Chronique Juridique

L'éditeur et l'obligation d'exploitation (I/III)

Olivier Dion

L'éditeur et l'obligation d'exploitation (I/III)

Jusqu’où un éditeur est-il tenu d’aller pour assurer le succès de son catalogue, mais aussi satisfaire les exigences de ses auteurs ?  

Le Tribunal judiciaire a rendu une décision le 24 juin 2022 dans un litige qui opposait une auteure de best-sellers sur le développement personnel à une maison d’édition (que je représentais).

Les enjeux de ce contentieux portaient sur les griefs, très coutumiers, d’un supposé manque d’exploitation permanente et suivie, que ce soit notamment en poche, en version audio et en langues étrangères.

L’auteure avait par ailleurs multiplié les griefs contre l’éditeur qui l’avait lancée et chez qui elle avait signé sept ouvrages à succès. Elle suspectait toutes les redditions de compte d’être fausses mais surtout assignait dans l’espoir d’obtenir la résiliation des contrats d’édition conclus, ainsi que de tous les sous-contrats portant notamment sur les éditions en langue étrangère, au motif qu’elle aurait voulu de meilleures ventes et une grande publicité à l’étranger comme plus de traductions.

Aux termes de l’article L. 132-12 du Code de la propriété intellectuelle, « l’éditeur est tenu d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession ».

Les juges estiment qu’en application de ces dispositions, « si l'éditeur ne peut assurer le succès de l'œuvre dont les droits lui sont cédés, il s’oblige néanmoins à faire son possible pour porter cette œuvre à la connaissance du public en en assurant, dans un délai raisonnable, la diffusion avec une publicité suffisante et en l’exploitant d’une façon permanente et suivie, répondant aux exigences notoires de la profession ».

Les cessions en langues étrangères

L’écrivaine soutenait que son éditeur « n’a pas permis à ses ouvrages, par le manque de diligences engagées, de connaître le succès escompté par elle à l’étranger face à une demande forte des lecteurs, en particulier sur les territoires allemand et anglo-saxons. Elle considère par ailleurs que la mauvaise qualité de certaines publications et traductions, laissant apparaître des fautes d’orthographe ou sémantiques, voire conduisant à des contre-sens, a porté atteinte à son droit moral en lui causant un préjudice d’image. Enfin, elle reproche à son éditeur un manque de diligence face au piratage et un défaut général de communication, qu’elle considère caractériser un manque de bonne foi dans l’exécution contractuelle ayant entraîné une rupture de confiance irrémédiable avec son éditeur ».

En face, l’éditeur attestait avoir « pourtant consacré certains efforts pour assurer la traduction, la promotion et l’offre au public des ouvrages initialement parus en français, parmi lesquels une présentation de ces ouvrages au sein de son catalogue de droits étrangers, la réponse d’un éditeur anglo-saxon déclinant la proposition au regard de la saturation du marché des livres consacrés au développement personnel et de deux agents expliquant également les difficultés rencontrées dans les pays anglo-saxons.

Il versait surtout des « captures d’écran du compte Facebook » de l’auteure « démontrant la promotion de ses publications en langue étrangère ou encore des messages remerciant son éditeur des efforts entrepris »

Et les magistrats de relever qu’ « en ce qui concerne plus particulièrement l’ouvrage présenté comme le titre-phare (de l’auteure), il est en outre établi que celui-ci a été effectivement traduit en anglais, en allemand, en roumain, en coréen, en espagnol, en polonais et en italien. Et si certaines des traductions effectuées comportaient selon la demanderesse des contre-sens, comme une référence aux gauchers sur la 4e de couverture de l’édition allemande ou le souhait initial d’intégrer ce titre dans une collection classée « Pervers narcissiques » par l’éditeur roumain alors que l’auteure réfute ce qualificatif, d’une part, elle n’établit pas que les traductions erronées auraient induit une mauvaise compréhension du public qui se serait détourné des ouvrages en cause, d’autre part, ses griefs ont été immédiatement transmis par son éditeur aux éditeurs étrangers qui les ont en partie pris en compte tout en revendiquant leur liberté éditoriale et une connaissance des sensibilités et usages locaux dont ne dispose pas l’auteure, enfin, de troisième part, qu’elle a poursuivi sa relation avec son éditeur durant dix ans après la première parution litigieuse, sans alléguer avoir de ce fait subi un préjudice d’image, lui confiant au contraire la publication de nouveaux titres ».

Le tribunal en conclut que l’auteure « ne peut en conséquence faire grief à son éditeur de ne pas avoir assuré le suivi des éditions étrangères ni pris en compte ses desiderata.

Il ressort de ces différents éléments qu’il ne peut être conclu à l’absence de toute diligence pour une édition à l’international, d’autant que l’auteure reconnaît avoir refusé de céder les droits d’édition à l’étranger de certains de ses ouvrages pour s’en réserver la négociation, notamment en Russie »…

Il la déboute donc, mais comme l’éditeur « ne dément pas n’avoir aucun projet sérieux et concret de développement en cours sur ces territoires (…) ne versant en particulier aucun élément de nature à établir le démarchage récent d’éditeurs anglo-saxons », ces droits lui sont octroyés, « à l’exclusion des exploitations des droits étrangers d’ores et déjà consenties à des éditeurs tiers étrangers ».

 

(à suivre)

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