DRÔLES D'ÉDITEURS 5/6

Alexandre Chabert et Frédéric Houdaille, La Tengo : ils connaissent la musique

OLIVIER DION

Alexandre Chabert et Frédéric Houdaille, La Tengo : ils connaissent la musique

Des personnalités qui accrochent, détonnent, surprennent, des profils qu'on n'attendait pas là, des francs-tireurs de l'édition : cinquième de six portraits d'éditeurs atypiques, un consultant en économie, Frédéric Houdaille, et un journaliste, Alexandre Chabert, ont fondé les éditions La Tengo en 2008.

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Par Claude Combet
Créé le 29.05.2015 à 15h03 ,
Mis à jour le 11.09.2015 à 16h58

Nous ne venions pas du tout de l'édition et nous ne connaissions rien au modèle économique", assurent en choeur Frédéric Houdaille et Alexandre Chabert, cofondateurs de La Tengo. Pourtant, en trois ans, le duo a réussi à attirer les auteurs français qui comptent dans le domaine du polar, et à étonner avec la très originale revue Schnock.

Frédéric Houdaille a été pendant dix ans consultant en économie et contrôleur budgétaire à l'état-major de Gaz de France. "Cela ne m'a jamais plu. Un jour, c'est devenu vital : j'ai démissionné et je suis parti vivre dans l'Yonne, où j'ai claqué toutes mes économies", raconte ce fils de fonctionnaires de 43 ans, diplômé d'un master et d'un DEA d'économie. En 2004, cherchant une porte de sortie, il crée l'agence H2 COM, spécialisée dans les comptes rendus de réunion. Fort de ses "deux passions, la musique et les romans noirs", il a l'idée d'une collection de polars rock sur Paris, et lance La Tengo, qui tire son nom de son groupe de rock américain préféré. Il a deux manuscrits sous le coude, en 2007, quand il rencontre Alexandre Chabert.

A 29 ans, celui-ci est journaliste de formation et titulaire d'un master 2 de recherche en sociologie politique à la Sorbonne. Il a été critique de cinéma aux Inrockuptibles et a visionné "600 films en un an" pour la Semaine de la critique à Cannes. "On a publié à l'arrache les deux premiers titres, Tournée d'adieu, de Pierre Mikaïloff, et Les fleurs du Marais, de Thomas Hédouin, en juin 2008, en faisant du dépôt-vente dans une quarantaine de librairies parisiennes que je livrais à vélo, raconte-t-il. On était aussi dans 35 Fnac via la SFL." En janvier 2009, La Tengo, que Frédéric Houdaille finance grâce à son agence, signe un contrat de diffusion avec CED et emploie Alexandre Chabert à plein temps. Elle passe un nouveau cap en janvier 2011 grâce à la diffusion Flammarion.

Le Poulpe et ses contraintes

Si Frédéric Houdaille avoue clairement s'inspirer du Poulpe et de ses contraintes, il a fait appel à de jeunes auteurs, parfois venus de la scène musicale, susceptibles de donner "à la fois leur vision de Paris et celle d'un héros plus contemporain". Le résultat ? Mona Cabriole, journaliste à Parisnews, aux amours tumultueuses et aux nuits agitées, vit sous la plume d'une nouvelle génération d'auteurs de romans noirs : Stéphane Michaka, Marin Ledun, Antoine Chainas, Catherine Diran (l'auteure et musicienne du groupe Lilicube signe Requiem pour Mona, à paraître en novembre). La maison y gagne une notoriété exceptionnelle, grâce au travail de terrain d'Alexandre Chabert.

Mais La Tengo explose véritablement en mai dernier avec Schnock : la revue des vieux de 27 à 87 ans, "un regard actuel porté sur la culture du passé", imaginée par l'auteur-compositeur-interprète Alister et par Laurence Rémila, rédacteur en chef de Technikart. Avec un tirage de départ de 3 700 exemplaires, les ventes atteignent déjà 11 200 exemplaires (le numéro 2 sortira en janvier 2012). "Ils sont culottés, ont pris des risques et font souffler un courant d'air frais sur l'édition", estime Laurent Boudin, directeur éditorial de Pocket, qui ajoute : "Ils ont ébranlé nos certitudes et nous obligent à voir les choses autrement."

Pièces radiophoniques

Depuis janvier, le catalogue s'est étoffé d'une collection de pièces radiophoniques, "Pièces à conviction", signées Marin Ledun, Caryl Ferey, Christian Roux, Marcus Malte (Il est mort le poète, à paraître le 19 octobre) ; de titres isolés, comme Paris la nuit que J'ai lu vient d'acheter, premier d'une trilogie d'un jeune auteur de 23 ans, Jérémie Guez. La maison est en pourparlers avec un autre éditeur de poche pour trois "Mona Cabriole". Le duo vient aussi de lancer le prix Première Impression, en partenariat avec le Mouv' de Radio France, ouvert aux jeunes auteurs qui n'ont jamais été publiés. Le lauréat verra son livre édité pour la rentrée littéraire 2012 (en coédition avec Radio France), sur le modèle des films récompensés dans les festivals avant leur sortie en salle. "Un label de qualité" lancé avec insolence au moment des grands prix littéraires. D'ici à la fin de l'année, la maison devrait être autonome financièrement.

Le duo est bien huilé. Frédéric Houdaille fourmille d'idées, et Alexandre Chabert se veut plus pragmatique, tout en apportant la touche d'humour qui désamorce toute tentative de sérieux. Tous deux cultivent le mystère et se gardent bien de révéler leurs projets "culturels, dans la production musicale et audiovisuelle"."On fait déjà des concerts... dans des bars", rigole Alexandre Chabert. Une autre façon de concevoir l'édition.

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