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L'adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires : pratiques contractuelles et contentieuses (V/V)

Leonardo DiCaprio est 'The Great Gatsby' - Photo

L'adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires : pratiques contractuelles et contentieuses (V/V)

Première partie

Deuxième partie

Troisième partie 

Quatrième partie 

 

Des emprunts sans contrat

Reste le cas des emprunts aux livres qui ne passent par les contrats. Adapter ou s’inspirer ? telle est la question, économique, marketing et forcément juridique.

Les tribunaux doivent, sans relâche, faire le compte des éléments communs et déterminer si le traitement de telle fiction ou documentaire relève du pillage ou est imposé par le sujet choisi.

Or, près de 20 % des films de cinéma seraient des adaptations de livres. L’actualité de l’audiovisuel est marquée par les annonces d’adaptations de best sellerspar les grands studios de production. A la fin de l’année 2018, Netflix a par exemple annoncé en grande pompe l’acquisition des droits d’adaptation d’œuvres emblématiques de Roald Dahl ou de la saga livresque Le Monde de Narnia.

Pourtant, certains producteurs économes sont parfois tentés de contourner les maisons d’édition et de faire réécrire le scenario sans acquérir les droits. Ils s’exposent alors à une condamnation pour contrefaçon, comme en témoigne une riche jurisprudence.

Les juristes spécialisés s’accordent à dire qu’une œuvre littéraire est formée de trois éléments : l’idée, la composition et l’expression.

L’idée seule n’étant pas protégeable par le droit d’auteur, la contrefaçon d’une œuvre littéraire ne pouvant porter que sur la composition ou sur l’expression, ou sur les deux à la fois. La composition désigne l’essence, la trame, l’« histoire » en quelque sorte, et l’ensemble des éléments qui la forment : péripéties, enchaînement des événements, scènes, caractéristiques des personnages, etc.


Le cas emblématique d’Autant en emporte le vent

Pour déterminer s’il y a ou non contrefaçon de la composition d’une œuvre, il convient de découper le scénario du livre en un nombre de scènes clés et de comparer. L’affaire Autant en emporte le vent qui a opposé Régine Deforges aux héritiers et à l’éditeur de Margaret Mitchell fournit un assez bon exemple de cette méthode, fréquemment employée en justice.

Les diverses juridictions qui sont intervenues dans cette affaire ont analysé, notamment, les caractères des personnages, la toile de fond, le contexte, les situations et les scènes des deux romans.

La Cour d’appel de Versailles, à la fin de 1993, a estimé en dernier lieu que l’ensemble des éléments du roman de Régine Deforges était imposé par le contexte librement choisi de la Seconde Guerre mondiale. Quant à certains éléments communs, les juges les ont considérés tout au plus comme des idées de libre parcours, par conséquent non appropriables et ne pouvant être revendiqués par les héritiers Mitchell.

 

La ligne de crête entre adaptation et reprise d’éléments non originaux

Les tribunaux doivent donc faire le compte des éléments communs et déterminer si leur présence relève du pillage ou est imposée par le sujet choisi.  On ne peut par exemple interdire à un scénariste situant l’action d’un film en Afrique du Nord d’y incorporer une scène dans un souk.

De même, existe-t-il des exceptions dues au fonds commun de la littérature, des éléments devenus si banals qu’ils ne peuvent plus présenter d’originalité que dans leur expression. Ainsi, dès le début du XXème siècle, un tribunal a justement rappelé que Courteline ne pouvait s’approprier le thème du mari qui fait preuve de faiblesse vis-à-vis de sa femme adultère.

C’est un processus semblable à celui qui frappe, par exemple, les oeuvres historiques dont l’auteur a décidé de suivre, le plus simplement qui soit, un plan chronologique.

Les adaptations, de quelque sorte que ce soit (d’un livre en un film ou un autre type d’œuvre ou, inversement, d’une pièce en un roman), sont bien évidemment susceptibles d’être poursuivies pour contrefaçon. La publication en bande dessinée et en cassette audio, sans autorisation, d’un roman d’Agatha Christie en constitue, par exemple, une contrefaçon. Quant à l’expression, seconde cible possible d’une contrefaçon littéraire, il s’agit tout simplement du choix des mots, de la façon d’écrire…

Il est bien évident qu’il convient de faire là aussi la part entre les termes obligés, imposés par le sujet, et ceux qui relèvent d’un véritable choix original de la part de l’auteur. On ne peut reprocher à un auteur l’emploi de termes usuels.

Cela ne signifie nullement que l’utilisation des mêmes exemples soit autorisée, ni que le piratage des phrases et des expressions originales élaborées par d’autres soit libre.

Il est donc normal que la jurisprudence se montre plus sévère vis-à-vis de publications où rien ne justifie de fortes similitudes entre les œuvres : roman, théâtre, cinéma…

Enfin, si les mots courants peuvent être repris par tous sans difficultés particulières, il n’en est pas de même pour l’utilisation de noms de personnages ou de titres qui peuvent présenter en eux-mêmes une véritable originalité. Ainsi l’adjonction du sous-titre L’Impossible Histoire ne permet-elle pas d’écarter la contrefaçon du titre principal, Paris sur crime.

La question de la contrefaçon se pose également, lorsqu’un auteur choisit d’écrire un livre fondé sur une œuvre audiovisuelle, que cet ouvrage consiste en une analyse scientifique ou en une adaptation.

 

D’un Bureau des légendes à l’autre

En avril 2018, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris a dû trancher cette question au sujet d’un livre intitulé Le Bureau des Légendes – Politique du secret qui proposait une analyse de la série télévisée Le Bureau des Légendes.

Le producteur de la série demandait au juge d’interdire la promotion, la sortie et la vente de l’ouvrage en ce qu’il aurait porté une atteinte à la marque « Le Bureau des légendes ».

Le juge des référés avait alors rejeté la demande estimant que l’utilisation du signe « le Bureau des Légendes » dans le titre de l’ouvrage ne faisait que désigner l’ouvrage en tant qu’œuvre littéraire autonome, elle-même indépendante de la série audiovisuelle dont il propose une analyse scientifique.

Cette décision, même si elle se plaçait essentiellement sur le terrain de la marque, nous intéresse en ce qu’elle révèle les latitudes laissaient aux auteurs en matière d’analyse d’œuvres audiovisuelles.


L’exemple d’une adaptation contrefaisante d’un roman autobiographique au cinéma

Par une décision du 22 mars 2018, le Tribunal de grande instance de Paris a tranché un litige dans lequel l’éditeur d’un livre autobiographique dépeignant le pouvoir politique en Iran se disait pillé par un producteur très économe et peu scrupuleux.

La maison d’édition, demandeur à l’action, arguait que la structure narrative, les lieux, les personnages ou encore les ellipses - au total 68 passages de l’ouvrage… - avaient été repris illicitement.

Sans surprise, le producteur plaidait les différences entre son film et le livre.

La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de rappeler quelques fondamentaux caractérisant la contrefaçon d’une œuvre littéraire, même issue de la non-fiction.

Dans cette décision, les juges ont estimé que le thème commun et le caractère biographique « impliquent nécessairement des similitudes tenant aux faits relatés eux-mêmes, aux lieux où ils se déroulent ainsi qu'à leurs protagonistes principaux ».

Mais les magistrats du Tribunal de grande instance de Paris ont estimé que les similitudes dépassées le cadre de simples réminiscences, trahissant une « source d'inspiration commune ». Ainsi, le jugement en avait conclu qu’« Il se déduit de ces éléments que le film (…) procède bien de l’adaptation de l’œuvre littéraire (…) sans l’autorisation de la société (…) cotitulaire des droits d’adaptation audiovisuelle sur le livre, et constitue à ce titre une contrefaçon. »

Au final, près de 34 scènes soit la moitié des passages incriminés, ont été jugés contrefaisants.

En conséquence, le jugement a octroyé 15 000 euros de dommages-intérêts à la maison d’édition, et a ordonné des mesures de publicité du jugement notamment au bulletin de déclaration du film à la SACD (la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques).

L’adaptation d’une œuvre doit être traitée en amont afin d’envisager l’acquisition des droits d’adaptation de l’œuvre première ou a minima et à défaut la relecture du scénario pour le purger des éléments contrefaisants…

Le Tribunal de grande instance de Paris s’est ainsi penché, le 25 février 2016,  sur le célèbre poème Liberté de de Paul Eluard.

Le cinéaste David Cronenberg, auteur de Maps to the stars, avait repris six vers de ce texte, été publié en 1942 par les extraordinaires éditions de Minuit avant d’être repris, en 1945, dans le volume intitulé Au rendez-vous allemand.

L’héritière de Paul Eluard a assigné producteurs et aux distributeurs du film, en particulier en raison de la bande annonce du film en langue anglaise. L’éditeur avait alors adressé pour 4 000 euros de factures. Et le producteur avait réglé la note… la veille de la projection à Cannes.

Las, lors du visionnage du film, l’héritière du poète avait constaté des emprunts bien plus importants que ceux figurant dans la bande-annonce, ainsi que des erreurs dans la traduction dans la version française, comme dans les sous-titres.    

Cécile Eluard Boaretto et les Éditions de Minuit avaient donc assigné en contrefaçon, en arguant qu’il existait une atteinte à l’esprit de l’œuvre «  du fait des thèmes, du scénario et du sens du film dans lequel a été utilisé le poème Liberté, qui le transformerait ».

 Or, les juges estiment que « la liberté d’expression d’un auteur autorise la création et la diffusion d’une œuvre composite qui intégrerait tout ou partie d’une œuvre première protégeable, à la condition que le droit de l’auteur premier ait été respecté tant au plan patrimonial que moral ».

Toutefois, ajoutent-ils, « le film Maps to the stars est une critique de la vie des stars à Hollywood. Les personnages sont terrifiés par la peur de ne plus être reconnus ou de tomber en disgrâce. La mort y est souvent présente. Le film se termine par le suicide de Benjie et Agatha, frère et sœur, simulant le mariage également incestueux de leurs parents, eux aussi frère et sœur. Au cours de plusieurs scènes des extraits du poème Liberté sont ponctuellement récités par les personnages.
 Le réalisateur du film, David Cronenberg, a eu l’occasion d’exprimer notamment lors de propos recueillis dans les cahiers du cinéma que son film propose un « nouveau sens » au poème Liberté « qui a été écrit par Paul Eluard au moment de la Résistance. Ici la liberté devient mort » .

Ils en concluent que, « s’il propose une lecture différente de l’œuvre, le réalisateur ne nie pas la qualité du poème Liberté mais l’intègre dans sa propre création en tant qu’œuvre. 
Il ne conteste pas s’être affranchi du contexte dans lequel il est né, mais la liberté d’expression de l’auteur de l’œuvre seconde doit pouvoir s’exercer sans que l’œuvre première ne soit enfermée dans le contexte historique ou factuel dans lequel elle a été créée. 
Cette liberté d’expression ne peut pas non plus être limitée par une appréciation subjective des mérites de l’œuvre seconde par les ayant droits titulaires du droit moral. 
Il n’est pas démontré que la manière dont le thème de la liberté est appréhendé par le film constituerait une atteinte à la pensée de Paul Eluard telle qu’exprimée dans l’œuvre. » C’est pourquoi, selon les magistrats, « l’utilisation que fait le réalisateur du film Maps to the stars du poème de Paul Eluard n’apparaît pas préjudiciable à l’auteur ou à son œuvre et ne porte aucune atteinte ni à la nature, ni à la qualité du poème. Dès lors, l’atteinte à l’esprit de l’œuvre ne sera pas retenue.  »

Enfin, soulignons que la transmission des droits moraux est l’attention de plusieurs articles du CPI, articles dont l’absence de logique et de clarté continue d’embarrasser juridictions et spécialistes du droit d’auteur. Mais, et c’est là le point retenu par le tribunal – en sus de la facturation aventureuse -,  les ayant-droits ne peuvent pour autant agir indépendamment des instructions de l’auteur (qu’elles émanent d’un testament, de correspondances, d’un journal, etc.) ou, à défaut, de se référer aux règles d’usage de l’édition.

Le cinéma est une formidable machine, qui a réussi, en raison tant des investissements substantiels que de la multiplicité des intervenants, à annihiler le traditionnel droit moral de ceux qui ont succombé à ses charmes ou à ses chèques.

 

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