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Un peu de loi, mais pas trop?

La médiathèque François-Villon à Bourg-la-Reine - Photo Olivier Dion

Un peu de loi, mais pas trop?

Lors de son congrès annuel, du 7 au 9 juin à La Rochelle, l’Association des bibliothécaires de France s’est prononcée pour un encadrement législatif des missions des bibliothèques. Mais la forme qu’il pourrait prendre continue de faire débat dans la profession.

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Par Véronique Heurtematte,
avec Créé le 14.06.2018 à 21h59

Faut-il une loi nationale sur les bibliothèques en France? Posée régulièrement depuis des années, la question est revenue dans l’actualité à la faveur du travail mené par la sénatrice Sylvie Robert depuis 2015, et du rapport d’Erik Orsenna et Noël Corbin sur les bibliothèques publié en février dernier. Après des mois de discussions, l’Association des bibliothécaires de France (ABF), très partagée sur la question, a fini par voter vendredi 8 juin pendant son congrès, à La Rochelle, une résolution en faveur d’un encadrement législatif. Mais si celle-ci a été, au terme de débats animés, adoptée par les deux tiers des participants à l’assemblée générale, elle ne fait pas l’unanimité.

Dans la perspective d’une loi, l’association prévoit de travailler autour de cinq axes: définir les missions des différents types de bibliothèques (départementales, associatives, intercommunales); affirmer l’accès libre et gratuit aux locaux et l’équité territoriale; protéger contre la censure et garantir la pluralité des contenus; rassembler les règles juridiques qui s’appliquent aux bibliothèques; réfléchir à la formation des personnels et à leurs statuts. La formulation de ces thématiques reflète l’inquiétude suscitée parmi les professionnels par plusieurs incidents qui ont montré dernièrement la fragilité des bibliothèques, tels que la fermeture de la bibliothèque départementale des Yvelines en 2016, la décision de la municipalité de La Trinité-sur-Mer, finalement abandonnée, de rendre payant l’accès aux locaux de sa bibliothèque, ou encore, plus récemment, la diminution de moitié par le maire de Belfort du budget de sa bibliothèque municipale. "Nous vivons une situation paradoxale, confirme Xavier Galaup, président de l’ABF. Au moment où les bibliothèques sont placées dans l’actualité au niveau national comme jamais auparavant, elles sont remises en cause par la réduction des moyens qui leur sont attribués dans un nombre croissant de communes où elles constituent une variable d’ajustement. Fermer une bibliothèque est de moins en moins tabou. La profession éprouve un sentiment de fragilité qui a fait évoluer la position en faveur d’un encadrement législatif."

Le risque de figer le modèle

Si l’ABF s’est prononcée en faveur d’un encadrement législatif, elle n’a pour l’instant pas tranché entre la création d’une loi spécifique pour les bibliothèques ou l’ajout de dispositions sur les bibliothèques dans les textes existants. Au demeurant, l’association ne prévoit pas d’élaborer elle-même un projet de loi, mais plutôt de mener un travail pour documenter et soutenir les initiatives qui, selon elle, doivent émaner de la sphère politique. "Je n’ai jamais milité pour une loi sur les bibliothèques. Cependant, une loi, si elle présente le risque de figer les choses, a aussi l’avantage de sécuriser certains aspects, résume Dominique Lahary, bibliothécaire retraité, membre de la commission Bibliothèques en réseau de l’ABF. Il existe actuellement un contexte national favorable à cette réflexion, c’est une opportunité à saisir. Placer cette discussion sur le terrain parlementaire me paraît intéressant." Pascal Wagner, trésorier adjoint du groupe Languedoc-Roussillon de l’ABF, tient également une position favorable à la loi, mais nuancée: "La loi peut avoir des effets pervers, mais je crois qu’il fautaller dans cette direction car l’arsenal législatif actuel contient beaucoup de lacunes. Il faudrait donner de la cohérence à tout cela."

Les professionnels des bibliothèques départementales se montrent parmi les plus réservés vis-à-vis d’une loi. "Dans les zones rurales, on voit se développer des modèles pour la lecture publique comme des tiers lieux qui mutualisent plusieurs services, des points lecture prenant de nouvelles formes (café bibliothèque par exemple), voire le cas échéant des services mobiles adaptés à certains territoires, même si ce ne sont pas des bibliothèques au sens traditionnel, souligne Anne-Marie Bock, directrice de la médiathèque départementale du Bas-Rhin et coprésidente de l’Association des bibliothécaires départementaux. Une loi pourrait être contreproductive si elle fige un modèle précis. Il semble préférable d’aborder la question sous l’angle du maillage territorial et de l’accès à la lecture, en agissant sur les zones dépourvues d’équipements, sur la base d’un cadre d’intervention complété (obligation de plans départementaux de lecture publique et schémas intercommunaux." Viviane Olivier, directrice de la bibliothèque départementale de la Creuse, affiche le même point de vue. "Une loi risque de pénaliser les petits équipements ou les lieux hybrides qu’on trouve en zone rurale. Les subventions de l’Etat dans le cadre de la Dotation générale de décentralisation ont fait levier et permis la construction de nombreuses bibliothèques, témoigne la directrice. C’est plus facile de discuter avec les élus dans le cadre de négociations basées sur les recommandations de l’Etat plutôt que dans le cadre d’une loi qui pourrait être perçue comme un carcan."

Le gouvernement, qui a documenté la question en commandant un travail de synthèse sur le droit des bibliothèques coordonné par Marie Cornu, directrice de recherche au CNRS, se montre également très réservé sur l’hypothèse d’une loi. "On peut installer des dispositions importantes sans passer par une loi, a fait valoir Nicolas Georges, directeur du Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture, lors du congrès de l’ABF. Et on ne sent pas de la part de la profession la même mobilisation que sur d’autres sujets." Le débat continue.

14.06 2018

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