Les aventures d’Astérix caracolent à nouveau au sommet des ventes, cette fois-ci sous la double signature de Didier Conrad et Jean-Yves Ferri, qui ont succédé à René Goscinny et Albert Uderzo. C’est l’occasion de se pencher sur le statut des œuvres créées à plusieurs… et reprises par d’autres.

En droit, un travail commun, comme cela est souvent le cas dans le secteur de la bande dessinée, donne naissance à une œuvre de collaboration, qui sera donc propriété commune des coauteurs. L’article L. 113-2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) énonce en son premier alinéa : "Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques."

Les apports respectifs peuvent être de même nature (chacun écrit une partie de l’ouvrage) ou totalement différents (un scénariste et un dessinateur, dans le cas d’une bande dessinée). Pour que ce statut s’applique, il n’est pas nécessaire que les auteurs aient véritablement travaillé de concert. L’œuvre de collaboration est donc une situation très commune dans le monde de l’édition.

L’éditeur doit, par exemple, prendre garde à l’incidence des illustrations: le livre, s’il est abondamment illustré, peut devenir une œuvre de collaboration entre l’auteur du texte et celui des dessins ou photographies. C’est ainsi qu’un artiste graveur s’est vu reconnaître devant les tribunaux la qualité de coauteur d’un livre consacré à l’art fantastique de la gravure, pour lequel sa spécialité lui avait valu de jouer le rôle de conseiller. De même, le coloriste, auquel il est parfois fait appel en bande dessinée, peut être un troisième coauteur.
Les nombreux – et souvent célèbres – couples littéraires sont constitués juridiquement de coauteurs, quelle que soit leur méthode de travail: Souvestre et Allain (écrivant chacun, à tour de rôle, les chapitres des aventures de Fantômas), Boileau-Narcejac, etc. Une œuvre peut être considérée comme de collaboration quand bien même un auteur aurait à lui seul écrit presque tous les chapitres, et d’autant plus si l’éditeur a apposé deux noms sur la couverture du livre.

Les coauteurs se partagent la propriété de l’œuvre: l’article L. 113-3 du CPI dispose que "l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs". Mais ils se partagent aussi à part égale l’exercice des droits sur leur œuvre commune. Cette propriété commune ne signifie pas pour autant que leur rémunération devra être égale. Il est fréquent que le scénariste de bande dessinée reçoive un pourcentage inférieur à celui du dessinateur. Par ailleurs, "les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord. En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer" (article L. 113-3 du CPI).

Cependant, quand bien même la propriété de l’ensemble de l’œuvre échoit à tous les auteurs, chacun reste maître de son propre apport si celui-ci est individualisable. Selon l’article L. 113-3 du CPI, "lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune". Si donc aucune clause du contrat n’interdit à chacun des coauteurs une exploitation séparée ultérieure, ils pourront librement y procéder, sous la seule réserve que concurrence ne soit pas portée à l’œuvre principale. En pratique, un travail d’écriture conjoint ne permettra que rarement une exploitation séparée. Il a déjà été jugé qu’un dessinateur de bandes dessinées ne pouvait exploiter séparément son apport. Mais il existe une jurisprudence contraire, issue de la Cour de cassation en 1997 (1), attribuant à un seul des auteurs la propriété des personnages et de leurs noms. Le même arrêt a permis de juger que le dessinateur était seul propriétaire matériel des planches originales, car il en était l’exécutant…

Quant à l’œuvre composite, visée à l’article L. 113-2 du CPI, elle est définie comme "l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière". Cette incorporation est à entendre dans le sens le plus large et peut adopter les formes les plus variées. C’est le cas d’Astérix chez les Pictes qui redonne vie aux personnages très caractéristiques, et donc protégés, créés par Goscinny et Uderzo.

Aux termes de l’article L. 113-4 du CPI, "l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante". Seul le second créateur, celui de l’œuvre composite et non de l’œuvre préexistante, est donc titulaire des droits sur l’œuvre composite. Mais il devra auparavant s’être assuré de la possibilité d’utiliser l’œuvre préexistante. Celle-ci peut être tombée dans le domaine public, auquel cas la seule précaution consiste à éviter de bafouer le droit moral du premier auteur ; ou bien les droits patrimoniaux sont toujours en vigueur, et il faudra obtenir l’autorisation du titulaire des droits sur l’œuvre préexistante.
Enfin, il ne faut pas ignorer que les différents types d’œuvres créées à plusieurs personnes peuvent être combinés entre eux. Il existe notamment des œuvres composites de collaboration : celles où deux auteurs ont intégré à leur création commune une œuvre préexistante. Tel est le cas de notre nouvel opus d’Astérix.

 

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