Le tour du monde des librairies

Cyclopédie 8 : Carnets d’Asie, un conservatoire du français à Bangkok

Carnets d’Asie, au rez-de-chaussée de l’Alliance française de Bangkok. - Photo Photo cyclopédie

Cyclopédie 8 : Carnets d’Asie, un conservatoire du français à Bangkok

Après Saigon, Charlélie Lecanu et Edouard Delbende, les deux jeunes diplômés d’ESCP Europe qui réalisent un tour du monde des librairies francophones à vélo, ont gagné Bangkok et la librairie Carnets d’Asie, établie dans la capitale de la Thaïlande depuis dix ans, avant de retrouver l’Europe.

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Par Charlélie Lecanu, Edouard Delbende
Créé le 02.06.2017 à 01h32 ,
Mis à jour le 02.06.2017 à 07h06

Il est temps de quitter Saigon, coiffés de chapeaux aux larges bords qui nous protègent des rayons ardents du soleil. Le cap mis sur Bangkok, nous allons chercher la fraîcheur des berges de l’un des bras du fleuve Mékong. Sur la route, une dizaine de bacs nous permettent d’enjamber l’inextricable réseau d’affluents et de canaux du delta.

Notre première tentative de quitter le Vietnam se solde par un échec. A quelques kilomètres de la frontière, deux policiers nous intiment l’ordre de faire demi-tour, sous prétexte que la douane est fermée à cause du nouvel an khmer. Conduits au commissariat, nous en sommes réduits à remettre notre sort entre les mains de l’application de traduction de notre téléphone portable. Nous parvenons à grand-peine à obtenir une autorisation de tenter notre chance au prochain poste-frontière, une quarantaine de kilomètres plus au nord.

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Le second essai est un succès et nous poursuivons notre périple vers le couchant, à travers la plaine cambodgienne. Le soleil se montre toujours aussi implacable et nous contraint à boire jusqu’à 6 litres d’eau par jour. Comme notre route nous amène à proximité, nous nous accordons quelques jours pour pédaler entre les temples en ruine d’Angkor. Les quatre cents kilomètres qui nous séparent encore de la capitale thaïlandaise sont rapidement avalés.

D’abord bibliothécaire

Comme souvent lors de notre arrivée dans une ville majeure, nous nous arrêtons à l’Alliance française. L’occasion de se délasser du voyage dans un environnement familier. Cette fois-ci, il se trouve qu’elle abrite également la librairie Carnets d’Asie, dont le fondateur et directeur, Olivier Jeandel, a accepté de nous recevoir.

Sur la terrasse de l’Alliance, autour d’un café, il nous explique ce qui l’a poussé à implanter ici sa librairie. D’abord l’envie de travailler dans le secteur du livre qui l’amène, à 30 ans, à reprendre des études. Il s’inscrit dans l’IUT métiers du livre de Saint-Cloud avec pour objectif de travailler, une fois son diplôme en poche, dans une maison d’édition parisienne spécialisée dans l’ésotérisme. A sa sortie pourtant, on lui propose un poste de bibliothécaire au Centre culturel français du Cambodge. Il l’accepte et se retrouve "propulsé en Asie, du jour au lendemain". Une expérience de cinq ans fondatrice puisque, après avoir occupé un second poste de bibliothécaire, en Grèce cette fois, il reviendra s’installer en Asie du Sud-Est, avec l’ambition d’y fonder deux librairies. Avec l’aide d’un ami, libraire dans le 5e arrondissement de Paris, il ouvre la première à Phnom Penh dès 2004, et la seconde à Bangkok trois ans plus tard.

Pour se trouver au plus près de la communauté francophone, s’installer dans les locaux de l’Alliance française s’est rapidement imposé. Convaincre la direction a été aisé grâce à l’expérience d’Olivier Jeandel au sein du réseau culturel français à l’étranger, et aux évidentes synergies existantes entre les deux activités.

Carnets d’Asie profite à plein, et pour un loyer modéré, de la fréquentation du lieu, en particulier des 4 000 élèves de l’Alliance. Une clientèle essentielle pour Olivier Jeandel, puisqu’elle représente aujourd’hui 50 % de son chiffre d’affaires. Réciproquement, la présence de la librairie constitue une offre culturelle supplémentaire pour les usagers de l’Alliance, un pilier de la "petite France" que Christian Mérer, le directeur, veut faire vivre au sein de son établissement. Il lui serait d’ailleurs, explique-t-il, "impossible de faire fonctionner une librairie sans faire appel à un libraire de métier". Le bibliothécaire de l’Alliance se réjouit de son côté d’avoir une paire d’yeux supplémentaire pour scruter les sorties littéraires concernant l’Asie. Une reconnaissance rare pour un acteur souvent mis à l’écart des plans d’influence culturelle.

Depuis dix ans, Carnets d’Asie a donc suivi l’Alliance au gré de ses déménagements et tient aujourd’hui bonne place au rez-de-chaussée du bâtiment flambant neuf construit au cœur du quartier de Lumphini. "Un quartier d’avenir", nous répète le libraire, dont la fréquentation ne cesse de grimper et où l’on verra s’élever dans quelques mois la plus haute tour de Bangkok.

Dix mille Français

Si sa librairie se porte bien, Olivier Jeandel se montre lucide sur la question de la pratique du français en Thaïlande. Un pays dont l’élite était pourtant francophile, comme en témoigne la présence d’une princesse royale au comité directeur de l’Alliance française de Bangkok. Mais les jeunes générations se sont largement détournées du français au profit de l’anglais et, plus récemment, de langues de la région comme le mandarin ou le coréen.

Un tropisme qui pousse aujourd’hui Olivier Jeandel à concevoir son métier de libraire francophone comme celui d’un "conservateur". "L’existence d’une librairie exclusivement francophone à Bangkok se justifie par l’importante communauté française établie dans la ville", explique-t-il. D’après les services consulaires, la capitale thaïlandaise compterait près de 10 000 ressortissants français, ce qui en fait, pour une librairie, l’un des plus gros marchés de la région. C’est d’abord à cette population que le libraire cherche à s’adresser. Les services d’un libraire "en dur" sont ici d’autant plus appréciés que, selon ses dires, il n’est pas rare que certains colis commandés via Amazon soient bloqués à la frontière par la douane.

"Si cette communauté, attirée ici par les opportunités économiques offertes par la ville, venait à s’en aller, cela mettrait à coup sûr en péril la survie de la librairie", remarque Olivier Jandel. D’autant que les apprenants de français sont le plus souvent motivés par l’acquisition des bases pour pouvoir prétendre rejoindre une école ou une université en France, et ne constituent pas un lectorat pérenne.

Reste tout de même la clientèle touristique francophone, qui est d’ailleurs aujourd’hui devenue majoritaire dans la seconde librairie d’Olivier Jeandel, à Phnom Penh. Bangkok continue d’attirer de nombreux voyageurs, de tous horizons, souvent avides de littérature sur la région. John Burdett évidemment ou Michel Houellebecq, avec Plateforme, font partie des best-sellers chez Carnets d’Asie.

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