Décryptage

Distribution : Le grand chambardement ?

Le comptoir Interforum, à Ivry-sur-Seine. - Photo Olivier Dion

Distribution : Le grand chambardement ?

Rapprochement programmé entre Hachette et Editis, nouveaux centres logistiques, déménagements et autres changements stratégiques... Vieillissant et incertain sur son avenir, c'est le système entier de la distribution de livre en France qui semble devoir être repensé. Jusqu'où et sur quel modèle ?

J’achète l’article 1.5 €

Par Pierre Georges
Créé le 05.10.2021 à 11h00

Et si Editis et Hachette fusionnaient en un Gafam français ? C'est maintenant aux autorités de la concurrence de trancher car Vivendi (Editis) a enclenché les procédures pour lancer une OPA sur Lagardère (Hachette) en rachetant le 15 septembre les parts d'Amber dans Lagardère. Ce rapprochement, dont le périmètre reste à définir, pourrait bien figer l'édition française pour les prochaines années et pose de nombreuses questions de mutualisation des forces. Au premier rang desquelles le rapprochement de leurs structures de distribution, nerf de la guerre pour le contrôle de l'industrie française du livre.

Fin de cycle et grandes manœuvres

Dans un secteur de la distribution déjà très concentré, une telle fusion créerait un nouvel acteur qui aurait la mainmise sur près de 60 % du marché. Difficile de croire que les autorités françaises et européennes de la concurrence, ainsi que l'interprofession, laissent passer en l'état un projet aussi immense. « Nous avons déjà eu une situation similaire en 2004, et la commission européenne avait refusé. Ce qui était inacceptable en 2004 le deviendra-t-il en 2021 ? », se demande Éric Levy, qui a dirigé Interforum jusqu'en 2019. Mais à l'heure des grandes manœuvres, une chose est sûre : l'affaire Hachette Vivendi met en lumière un rapprochement des réseaux de distribution et interroge sur l'avenir du secteur. Car c'est bien le marché entier, vieillissant et tâtonnant face au numérique, qui se cherche un nouveau souffle. Que ce soit chez Interforum ou Hachette, ou encore, derrière, chez Dilisco, MDS ou Union distribution, un « grand chambardement est plus que probable dans les années à venir », d'après les mots d'un dirigeant. « La distribution est à un moment charnière de son histoire. Nous ressentons une ambiance de fin de cycle, et de grandes manigances », ajoute-t-il. Pour beaucoup, il est temps de repenser toute la logistique. « C'est le moment de renouveler la distribution de livres en France. Il faut renverser la table et repartir à zéro ! », lance Éric Levy. « Ce serait la seule vraie solution intelligente, même si ce serait étonnant qu'on y arrive », ajoute-t-il.

Des regroupements peu probables

Première piste : les rachats et regroupements. Rappelons qu'une société de distribution est un outil industriel non autonome, avec comme valeur les contrats de distribution apportés par les maisons d'éditions qui appartiennent au même groupe. « La conséquence, c'est qu'il est impossible de céder une société de distribution seule qui n'a aucun intérêt, puisque sa valeur ce ne sont pas ses entrepôts, son personnel ou ses équipements mais ses clients », analyse sous couvert d'anonymat une source haut placée chez Media-Participations. « Et comme la réglementation interdit de faire signer un contrat éternel, il n'y a pas de sens à mettre sur le marché un distributeur seul. Personne n'ira jamais acheter Interforum seul, sans ce qui fait l'essentiel de son chiffre d'affaires [en hausse de 52 % au premier semestre 2021 en comparaison à 2019, NDLR] : les éditeurs du groupe Editis », ajoute-t-il, prenant l'exemple la vente de Volumen à Editis en 2015.

Contactée pour les besoins de cette enquête, la direction d'Editis-Interforum se refuse à commenter l'état actuel du marché comme son avenir, indiquant « passer son tour » et attendre « quelques mois » pour communiquer sur sa nouvelle stratégie de distribution. De la même manière, le ministère de la Culture, les différentes autorités de la concurrence et bon nombre d'éditeurs n'ont voulu pour l'instant s'exprimer sur le sujet sensible qu'est l'avenir de la distribution en France.

Nouveau centre chez Hachette, déménagement chez Interforum

En attendant, chaque acteur tâtonne de son côté. Fin 2020, Dilisco (groupe Albin Michel) a annoncé à ses partenaires se lancer dans la diffusion numérique. Rien de nouveau sous le soleil...

Interrogés sur leurs axes de développement, les autres majors de la distribution restent tout aussi vagues et parlent « d'impression intégrée avec la logistique », d'augmentation de l'impression à la demande et de courts tirages automatisés, de « déploiement de solutions IT à forte valeur ajoutée en s'appuyant sur la data », de « sur-mesure », voire de distribution de produits autres que le livre. En somme, tout ce qui a été mis en place aux Pays-Bas il y a plus de 10 ans... (voir encadré).

Le leader, Hachette, prévoit d'ouvrir un centre de logistique flambant neuf en 2026, cinquante ans après l'ouverture de l'actuel centre de Maurepas- Coignières (Yvelines, 12 hectares et 700 employés). Peu d'éléments sont encore connus si ce n'est que le nouveau site devrait voir le jour sur 20 hectares dans le sud des Yvelines, sur la commune d'Allainville. Le but : répondre aux « demandes nouvelles des clients », « tant en termes d'intégration de flux que de réponses adaptées aux enjeux d'omnicanalité, de nouveaux modes de livraison, de flexibilité, de réactivité, de délais... », d'après la direction. Cette dernière assure poursuivre les rencontres avec élus locaux et syndicats et ne pas pouvoir donner plus de détails techniques sur son projet. Cependant, elle admet que « la distribution est un métier dont la complexité s'accroît, tant en termes de flux que de services attendus, du côté des éditeurs comme des clients revendeurs de livres ». « On assiste par exemple à une croissance des catalogues et une baisse continue du poids de ligne », nous glisse-t-on.

Du côté de chez Interforum, outre une rumeur de reprise par le groupe Media-Participations et la signature d'un accord global de télétravail pour les salariés, un déménagement d'ampleur est prévu pour la rentrée 2021. À la mi-septembre, plusieurs centaines de salariés de la branche distribution d'Editis intégreront les bureaux de la maison mère, à Paris, dans le cadre d'une réorganisation d'ampleur des systèmes de travail. « Les consultations en la matière sont terminées, tout est acté, et ce déménagement va faire beaucoup de bien à toute l'entreprise », indique Jean Spiri, secrétaire général d'Editis. En début d'année, un Plan de sauvegarde de l'emploi avait été annoncé, en même temps que la fermeture de trois salles de vente et de la relocalisation du site de Ballainvilliers vers Tigery (Essonne).

La solution : la mutualisation ?

Au milieu de ce jeu d'échecs géant, une idée revient : celle de la mise en commun des forces. « Il y a déjà un regroupement très fort au niveau des distributeurs puisqu'il n'en reste que quatre principaux. Tout est déjà très concentré et la distribution des groupes éditoriaux français est en fin de vie : celle d'Hachette a plus de 25 ans, Interforum 20 ans... La situation a complètement changé depuis et la compétition n'a plus de sens puisque la concurrence est maintenant commune : elle s'appelle Amazon », résume Éric Levy. Chez certains de nos voisins, il y a un acteur unique qui n'est pas rattaché à l'un ou l'autre des acteurs de l'édition. C'est le cas aux Pays-Bas, dont le modèle est cité par de nombreux observateurs. Certains des patrons de la distribution interrogés confient s'y être déjà rendus plusieurs fois pour « visiter et observer ».

Chez nos voisins hollandais un mot d'ordre depuis plusieurs années : la collégialité. Un seul distributeur, qui est possédé par l'interprofession (éditeurs comme libraires), maîtrise la quasi-totalité de la distribution de livres du pays. Les tarifs sont déterminés de manière commune et les recettes sont partagées. « La qualité est au rendez-vous, le service fonctionne, un livre est toujours livré sous 24 heures. Et l'une des autres conséquences est qu'Amazon n'y a pas le leadership car ils n'ont pas pu pénétrer le marché », observe enfin Éric Levy.

À l'aube d'un grand changement de paradigme dans la distribution française, est-ce fou de rêver à un modèle similaire dans l'Hexagone ? À l'ancien dirigeant d'Interforum de conclure : « cela m'étonnerait bien qu'il soit applicable au marché français. La capacité à ce que les gens s'entendent, c'est bien là toute la difficulté... ».

 

Les dernières
actualités