Avant-portrait Rentrée littéraire > Jean-Claude Lavie

La malice se voit dans ses yeux comme elle se lit dans ses livres. A 97 ans, Jean-Claude Lavie a conservé l’impertinence de la jeunesse. Il a un petit côté Einstein, en plus sec, avec cette chevelure blanche ébouriffée qui va si bien avec cette vivacité d’esprit. On sent l’humour à peine contenu entre ses lèvres, prêt à s’échapper à la moindre question. Car ce psychanalyste n’hésite pas à transformer l’intelligence en fantaisie et l’amour en crime parfait. "Le langage en dit plus sur nous que nous le pensons. On ne pense d’ailleurs que pour s’accrocher à ce qu’on pense." Serait-ce une acrobatie verbale dont il parsème ses textes? Pas vraiment.

Jean-Claude Lavie a toujours eu ce rapport particulier aux mots et aux maux. La lecture de Ma vie et la psychanalyse de Freud décide de sa vocation dans les années 1930. Mais la guerre le rattrape et interrompt ses études. D’abord médecin généraliste, ce Parisien entreprend une analyse avec Lacan de 1950 à 1960. "C’était au tout début de sa carrière, il n’était pas encore connu", précise-t-il comme pour excuser ses prestigieux débuts. Chemin faisant, il devient l’un des membres fondateurs de la Société française de psychanalyse. Il aurait pu en rester là, dans le confort des divans profonds comme des tombeaux. Mais J.-B. Pontalis lui demande un article pour la Nouvelle revue de psychanalyse. Puis un autre et ainsi de suite. Jean-Claude Lavie découvre le plaisir d’écrire. On ne peut pourtant pas dire qu’il en abuse. Hormis une préface au livre de Freud sur Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, il n’a publié que trois ouvrages en près d’un siècle d’existence.

Dialogue socratique

Quand on l’interroge sur son âge, il sourit. "Ça m’étonne. Peut-être parce que j’ai fait beaucoup de sport. C’est assez peu fréquent chez les psychanalystes. J’ai commencé le trapèze volant à 64 ans." Il est assez rare en effet de passer de la voltige verbale à la voltige tout court, surtout à l’âge où certains prennent leur retraite, voire le large. Jean-Claude Lavie raconte comment il s’entraîne dans des églises de banlieue ou sur sa terrasse dans le quartier de l’Opéra. Pendant cinq ans, il s’élance dans les airs en amateur, sans crainte pour sa vie. "Ce n’est pas plus dangereux que de traverser Paris à vélo."

Et l’amour, est-ce dangereux? Il semblerait. Jean-Claude Lavie a déjà abordé le sujet dans L’amour est un crime parfait. "Je t’aime, c’est une défense formidable. On vous pardonne tout. On peut même tuer par amour." Il y revient dans Pour et contre l’amour, une sorte de dialogue socratique entre un homme qui attend la femme de sa vie et un autre qui s’emploie à démontrer l’illusion. "Au fond, c’est un texte sur la pensée. Les deux personnages sont tous les deux ridicules." A l’entendre, il s’agirait d’un monologue paradoxal qui se serait dédoublé pour se contredire. Et l’amour dans tout ça? "J’ai fini par comprendre comment cela ne fonctionne pas." Encore un saut périlleux? Même pas. Cela fait longtemps qu’il a appris à retourner le langage comme un gant. Alors à quoi tient Lavie? A son fil, irrémédiablement. Laurent Lemire

Jean-Claude Lavie, Pour et contre l’amour, Gallimard, "Connaissance de l’inconscient", Prix: 7,50 euros, 60 p., Sortie: 13 septembre, ISBN: 978-2-07-279619-7

06.07 2018

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