du jamais-vu dans une famille où l’on donnait à la France des soldats ou des prêtres. Mais dans ce milieu apparemment classique, ses parents, qui ont vécu aux Etats-Unis, écoutent les Beatles ou Dylan. "Ce qui était rare autour de moi à mon époque", souligne le futur curator d’"Europunk" à la Cité de la musique (2013). "Quand je mettais les Sex Pistols dans la voiture, mon père s’intéressait et faisait des commentaires." Il y avait un côté international aussi, une grand-mère maternelle norvégienne avec qui il parle en anglais.

Grammaire des formes

Le jeune Eric visite les musées, voit telle ou telle personne susceptible de l’éclairer sur sa voie. Le frère de son meilleur ami est Yves Bélorgey, un peintre qu’on retrouve dans une exposition de groupe, "Corps social" (1999), dont Eric de Chassey est le commissaire. Plus tard, c’est le géant de l’abstraction américaine, Ellsworth Kelly, qu’il rencontre à l’occasion de l’exposition Matisse au MoMa, à New York. Il montera une exposition mettant en dialogue le fauve français et le peintre Color Field au Centre Pompidou en 2002. Sa réflexion sur l’art non narratif se poursuit avec L’abstraction avec ou sans raisons, sorte de suite aux deux précédents volumes parus dans la collection "Art et artistes" chez Gallimard, La peinture efficace : une histoire de l’abstraction aux Etats-Unis (1910-1960) et Platitudes :une histoire de la photographie plate. Après six ans à Rome comme directeur de la villa Médicis, où il imprime sa marque avec plus d’interdisciplinarité, Eric de Chassey est aujourd’hui directeur de l’Institut national de l’histoire de l’art (INHA). Sous son égide, en décembre dernier, la réouverture de sa bibliothèque et toujours le même combat pour une meilleure compréhension de la grammaire des formes, la culture visuelle dans laquelle nous baignons. La forme n’étant pas qu’une question formelle mais aussi "un enjeu politique", puisque l’ignorance des images, on l’a vu, peut amener à tuer. Sean J. Rose

Eric de Chassey, L’abstraction avec ou sans raisons ; Gallimard, "Art et artistes" ; prix : 26 €, 278 p., sortie : 23 mars. ISBN : 978-2-07-269334-2.

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