Parution

Un procès à la Kafka

Un procès à la Kafka

Les Dessins… signé par Franz Kafka sort en librairie cette semaine, après plus de vingt ans de procédure opposant une institution et les ayant-droits de l'auteur.

Le 4 novembre sort en librairie un volume détonnant intitulé Les Dessins… signé par Franz Kafka. Ce sont Les Cahiers dessinés qui publient, en France, cette centaine de feuillets inédits, paraissant simultanément dans nombre de territoires.  

Une telle parution, près de cent ans après la mort de Kafka, en 1924, est l’ultime épisode d’un de ces passionnants feuilleton que nous réserve l’histoire juridico-littéraire. 

Le début de l’histoire est connu : un testament du génie littéraire ordonnant de brûler les documents, doublé d’un ami et exécuteur testamentaire, Max Bord, qui n’obtempère pas. Celui-ci meurt en 1968 à Tel-Aviv, où il avait fui le régime nazi. Entretemps, en 1956, il a déposé des archives dans quatre coffres, deux en Israël et deux à Zurich. Et il laisse pour légataire Esther Hoffe, sa secrétaire. laquelle vend, pour 2 millions de dollars, le manuscrit du Procès, aujourd’hui conservé au centre d’archives de Marbach en Allemagne. Esther décède en 2007. Ses deux filles, Eva et Ruth, sont ses seules héritières. 

Feuilleton juridique

La Bibliothèque nationale d’Israël a alors intenté un long procès à ces deux dames, arguant… d’un passage du testament de Brod demandant que ses propres manuscrits et ceux de Kafka reviennent à la bibliothèque hébraïque de Jérusalem, à la bibliothèque nationale de Tel-Aviv, ou « à n’importe quel autre centre public d’archives ». 

Après expertise du contenu des coffres, le juge des familles près le tribunal de Tel-Aviv avait déjà statué sur le sort des manuscrits litigieux, estimant que ce trésor littéraire revenait aux organismes publics et ne resterait pas propriété des deux sœurs. La Cour d’appel avait confirmé. Et la Cour suprême d’Israël entérine en 1996.  

Le cas de l’auteur du Procès présente aujourd’hui tant de facettes juridiques qu’il couvre à lui seul nombre de problématiques récurrentes au droit d’auteur, depuis le respect des volontés d’un écrivain en passant par les mécanismes de dévolution successorale. 

Droits moraux

En France, la transmission des droits moraux est l’attention de plusieurs articles du Code de la propriété intellectuelle (CPI). La loi opère notamment une distinction théorique entre les différents attributs du droit moral.

C’est ainsi que les droits au respect, qu’il s’agisse de celui de l’œuvre ou du nom et de la qualité de l’auteur, se rapprochent du droit des successions le plus classique. L’article L. 121-1 du CPI souligne in fine que « l'exercice [du droit au respect du nom de l’auteur, de sa qualité et de son œuvre] est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur » et « peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ». 

Le droit de retrait ou de repentir semble exclu de toute transmission. Il répond en effet à une situation et à un état d’esprit trop particuliers pour qu’il puisse être exercé par un autre que l’auteur lui-même. Mais une décision de justice a admis son exercice par un héritier si la volonté d’en user ainsi a été « explicitement manifestée par l'auteur avant sa mort ». 

Le cas le moins orthodoxe, par rapport au droit commun des successions, reste celui du droit de divulgation. En effet, l’article L 121-2 du CPI énonce notamment : « Après sa mort, le droit de divulgation de ses œuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur ». 

Le droit de la propriété littéraire et artistique s'est en effet approprié la traditionnelle notion d'exécuteur testamentaire. Son indépendance supposée, sa connaissance des écrits, publiés ou inédits, et des désirs profonds du créateur tels qu'il les lui a souvent exprimés de son vivant, en font en effet la personne idéale pour gérer au mieux le destin d'une œuvre après la disparition de l'écrivain. 

Coup de canif dans le testament

La mission de l'exécuteur testamentaire peut donc s'étendre de la décision de publication des inédits jusqu'au choix et au contrôle des rééditions. Il ne peut en revanche intervenir à la place des héritiers légaux pour veiller sur la mémoire de l'écrivain. Et son rôle s’éteint à sa propre disparition. 
 
Il va de soi que Max Brod n’a pas respecté la mission que lui avait confiée Franz Kafka. Et que cette volonté aurait du primer.  L’ironie de cette affaire est que, aujourd’hui, c’est le scrupuleux respect du testament de ce même Max Brod qui a permis que les manuscrits inédits soient affectés à la Bibliothèque nationale d’Israël, la Cour suprême d’Israël ayant donc rejeté, au début de l’été 2016, le dernier recours formé par les héritières de la secrétaire de Max Brod.

Cette bibliothèque nationale avait déjà formulé une revendication officielle auprès des institutions allemandes après la vente du manuscrit du Procès. Et c’est en mai 2019 que les dessins enfermés dans le coffre-fort de Zurich ont été transférés à Tel-Aviv, à l’issue d’une longue négociation. Ils ont été mis en ligne sur le site Internet de la bibliothèque fin mai 2021 et arrivent enfin en librairie.
 
 
 
 
 
 
 

Les dernières
actualités