Rentrée universitaire

Rentrée universitaire 2024 : le fonds et les formes

Deux sites de La Sorbonne à Paris. - Photo olivier dion

Rentrée universitaire 2024 : le fonds et les formes

Pour renforcer un marché fragile où seuls les ouvrages correspondant aux nouveaux programmes et les long-sellers continuent de faire des éclats, les éditeurs misent sur les nouveaux formats. Data, BD et développements audiovisuels suffiront-ils à redresser la barre ?

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Par Fanny Guyomard
Créé le 23.09.2024 à 17h05

C'est une citation de Bruno Latour, en 4e de couverture d'Éthique et RSE, paru pour la rentrée chez Pearson, qui dresse ce constat : " Le contraste entre le calme avec lequel nous continuons à vivre tranquillement et ce qui nous arrive est vertigineux. " S'il ne parle pas directement du marché des livres universitaires, cela s'y applique bien : une chute de CA de 9 % par rapport à l'année dernière, alors que, comme chaque année, c'est toute une génération qu'il faut former pour faire face à " ce qui nous arrive ".

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Université Panthéon Sorbonne et l'université Paris Sorbonne- Photo OLIVIER DION

 " Le tassement des ventes est lié selon nous à la baisse de la prescription et du panier moyen des étudiants ", estime Sidonie Doireau, directrice éditoriale chez Lextenso. Gwénaëlle Bourron-Painvin, à la tête des éditions Vuibert, remarque qu'il y a " plus d'étudiants en 2023 qu'en 2022, mais ils fréquentent davantage les BU, et donc achètent potentiellement moins de livres ". Yannick Dehée, dirigeant de la plateforme Numérique Premium, signale par ailleurs que la e-publication en libre accès d'Initiation aux études historiques ne concurrence pas les ventes physiques.

Un marché en retrait qui reste porté par la médecine, dynamisé cette année par la nouvelle épreuve des Ecos (les examens cliniques objectifs structurés), qui s'est tenue fin mai. Préparer ses Ecos 2024 avec 100 situations toutes spécialités confondues ! sorti en février chez Vuibert, s'est rapidement retrouvé en rupture de stock. La revalorisation de la psychiatrie dans le parcours de médecin explique quant à lui le succès des 100 fiches pour comprendre la psychanalyse (Bréal).

Intelligence écologique

Deux autres tendances font florès : l'écologie et l'intelligence artificielle, des domaines transverses à toutes les disciplines. Sociologie de l'environnement (à paraître chez Armand Colin), Transitions écologique et numérique (éditions LGDJ), Hyperguerre, comment l'IA révolutionne la guerre (Nouveau Monde)... " Toutes les disciplines que nous portons (en finance, en RH...) sont touchées par l'IA, l'éthique et la durabilité ", résume Florence Young, directrice des éditions Pearson. Les 30 millions de recherches effectuées [chaque année] sur le site universitaire de référence en sciences humaines et sociales Cairn.info révèlent un intérêt pour le numérique, le système de santé, la RSE et la psychologie. " De plus en plus d'étudiants sont intéressés par la filière psy, et ça nous réussit très bien ", se félicite la directrice chez De Boeck Supérieur, Elocia Vermeulin. Les internautes de la bibliothèque en ligne Cyberlibris consultent quant à eux plutôt les collections d'économie-gestion et sciences, renseigne le directeur commercial, Nicolas Kazinski.

La politique n'est pas en reste. Les éditions Lefebvre Dalloz ont à cœur de défendre la réédition de la Constitution qui " intègre cette année la liberté d'accès à l'IVG ", souligne la directrice Caroline Sordet. " En philosophie, la réflexion sur la "fin de l'Histoire" est très présente ", pointe Paul Garapon, directeur éditorial de Que sais-je. À paraître : Le paradoxe des libérations nationales, du philosophe américain Michael Walzer, pour comprendre le retour du religieux en politique.

En attendant, la collection connaît un record de ventes (60 000) avec Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950). " L'actualité, de la guerre en Ukraine et du conflit israélo- palestinien, a dynamisé nos fonds en géopolitique et sciences politiques ", rejoint Stéphanie Renaudin, responsable marketing du fonds Supérieur chez Dunod et Armand Colin. Tandis qu'Hatier sort une nouvelle édition de son Dictionnaire de géopolitique. Enfin, pour les sciences humaines, troisième segment des ventes après les sciences sociales, notons l'engouement pour des langues comme le coréen et le chinois - Le chinois...  comme en Chine, méthode vendue à 16 000 exemplaires, est le best-seller des PUR (Presses universitaires de Rennes).

Globalement, le secteur reste porté par des titres et auteurs de référence. L'Histoire des relations internationales d'Armand Colin en est à sa 18e édition. Finance d'entreprise, surnommé " Le Vernimmen ", est depuis cinquante ans la bible des étudiants en finance. Studyrama a d'ailleurs pris l'intitulé " bibles " pour sa populaire collection. Pearson s'est offert Paul Krugman, prix Nobel d'économie. Vuibert édite Jean-Marie Peretti, professeur à l'Essec Business School.

Comme l'exprime Elocia Vermeulin chez De Boeck, " les gros long-sellers sont des valeurs sûres, connus par les étudiants et les enseignants. " À condition cependant de rééditer avec réactivité. Pour le Pack 3 en 1. Plan comptable général 2025, " nous avions bien anticipé la réforme du PCG cette année, ce qui a boosté nos ventes ", relève Stéphanie Renaudin (Dunod). En parallèle, pour faire vivre plus longtemps leurs titres, certains éditeurs élargissent leur audience en s'adressant à un public de lycéens-étudiants ou étudiants-professionnels (notamment en droit et en éco-gestion).

Les éditeurs explorent enfin le libre accès, en publiant sur des plateformes comme OpenEdition, qui mêle contenus gratuits et payants. " Le programme Freemium a vocation à aider les éditeurs à diversifier leurs modes de financement (nous leur reversons les deux tiers des revenus) tout en les inscrivant dans l'écosystème de diffusion du livre ", défend Julie Therizols, coresponsable de ce service. Les PUF lancent également une offre hybride (OpenBooks), avec des textes lisibles gratuitement sur leur site, et achetables en un clic par impression à la demande. " Nous ne voyons pas la science ouverte comme un manque à gagner, mais comme une recherche permanente d'équilibre raisonnable entre circulation des connaissances et maintien d'un tissu éditorial francophone de qualité ", abonde Thomas Parisot, directeur général adjoint de Cairn.info, qui a lancé en 2022 un modèle " Souscrire pour ouvrir ", permettant aux universités de soutenir financièrement des revues en adoptant un mode de diffusion gratuit, " dans l'esprit de ce que pourrait être une campagne de crowdfunding ", au service des éditeurs, des auteurs, et des étudiants.

Réapprendre à lire

Comment expliquer dès lors cette baisse du CA ? Faut-il y voir une baisse du niveau universitaire ? Les étudiants seraient fâchés avec la lecture ? " Ils ont moins envie de lire. Ils se contentent d'une ou deux références, là où, il y a quelques années, c'était deux ou trois ", esquisse Manon Savoye (Ellipses).

Les éditeurs développent donc des formats courts. Le format poche est d'ailleurs en croissance, et les PUF adaptent leurs ouvrages en petite taille dans leur nouvelle collection " Quadrige Poche ". " On va vers des bouquins plus concis. D'ailleurs, on inscrit directement sur la couverture une sorte de sommaire avec tous les contenus et la cible - "L1" par exemple, là où auparavant on aurait indiqué seulement 'fac', voire rien du tout ", informe Elocia Vermeulin.

Problème cependant, pointe Gwénaëlle Bourron-Painvin de Vuibert : " La loi Darcos, en instaurant des frais de port à 3 euros là où ils étaient quasi nuls en ligne, a été votée pour favoriser les libraires. Toutes les librairies n'ayant pas de rayon universitaire, elles ne récupèrent pas les pertes d'Amazon sur les livres à petits prix. " Autre frein aux formats brefs : la plume des auteurs universitaires habitués à l'exercice de la thèse. Selon Yannick Dehée, directeur de Nouveau Monde : " Il manque au sein de l'université des modules de formation à la vulgarisation. À notre niveau, on peut donner des consignes générales, mais pas retravailler chaque texte dans le détail. L'économie du livre universitaire ne le permet pas. "

Si le texte pose problème, pourquoi ne pas proposer plus d'images ? " Les étudiants ont le réflexe vidéo dès qu'ils ont besoin de quelque chose. Ils veulent des formats faciles, courts, qui vont les aider à apprendre plus vite ", suggère Gwénaëlle Bourron-Painvin, mentionnant Le marketing en 101 schémas. De Boeck Supérieur publie L'essentiel de l'anatomie en 57 fiches et 170 schémas, et réédite sa Biologie en 2 200 schémas, " avec des visuels pour condenser et aider à mémoriser sous forme de cartes mentales bilan, plutôt que de longs paragraphes ", décrit la directrice. Sa maison lance, dans le même esprit, de nouvelles séries de visuels et une de cartes mentales couvrant l'ensemble de la psychologie, écrite par une " studygrammeuse ", " une étudiante qui a réussi et délivre un discours de pair à pair. " En sciences, les offres "visuelles" (manuels Fluoresciences, mémos visuels...) continuent de performer ", selon Stéphanie Renaudin (Dunod). L'Atlas de l'Anthropocène des Presses de Sciences Po a quant à lui dépassé les 32 000 exemplaires.

Consécration des images justement ? Les éditeurs universitaires se mettent à la BD. Mon cours de physique en BD (Dunod, publié en avril) ; Le droit des femmes (sorti le 5 mars aux éditions Gualino après le succès, la rentrée dernière, de L'intro au droit dessinée) ; English in comics. La conjugaison anglaise en BD (chez Ellipses) illustrent ce phénomène. Lefebvre Dalloz a sorti au printemps son premier roman graphique, Adelaïde. Lorsque l'intelligence artificielle casse les codes. " La BD aide à s'identifier à la protagoniste et à voir comment l'IA est présente dans notre quotidien ", justifie Hélène Hoch, directrice de rédaction civil/pénal. La campagne de communication reprend aussi les codes du manga. Et comme pour la BD, les lecteurs sont incités à faire des collections, avec des récompenses à la clé. LexisNexis aura également sa BD, alliant Lucky Luke et droit, et publie chaque semaine sur Instagram un strip sur la vie de la fac, " ce qui nous a permis d'accroître notre communauté ", explique Hélène Hoch.

Les inventions du livre

Le papier s'adosse au numérique. " Pour avoir à la fois l'assurance du papier et le côté ludique et interactif du numérique ", affirme Gwénaëlle Bourron-Painvin, les ouvrages sont enrichis de QR codes renvoyant vers des fiches audio ou, plus coûteux à produire : une version mobile de leur sémiologie médicale. De Boeck propose des QCM sur écran et des schémas muets interactifs à remplir en ligne. Mais attention à la sécurité des données concernant les vidéos en ligne hébergées sur un serveur distant, glisse Damien Poïvet, chef de projet Canal-U, plateforme de textes, vidéos et podcasts qui se veut une référence pour les étudiants : " YouTube est-il à l'abri de changements comme ceux observés chez Twitter ? Est-ce compatible avec l'idée de souveraineté numérique ? Ces vidéos sont aussi entourées de contenus douteux voire dangereux. "

Un éditeur comme Pearson se montre prudent avec les agrégateurs d'ebooks (comme Epsco, Gardners, Odilo...). " Pour les écoles, c'est génial, il y a 40 000 ebooks, plus besoin d'acheter de livre papier. Mais cela peut être très peu rémunérateur pour les éditeurs, et il faut s'assurer que les contenus ne soient pas diffusés sauvagement ", s'enquiert Florence Young. Tandis que Thomas Parisot, de Cairn, déplore la baisse des budgets des bibliothèques universitaires clientes. 

Les ebooks ont, en plus, la force de la flexibilité. Pearson propose du sur-mesure : " Une école demande tant de chapitres de tel bouquin, le chapitre de finance de tel livre, la préface rédigée par son directeur et un quiz par un professeur. Les usages ont beaucoup changé, les étudiants piochent et se plaignent de n'avoir utilisé que deux chapitres sur leur manuel de 800 pages ", illustre Florence Young.

Autre format en hausse : l'audio. Le podcast, gratuit, est un outil de promotion des livres de Dalloz. Pour LexisNexis, sa fiction dystopique La voix d'Help contribue à " coolifier " son image. Dunod rebondit sur l'actualité adressée aux étudiants et aux enseignants en expertise comptable. Les PUF sortent bientôt une série nommée " Révolutions philosophiques ". Quant au livre audio, il reste peu développé mais permet de s'adresser à des étudiants malvoyants, ou de " s'adapter à ceux qui ont une mémoire auditive ", ajoute la directrice de De Boeck. Là aussi, le format est à la concision : plutôt qu'un livre audio, des synthèses de chapitres.

Le tout se veut ludo-pédagogique. Les flashcards d'Elsevier, des fiches détachables dans sa collection des Ecos, peuvent s'apparenter à un jeu d'apéro, comme les cartes mentales de Foucher complétées de devinettes. Pour l'été : des cahiers de vacances. " Nous nous orientons de plus en plus vers des ouvrages ludo- pédagogiques ", résume Frédéric Vignaux, directeur de Studyrama et Bréal. LexisNexis a aussi proposé ses cahiers estivaux, suggérant des séries et des films pour approfondir leur culture juridique... Et lance à la rentrée son premier Serious game de procédure civile, le Juris'Game, qui promet de " réviser en jouant ", selon les mots de Line Teillot, directrice de la rédaction. " On est partis du constat que les étudiants, tout en connaissant bien la procédure civile, manquent de pratique. "  Lefebvre Dalloz joue le jeu en lançant CoDeck Challenge : 100 questions pour tester vos connaissances juridiques afin de réviser entre amis.

Ludiques aussi, la guerre froide envisagée à travers le sport chez Nouveau Monde ; les statues pour éclairer l'histoire entre l'Ukraine et la Russie ; les toilettes publiques et ce qu'elles disent des villes, de la santé et du genre, aux Presses de Sciences Po... LexisNexis aborde le droit sous le prisme de Tintin, un titre réimprimé très rapidement après sa sortie en avril. Le conte avec Contes populaires coréens chez Armand Colin, et le coffret de contes juridiques de Dalloz (à l'automne) agrémentent enfin l'âpre savoir par le récit.

Revenir au livre

Mais pas au détriment des gros ouvrages. En parallèle des " Quadrige Poche ", les PUF lancent la série " Grands classiques " dans la même collection, la réunion en un volume de plusieurs ouvrages d'un auteur. Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950) sortira en version longue. S'il existe des exercices en ligne, Vuibert publie un atlas sur lequel les étudiants peuvent écrire et gommer pour s'entraîner. " Les étudiants qui arrivent maintenant en études supérieures sont ceux qui n'ont pas eu de manuel papier depuis la 2nde. Il faut donc leur montrer que le livre a une vraie utilité. En médecine, ils le surlignent. Les cartes mentales sur une liseuse n'ont pas de couleur... " Le Manuel d'anatomie et de physiologie humaine de Tortora (De Boeck), à presque 50 €, reste l'un de ses best- sellers. Tout comme l'Atlas d'anatomie humaine de Netter chez Elsevier. " La parution de la 8e édition booste les ventes ", rapporte Marc Sayag, directeur de la maison leader du marché.

" Quand l'épreuve est difficile, les étudiants s'appuient sur des ouvrages. Le livre est une garantie, le contenu est validé, alors qu'ils savent qu'ils peuvent trouver tout et n'importe quoi sur internet ", éclaire Manon Savoye (Ellipses). " Un ouvrage qui n'existerait que numériquement n'existe pas dans la société. Le livre papier est un objet trop parfait pour qu'il disparaisse ", déclare Pierre-Henry Frangne, directeur des PUR. " Nous travaillons sur une diversité des formats, conclut Stéphanie Renaudin (Dunod), afin de répondre à un maximum de besoins. "

Des études sous influence

Je parle français avec Madame à Paname, débutant FLE A1-A2 de Marion Dupouy (@madameapaname), Vocabulaire FLE A1-A2 d'Élodie Vincent (@youronlinefrenchteacher) (De Boeck)... Les influenceurs gagnent la vénérable édition universitaire. « Mais on continue avec nos anciens auteurs qui ont fait la renommée de notre marque, sans dire "Ciao bye bye on veut des influenceurs" », nuance Elocia Vermeulin (De Boeck). « Quand on fait appel à des influenceurs en tant qu'auteurs, il faut qu'ils aient une vraie légitimité. Ils sont infirmiers, médecins... », défend Gwénaëlle Bourron-Painvin (Vuibert). Sur la couverture, le vrai nom de Léa English est d'ailleurs rappelé : Vercelloti. Les meilleurs influenceurs, ce sont les anciens étudiants qui ont été « très bien classés », pour reprendre l'intitulé de la collection à succès de Vuibert. Qui n'a pas les capacités de concurrencer les conseils en softskills que les influenceurs donnent sur Insta et TikTok. « Il y a plein de vidéos bien faites. Nous, on a intérêt à se positionner sur : "Voici du contenu sérieux qui va vous aider dans vos études", ce qui n'empêche pas de travailler la forme de nos ouvrages pour rendre l'apprentissage efficace : cartes mentales, schémas... » Ou bien il faut se greffer au réseau déjà bien établi, soumet Frédéric Vignaux (Studyrama) : « Nous profitons des réseaux sociaux de nos auteurs ou des écoles avec lesquelles nous collaborons. » Comme les PUR, qui se félicitent d'avoir intégré l'Université de Lausanne dans leur catalogue, de quoi accroître leur visibilité.

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Frédéric Vignaux, directeur de Studyrama.- Photo OLIVIER DION

Mais plus que les enseignants, les libraires restent de gros influenceurs, selon Elocia Vermeulin. « Le libraire est l'un des premiers prescripteurs. Le prof est plutôt sur la recommandation. »

« Pour la rentrée, la grosse part des ventes se fait en librairie physique. Les étudiants ont besoin de conseils », rejoint Dalloz. Comme pour LexisNexis : « Nos clients ont encore le réflexe d'aller feuilleter les livres avant de les acheter. » Et tous soulignent l'importance des salons de la rentrée pour rencontrer les étudiants.

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