Chronique Juridique

Première partie 

Cette question de l’originalité des photographies reste donc un sujet épineux.

Il a donné lieu à un rapport commandé par le CSPLA à ma consœur Josée-Anne Bénazéraf et à la juriste Valérie Barthez, qu’elles ont rendu le 15 décembre 2020. Dans leur synthèse, elles écrivent que, « apparue il y a une quinzaine d'années, la question de la preuve de l'originalité, auparavant traitée comme une opération de qualification juridique, a bouleversé la matière », en raison de « l'exigence, posée par la Cour de cassation à l'égard des juridictions » du fond, dont la spécialisation « a entraîné le déplacement du contentieux, autrefois traité par les tribunaux de commerce ».

Ces juridictions « se sont ainsi trouvées confrontées à des revendications, au titre du cumul de protection, pour des objets de consommation courante au regard desquels l'instauration d'un monopole pour une durée longue posait manifestement problème. »

Or, « l'objet de la preuve – l'originalité – est sans conteste la notion la plus insaisissable du droit d'auteur, alors même qu'elle constitue une condition indiscutable de la protection, consacrée depuis la moitié du XIXe siècle par la jurisprudence française et depuis 2009 par la Cour de justice de l’Union européenne, qui l'a érigée en notion autonome du droit de l'Union à la faveur de plus d'une dizaine de décisions ».

Elles ajoutent qu’ « il en résulte que, même pour des œuvres dont l'originalité semble pourtant indiscutable, la démonstration d'originalité est loin d'entre aisée. Paradoxalement, elle est peut-être plus difficile encore pour de telles œuvres que pour des œuvres techniques ou utilitaires, du fait que les critères dégagés essentiellement en contemplation de ces dernières paraissent inadaptés aux œuvres créées dans une intention exclusivement artistique ».

De plus, « la généralisation des exploitations dites "de masse", qui portent sur plusieurs centaines, milliers, voire dizaines de milliers d'œuvres diffusées à l'identique, phénomène qui touche davantage les œuvres appartenant aux genres traditionnels de la création qu'aux dessins et modelés bénéficiant du cumul de protection », conduit à des situations dans lesquelles « la preuve de l'originalité de chacune des œuvres concernées apparaît impossible ». Et « ces difficultés ont été exploitées de manière opportuniste par les contrefacteurs, en sorte que les contestations d'originalité, naguère cantonnées aux cas où la protection apparaissait réellement contestable, sont devenues systématiques ».

Dans ce contexte, où les procédures sont devenues complexes et prohibitives, les titulaires de droits, qui n'ont pas les moyens d'engager des frais sans proportion avec les enjeux des litiges, renoncent trop souvent à agir, préférant, lorsqu'ils le peuvent, rechercher une protection sous l'empire du droit voisin ou du droit des marques.

Selon les rapporteuses, « des solutions existent pour adapter cette exigence en sorte de remédier à ces dérives ».

La mission « s'est attachée à les rechercher dans l'optique exclusive de rétablir la bonne foi au cœur du procès en contrefaçon, afin d'éviter les contestations d'originalité formées de manière systématique et dilatoire, sans éluder pour autant, lorsqu'il a lieu d'entre, le débat sur l'originalité.

Des suggestions aux fins d'une évolution jurisprudentielle sont en premier lieu proposées à droit constant.

Celles-ci reposent, d'une part, sur un assouplissement de l'exigence, posée par la Cour de cassation, d'un examen de l'originalité œuvre par œuvre, en sorte de permettre aux juridictions du fond d'alléger, à leur tour, la charge reposant sur les justiciables.

Elles consistent, d'autre part, à tirer parti des règles du droit de la preuve qui, contrairement à une idée reçue, n'attribuent pas systématiquement au demandeur le fardeau de la preuve, mais font au contraire varier cette attribution alternativement sur le demandeur ou le défendeur en fonction des circonstances factuelles, par application des principes dits de vraisemblance et d'aptitude à la preuve.

Dans la mesure où une telle évolution est, par hypothèse, incertaine, préférence est donnée à une modification législative proposant une solution mesurée, faisant peser sur chacune des parties une part de la charge probatoire. »

Et de proposer une modification du CPI aux termes de laquelle il appartiendrait « à celui qui conteste l’originalité d’une œuvre d’établir que son existence est affectée d’un doute sérieux et, en présence d’une contestation ainsi motivée, à celui qui revendique des droits sur l’œuvre d’identifier ce qui la caractérise ». Celle-ci n’a été reprise ni par un parlementaire ni par le ministère de la Culture.

Ce serait en effet un renversement complet des mécanismes aujourd’hui à l’œuvre dans les juridictions françaises qui, pour l’heure, continuent de se montrer relativement exigeantes afin de préserver l’essence même de ce qu’est le droit d’auteur.  

Les dernières
actualités